Longtemps directeur de la photogravure du journal Ouest-France, puis directeur des services d’illustrations, Charles Barmay, décédé en juillet 1993, a laissé derrière lui un fonds photographique important, aujourd’hui réuni au musée de Bretagne. Nombre de ses photos prises dans les années 1960, alors qu’il parcourt Rennes armé de son appareil Rolleiflex, nous restituent l’atmosphère urbaine de la capitale régionale, au travers de scènes de rue, au moment où celle-ci connaît de grandes transformations.
Prise sur le vif, dans le dos des personnages comme il le faisait régulièrement afin, sans doute, d’éviter tout effet de pose et, dit-on, par timidité, cette photographie en noir et blanc de juin 1961 nous montre un colleur d’affiche en plein travail sous l’oeil curieux de deux enfants. En ce début des années 1960, ces grands panneaux d’affichage conservent une importante fonction d’information et marquent toujours l’univers urbain. Celui-ci est situé sur le boulevard de la Liberté, sur les murs de l’école qui porte le même nom, dont on voit, à gauche, une des fenêtres. L’homme dont on aperçoit la moto, dotée d’un équipement spécifique qui lui permet de transporter son matériel, achève d’installer des affiches de spectacles et de publicité.
On note, sur le haut du panneau, le dispositif permanent qui permet aux grands cinémas rennais – ici Le Club, Le Paris et Le Royal – d’annoncer les films qu’ils projettent. En cet été 1961, ce sont trois films étrangers qui sont ainsi proposés aux spectateurs rennais puisque Sanctuaire et Pollyanna sont américains tandis que La Novice a été réalisé par l’Italien Alberto Lattuada. L’affiche de ce dernier film découvre en grand le visage de Jean-Paul Belmondo en passe de devenir l’une des grandes vedettes du cinéma français. En bas à droite, une autre affiche annonce une représentation d’Othello par le Centre dramatique de l’Ouest, le Cdo, fondé à Rennes en 1949.
Mais plus que les affiches en elles-mêmes, c’est le geste du colleur qui semble retenir l’attention des deux enfants, tout deux en culottes courtes, dont l’un, sur son vélo à l’arrêt, est obligé de couvrir ses yeux par ses deux mains réunies afin de masquer l’éclat du soleil dont la photographie souligne l’intensité. Les enfants sont souvent présents dans le travail photographique de Charles Barmay qui enregistre ainsi l’impact du baby-boom dans une ville qui passe, entre 1951 et 1962, de 124 122 à 157 692 habitants. On peut penser qu’ils ont aussi pour vocation de relayer, par leur regard neuf et curieux, l’oeil d’un photographe particulièrement attentif aux scènes du quotidien.
Par son sens de la composition, par la finesse d’observation qui émane de ce moment d’été dans une rue de Rennes, exempte de toute présence automobile, Charles Barmay nous replonge dans une atmosphère urbaine à la fois familière et, en même temps, déjà lointaine dont il se dégage une indéniable poésie.