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Contributions
#31
RÉSUMÉ > À l’heure de la réforme territoriale, Maurice Baslé livre ici une analyse en faveur de la création de « grandes régions » fortement ancrées autour de métropoles puissantes. Dans cette logique, une fusion des actuelles régions Bretagne et Pays de la Loire prendrait tout son sens, estime l’universitaire rennais. Ce faisant, l’auteur sait bien qu’il s’attaque à de nombreux tabous. Le débat est ouvert.

     La tension entre l’innovation et la routine territoriale est à son comble une nouvelle fois, en particulier à l’Ouest. Le tumulte1 est grand car beaucoup d’argumentations ne sont pas explicitées et cachent plusieurs approches contradictoires de la réforme structurelle de l’organisation territoriale en France. Approches en vive collision, médiatisées sommairement mais peu analysées depuis janvier 20142. En voici quatre :

Les approches des intérêts installés dans les routines : ce sont des intérêts des « tranquilles » de tous bords et de toutes les positions, ils traduisent une « préférence pour l’existant ou pour la simple reconduction de leurs situations actuelles d’élus ou d’administratifs ou de citoyens ». Évidemment, ils ne le savent pas encore mais ils ne résisteront pas au changement de contexte (mondialisation, Union européenne, finances publiques tendues).

Les approches par certains récits historiques : les références sont très souvent et curieusement celles de l’époque des grands « duchés » (duché de Bourgogne, duché d’Aquitaine, duché de Bretagne, duché de Normandie…) et les périodes de référence sont généralement lointaines (le Moyen-Âge). Certains épisodes sont mis en valeur (Anne de Bretagne et le duché de Bretagne par exemple alors que les ducs de Bretagne ont été le plus souvent rattachés aux rois de France !) alors que d’autres vaudraient aussi le détour ; par exemple, l’âge d’or de la Bretagne ou le formidable rattrapage de la Bretagne (à quatre départements) depuis la seconde guerre mondiale et l’accompagnement par le « plan breton » appelé programme d’action régionale pour la Bretagne, approuvé par arrêté ministériel le 13 juillet 1956. C’est vrai que l’histoire compte, mais le futur est à inventer.

Les approches par les données géographiques pures (espaces, distances journalières) : ce sont elles qui – dit-on – avaient contribué aux périmétrages des départements. Elles continuent de justifier aujourd’hui l’organisation territoriale déconcentrée de l’État en 101 « places préfectorales » ou départements, organisation solide sur certains métiers sociaux et dont on ne nous a pas encore livré l’avenir : maintien ou non des préfectures de départements et pour quelles missions… transferts vers qui ?

Les approches par les réseaux routiers, ferroviaires, fluviaux qui privilégient l’étoile à partir du centre parisien ou encore les approches par les fleuves et estuaires (Région Baie de Seine remontant jusqu’en amont de Paris), approches qui ont le mérite de partir des usages de transport de fret et de passagers et de la vieille idée que les grandes villes sont l’arrière-pays de grands ports.

     Notre proposition basée sur l’expérience historique, les travaux de la défunte Datar3, l’analyse des sources de la croissance et les comparaisons au sein de l’Union européenne est qu’il faut partir d’un point de vue plus multidimensionnel et systémique des besoins actuels et à venir des populations et des entreprises. L’approche se doit d’être plus systémique parce que les populations, les entreprises, les services publics eux-mêmes sont maillés dans des tricots de services de proximité (niveau 1) et réticulairement reliés dans toutes leurs activités (au niveau régional 2, mais aussi aux niveaux national, niveau 3, européen, niveau 4, et mondial, niveau 5). L’approche doit être aussi plus dynamique parce que c’est la volonté des agents territorialisés, l’attractivité des territoires d’aujourd’hui, la confiance des jeunes générations nouvellement installées, la logique du projet partagé, le désir d’innovation et la créativité des cerveaux qui sont le ressort territorial de la croissance et du bien-être4. Le tout, bien entendu, s’exerçant sur des territoires résilients et en cours d’adaptation différenciée aux nouveaux défis de la transition énergétique et numérique. Tous n’iront pas tendanciellement au rendez-vous du bonheur !

« Grandes Communes » et bassins de vie

     Aujourd’hui, les premiers périmètres de proximité ne sont plus les communes (qui gardent un rôle notamment au moment des élections municipales) mais ce qu’on peut appeler les « Grandes Communes » ou bases de vie et de développement de niveau 1 (communautés urbaines, agglomérations, métropoles5, intercommunalités, pays). Il y en a environ 400 en France métropolitaine (environ autant que de sénateurs !). Ces Grandes Communes, lorsqu’elles sont denses, font ensuite des systèmes urbains selon des modalités nouvelles, vécues aussi mais de niveau 2, disons régional. Le système au niveau 2 (régional) de proximités qui se présente comme l’articulation des réseaux précédents de première proximité, c’est-à-dire de systèmes urbains ou bassins de vie ou zones d’emploi, est composé d’entités à dominante urbaine ou à dominante non urbaine, l’un étant le complémentaire de l’autre. En croisant 14 indicateurs, on obtient une carte des systèmes urbains (carte ci-contre) dominée par les métropoles.
    Dans le Grand Ouest de la France, les données plus approfondies sur l’intensité des liens dans des proximités de niveau 2 font apparaître 3 systèmes avec des frontières qui ne tombent pas juste sur celles des départements !
La Basse-Bretagne qui a encore sa spécificité quasiinsulaire (avec un problème de continuité territoriale à l’ouest d’une ligne Guingamp-Auray).
Les Marches de Bretagne qui font également système à l’est d’une ligne Saint Brieuc-Vannes, en Ille-et-Vilaine et Mayenne jusqu’à Laval.
Enfin, l’Anjou, la Loire-Atlantique et la Vendée.
La démonstration pourrait se poursuivre avec d’autres lectures des données territoriales multiples décrivant le jeu des proximités réellement vécues (carte p. 146) que l’on peut faire parler aujourd’hui facilement6. Dans tous les assemblages de données multidimensionnelles, ressortent trois sous-ensembles, le Ouest-Bretagne (la nouvelle île de Bretagne à l’ouest), la Haute-Bretagne et les Marches de Bretagne qui font système, l’ensemble Loire-Atlantique-Anjou-Vendée qui fait système (le Perche et Le Mans étant peu interconnectés à l’ouest). Il faut donc médiatiser ici une évidence empirique : le département de la Loire-Atlantique n’est pas isolable de son écosystème de vie et d’emploi. Ce n’est pas la « dent creuse » de la Bretagne.

« Grandes Régions » et État girondin

     Que faire au niveau 2 des régions ? La loi du 17 janvier 2014 est une grande loi qui a donné toutes leurs chances de succès aux métropoles de premier niveau et celles-ci (ainsi que les villes moyennes à leur niveau) sauront être créatives. La question du deuxième niveau est posée par le projet de loi du 18 juin 2014. Maladroitement. Selon nous, il aurait fallu être plus explicite sur les différentes raisons de la réforme pour le niveau 2 pour l’État et les collectivités. Il y a en effet deux cas, selon le rôle futur que se donnera l’État et selon la répartition des ressources fiscales qui sera votée en même temps que les transferts de compétences et ceci est encore flou à fin juillet 2014.
    Si l’État restait jacobin, avec des grandes lois se déclinant uniformément, et des compétences et pouvoirs fiscaux faibles du niveau 2, il n’y aurait probablement guère de gains à attendre de la réduction du nombre de régions (sachant que l’évaluation d’impact de la réforme structurelle est impossible à réaliser). L’État jacobin est compatible avec les nouvelles métropoles et les régions actuelles. C’est seulement si le projet politique pour la France, au titre des grandes réformes structurelles attendues et promises à nos partenaires européens, devient plus girondin7, donne davantage de compétences fortes aux régions (par exemple aide au développement économique, régionalisation de Pôle Emploi, formation professionnelle et apprentissage, mise en oeuvre de la transition énergétique vers une société post-carbone…), et donne aussi un pouvoir normatif aux régions (déclinaison des grandes lois selon des décrets adaptés au niveau 2), que l’organisation actuelle n’est plus appropriée : 26 régions, c’est beaucoup d’émiettement pour de grands territoires de projets et d’investissement d’avenir et, en particulier, pour faire du développement économique8 (il y a 16 Länder en Allemagne). Ce n’est pas la taille qui compte (elle va de 600 000 à 18 millions d’habitants en Allemagne) : il en va de la puissance des projets innovants et du coût et du rendement des services publics locaux et régionaux.

Sortir du statu quo dans le Grand Ouest

     Pour réduire les coûts et simplifier, le choix de quelques grandes régions métropolitaines serait probablement plus approprié s’il emboîtait les régions juste au-dessus des 15 métropoles (avec quelquefois un emboîtement de deux métropoles). Ce choix serait aussi plus adapté aux terrains de jeux des petites et moyennes entreprises et des aides et interventions en leur faveur. N’oublions pas qu’à côté des grands groupes, ces PME sont reconnues comme une source de développement et d’emploi et bien ciblées par les fonds européens et par 123 chambres de commerce et d‘industrie territoriales qui ont vocation à se réorganiser aussi à deux niveaux. Pour le Grand Ouest, dans un État girondin, il serait préférable de sortir du statu quo et faire prévaloir l’union autour des métropoles de Rennes (couplée avec Brest) et de Nantes (Saint-Nazaire- Angers). Dans le futur proche, les enjeux de localisation des classes créatives (les cerveaux de l’innovation des partenariats public-privé) sont à cette échelle. Les financements iront en confiance plutôt vers les grandes régions naissantes alentour (Aquitaine-Charente par exemple ou grande Normandie). Une grande région Bretagne-Loire (comprenant Mayenne, Maine et Loire, Loire-Atlantique et Vendée) aurait donc du sens pour additionner les forces en développement économique, R & D, laboratoires d’excellence, Universités et écoles, IUT.
    Sur cette « Grande Région » peuplée de près de 7 millions d’habitants, se dégageraient aussi des assiettes fiscales (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), taxes indirectes, composées de modulations de TIPP-TICE (produits pétroliers et consommation énergétique) et de la taxe sur les cartes grises) suffisamment importantes (surtout si de nouvelles taxes sont affectées à ce niveau 2), pour envisager le développement économique et l’innovation sérieusement. Voire pour financer des pactes d’avenir intra-Grande Région Bretagne-Loire, par exemple, des primes à l’aménagement des grandes communes rurales en difficulté (Centre-Ouest-Bretagne par exemple).

Vers une organisation territoriale à moindre coût

     L’enjeu de la réforme est triple : simplification, spécialisation, responsabilité de chaque niveau territorial. La transition est un problème redoutable mais surmontable par des majorités entreprenantes (agiles) et responsables (pour aider les aires à l’ouest ou au centre plus fragiles). Les États membres peuvent en effet passer le relais à de Grandes régions bien articulées avec leurs métropoles parce que Grandes Communes et Grandes Régions peuvent être en capacité de faire à moindre coût et à plus fort rendement. Il faut espérer une rapide transition vers cette organisation (avec validation par une votation ou un référendum ?). Vu le chemin suivi depuis juin 2014, un échec de la réforme est cependant à craindre et la routine l’emporterait.
    L’innovation de rupture, aujourd’hui, c’est que chacun doit apprendre à faire vivre la démocratie locale (agglos, métropoles, intercommunalités ou pays) et la gouvernance régionale et nationale (État-Grandes régions) « à moins cher », en étant « plus simple et lisible » et aussi « encore plus efficace et pour tous ». Dans cet esprit, les élections pourraient aussi être simplifiées : vote aux municipales pour des conseillers municipaux et de grandes communes ; vote aux Grandes Régionales ; vote aux législatives ; vote aux Européennes ; le Sénat, s’il restait nécessaire avec un État girondin, pourrait recevoir des élus sur des listes composées à partir des élus territoriaux de niveau 1 (les grandes communes) et de niveau 2 (les grandes régions). Enfin, le référendum local et régional pourrait être davantage utilisé (comme en Suisse) pour vaincre les crises et faire avancer les réformes territoriales.
    Mais est-il possible dans ce pays d’envisager un référendum où l’on répondrait vraiment à la question posée : État jacobin ou État girondin ? Peut-être faudrait-il oser dire : qui est pour la fédéralisation de la République française qui comme chacun sait est déjà « est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » ?