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Contributions
#31
Le galléco peut-il dynamiser l’économie locale ?
RÉSUMÉ > Lancé il y a tout juste un an à l’initiative du Conseil général d’Ille-et- Vilaine, le galléco, monnaie locale complémentaire, s’implante difficilement, avec moins de 600 utilisateurs comptabilisés en juillet dernier. Les monnaies locales sontelles vouées à rester des monnaies de niche ? Pas si sûr. Tour d'horizon de ces nouvelles manières de consommer responsable.

     Amande, commerciale de 27 ans, a tout de suite adhéré au concept de monnaie locale complémentaire (MLC) pour « stimuler un réseau de commerçants locaux, identifiés comme éthiques et solidaires. » Objectif que s’était fixé le Conseil général d’Ille-et-Vilaine en lançant le galléco en septembre 2013, devenant ainsi la plus grande collectivité territoriale porteuse d’un projet de ce type.
    D’abord expérimenté à Rennes, Redon et Fougères, le galléco doit à terme toucher tout le département, soit 1 million de Bretilliens. Ce qu’attend Amande avec impatience : « Je travaille à Rennes mais j’habite à Hédé. J’espère que la monnaie étendra rapidement son territoire », confie la jeune femme.
    L’usage du galléco est simple. Chaque adhérent échange des euros contre des gallécos et règle ses achats avec ces nouvelles coupures dans les commerces partenaires (lire encadré). Au-delà de la pratique, c’est dans son concept que l’usage d’une monnaie complémentaire paraît souvent abscons. Mobiliser autour d’un projet comme celui-ci nécessite de fait une bonne dose de pédagogie.
    Recourir à une monnaie complémentaire correspond à un acte militant qui vise un changement de paradigme économique : redonner à l’argent sa vocation première, être, uniquement, un moyen d’échange. Utilisée sur un territoire prédéfini afin de relocaliser et de dynamiser les échanges locaux, par principe, cette monnaie doit circuler et ne pas être épargnée. Pour booster le commerce, certaines monnaies ont même fait le choix d’être fondantes. Un billet épargné perd alors de sa valeur. Dans cette acception, une monnaie complémentaire devient un outil de lutte contre la spéculation financière et un instrument de développement économique d’un territoire. Les entreprises, commerces et associations adhérentes font appel les unes aux autres pour écouler leurs coupures et élargissent, grâce aux consommateurs, le cercle des usagers.

Le galléco ne circule pas suffisamment

     Un cercle vertueux pour l’économie locale que peine à mettre en place le galléco. Pilotée par une association qui salarie deux personnes, cette MLC comptait 168 entreprises adhérentes à fin juin. Les consommateurs usagers étaient 589, dont 365 à Rennes. 22 591 gallécos étaient en circulation sur les 40 000 émis initialement. Un bilan très mitigé même si les différents acteurs se montrent confiants. « Nous commençons à en mesurer les effets concrètement, assure Anne Bruzac, salariée de l’association. Nous avons de plus en plus de diversité dans nos adhérents, cela stimule les échanges. » Pour l’instant, la seule banque partenaire du projet, le Crédit coopératif, constate que 5 000 à 6 000 gallécos sont retirés tous les mois aux guichets, avec un retrait moyen de 350 euros. « Ce montant a doublé entre septembre et juin », note Bernard Boo, directeur du Crédit coopératif à Rennes. Mais la circulation de la monnaie reste faible, du fait notamment qu’une seule banque soit partenaire. Pour Dominique Fredj, gérant de la librairie rennaise Le Failler, qui a choisi d’intégrer le réseau galléco pour « pousser le système à travailler avec les entreprises locales », n’avoir comme partenaire qu’un seul organisme bancaire est le premier obstacle à un développement pérenne. « Plus de 90 % des achats d’une entreprise se font par virements bancaires. Toutes les banques devraient accepter les gallécos, sinon nous ne pouvons pas les réutiliser. » Pourtant, Dominique Fredj assure qu’il saurait précisément chez qui les dépenser, de la société de ménage avec laquelle il travaille, au transport de ses livres en passant par l’impression de sa communication, 90 % des frais généraux de la librairie Le Failler étant pris en charge par des entreprises locales.

L’Eusko, une monnaie ancrée sur son territoire

     Si le galléco peine à trouver sa place, le phénomène des monnaies locales complémentaires s’amplifie chaque année en France. Dans le sillage de l’Abeille, lancée à Villeneuve-sur-Lot en 2008, Toulouse avait lancé le Sol Violette en 2011, le Pays de Brest a tenté l’expérience avec l’Heol et Nantes se lance dans un projet avec la SoNantes. « Une quarantaine de projets sont lancés tous les ans en France, une vingtaine de monnaies tiennent le coup », explique Philippe Derudder, auteur de Les monnaies locales complémentaires, pourquoi ? Comment ? Pourtant la difficulté d’implantation n’est pas propre au concept. En témoigne le développement de l’Eusko, au Pays basque, devenu première monnaie complémentaire de France en 18 mois d’existence. Dès son lancement, le 31 janvier 2013, l’Eusko comptait 800 adhérents consommateurs et 192 entreprises, commerces et associations. Un an plus tard, il dénombrait 2 700 utilisateurs et plus de 500 professionnels. Avec 245 124 euskos en circulation, très loin devant le galléco ! Un succès qui permet d’interroger la méthode.
    Pour Pascal Glemain, maître de conférences à l’université de Rennes 2 en Finances et économie solidaires, le succès d’une monnaie tient à trois paramètres : économique, social et territorial. « Économiquement, la monnaie doit permettre les échanges et valoriser la production locale, explique-t-il. Socialement, les citoyens doivent la considérer comme un instrument de production de lien social. Enfin, le territoire doit être pertinent socialement et historiquement. » Une monnaie locale complémentaire s’adresse à une communauté territoriale qui doit être perçue comme telle par la population. Un critère largement rempli par le Pays basque où le facteur identitaire joue fortement dans le sentiment d’appartenance. Concernant le galléco, le fait que le projet ait été porté par le Conseil général est à double tranchant. D’un côté, techniquement, la collectivité a financé le projet et fournit les moyens matériels pour le mettre sur les rails. D’un autre côté, en termes d’image, le Département n’est pas porteur d’un sentiment d’appartenance en Ille-et-Vilaine, en témoigne les hésitations pour trouver un nom à ses habitants. De fait, le Département est une construction politique qui ne porte pas en elle l’appartenance à une communauté. Le critère territorial manque ici.
    Un constat qui se ressent sur les territoires. Initialement expérimenté à Rennes, Redon et Fougères, le réseau galléco est bien plus actif à Redon, territoire déjà porteur pour l’économie sociale et solidaire, sur lequel un tissu associatif fort est déjà constitué. À Rennes, la dimension urbaine demanderait un travail de terrain considérable pour fédérer un réseau. Une implication qui passerait par l’embauche d’un référent terrain uniquement dédié au travail de démarchage. Un choix impossible à faire financièrement pour l’association, pour l’instant.

     Euskal Moneta, qui arrive aujourd’hui à vivre pour moitié des ressources des adhésions et pour moitié des subventions publiques, salarie 4,5 emplois à temps plein, dont 2,5 chargés de démarcher entreprises et particuliers en porte à porte. Un travail de terrain commencé bien avant le lancement, à travers les comités des fêtes qui rythment la vie sociale du Pays Basque et agrègent autour d’eux de nombreux pans de la société. « Nous avons fait un grand travail de pédagogie, se souvient Xebax Christy, coprésident de l’association. De réunions publiques en réunions publiques, à travers le maillage des comités des fêtes, nous expliquions comment le lancement de l’Eusko permettrait de relocaliser l’économie et favoriserait les échanges sur le territoire. » Aujourd’hui, Euskal Moneta compte dans ses entreprises adhérentes des cafés, des boulangeries, des épiceries, des magasins d’alimentation bio ou traditionnelle, du prêt-à-porter ou des artisans.
    Une diversité d’offre qui manque encore au galléco et qui fait écho à une critique récurrente envers les monnaies locales complémentaires : s’inscrivant généralement dans la promotion d’une consommation alternative, visant à la transition écologique, son usage resterait circonscrit à un petit cercle de consommateurs militants. « Pour qu’une monnaie ait du sens, elle doit sortir du communautarisme, elle ne doit pas être une monnaie de club », affirme Pascal Glemain. Un entre-soi favorisé par des critères restrictifs à l’adhésion d’une entreprise.
    Pour le galléco, une entreprise doit répondre à 28 critères, liés à son attache au territoire, au respect de l’environnement ou à sa politique salariale. Des critères qui ont pour objectif de constituer un réseau de prestataires éthiques et solidaires et d’inciter les usagers à consommer de manière responsable. Avec pour conséquence de limiter, par essence, le cercle des entreprises mais également des consommateurs : acheter bio, éthique et durable, a souvent un coût, qui n’est pas à la portée de tous. À ce propos, l’analyse de Pascal Glemain est sans concession : « Nous sommes là dans une consommation très tendance, une sorte de capitalisme éthique et moral qui donne bonne conscience à une minorité de personnes. »
    Pour sortir de cette impasse, Euskal Moneta a fait un choix différent : fixer des défis aux entreprises adhérentes. « La première année, une entreprise qui adhère s’engage à utiliser des produits locaux dans sa production ; ou à faire travailler trois prestataires du réseau ; ou à mettre en place un tri de ses déchets. » Son défi réalisé, l’adhérent devra se fixer un deuxième objectif l’année suivante et ainsi de suite. Une démarche volontaire qui permet d’ouvrir les adhésions à un maximum de prestataires et de toucher un nombre important de consommateurs. Cette méthode séduit le libraire Dominique Fredj, qui s’exprime ici en tant que Président du Carré rennais, l’association des commerçants du centre-ville : « Aux Halles centrales, par exemple, il y a des commerçants motivés. Ce serait un immense progrès pour le galléco de pouvoir les intégrer au réseau. Mais cela nécessite de revoir les critères en cours. Personnellement, je n’exclurai aucune entreprise, toute bonne volonté devrait être accompagnée ». La réflexion reste à mener au sein du réseau.
    D’autres pistes sont envisageables pour ouvrir l’usage des monnaies locales. Côté banques, l’association Galléco a reçu l’autorisation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, organe de supervision des banques, pour créer des partenariats avec d’autres établissements. Reste à savoir si les banques seront au rendez-vous, ce dont doute Bernard Boo, du Crédit Coopératif. « Elles sont plutôt dans l’optique de supprimer les services au guichet. Cela me paraît improbable qu’elles se lancent. C’est une démarche militante. »
    Au niveau législatif, l’étude lancée dans le cadre la nouvelle loi sur l’Économie sociale et solidaire, pilotée par Jean-Philippe Magnen, vice-président du Conseil régional du Pays de Loire et Christophe Fourel, expert de la Direction générale de la Cohésion Sociale, a abouti à un amendement inscrit dans la nouvelle loi ESS encadrant l’usage des monnaies locales. Cette reconnaissance pourrait évoluer dans le temps pour aller vers un usage de ces monnaies dans les services publics, comme les piscines ou bibliothèques municipales. Un souhait émis depuis le début par Jean-Yves Praud, vice-président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine qui aurait aimé distribuer en gallécos, sur la base du volontariat, une partie des aides sociales du Département. Une volonté soumise aux avancées législatives.
    D’ici là, le galléco devra d’abord trouver son territoire pour étendre son réseau. Mais il y a fort à parier que si ces billets-là ne trouvent pas de place dans les porte-monnaie bretilliens, d’autres prendront le relais dans les années à venir, que ce soit à Rennes, dans le pays gallo ou en Haute Bretagne.