pour survivre
Un véritable tour de force industriel. L’été dernier, le site PSA Peugeot Citroën de Rennes a entamé une révolution silencieuse, beaucoup moins médiatisée que le plan de 1 750 départs volontaires annoncé au début de l’année. L’enjeu, pourtant, est crucial pour l’usine de La Janais, qui joue là son va-tout pour tenter de restaurer sa compétitivité et conserver sa place dans un paysage automobile mondial en complète mutation. Ce plan, dont le nom – Ambition Rennes 2010 – résume à lui seul la vocation, vise à adapter le site d’assemblage breton à la nouvelle donne du marché automobile international. Avec un maître-mot : « compactage ». Le terme, qui rime avec recyclage, n’est sans doute pas du meilleur effet, mais il décrit parfaitement la réorganisation pilotée pied au plancher ces derniers mois dans les allées de l’usine rennaise, moyennant un investissement de 50 millions d’euros et la mobilisation d’une équipe dédiée de 80 personnes. Dans l’urgence, mais de manière irréversible, le constructeur aux deux marques s’est donc résolu à réduire la voilure de son site breton. Les surfaces de production vont être progressivement amputées de 40 %, tandis que les flux logistiques et les lignes d’assemblage sont déjà complètement réorganisés, passant de trois à deux. Objectif de ces mesures radicales : assurer la pérennité du site en le rendant plus flexible face aux aléas conjoncturels d’un marché hautement cyclique.
Au volant de l’usine rennaise depuis février 2009, Jean-Marie Dailland conduit cette réorganisation accélérée avec une passion non feinte. À 59 ans, il est un peu ici comme chez lui, pour y avoir travaillé 23 ans, jusqu’en 2002, notamment en tant que directeur de l’unité de production montage. Affable, direct et un brin gouailleur, le directeur a le contact facile et les idées claires, cherchant en permanence à convaincre son interlocuteur de la justesse de la stratégie mise en œuvre, sans sous-estimer l’ampleur de la tâche. Il n’ignore pas que sa nomination a suscité une réelle attente, notamment chez les partenaires sociaux, forcément déstabilisés par les nominations à répétition qui se sont succédé ces dernières années, le site ayant connu cinq directeurs en cinq ans ! De son petit bureau, désormais transféré au croisement des deux « avenues » principales de l’usine, Jean-Marie Dailland veille sur une véritable « ville industrielle » de 240 ha, qui abrite 70 ha d’ateliers couverts. Pour l’instant. Car tout l’enjeu du « compactage » consiste justement à réduire les flux et les surfaces, pour gagner en efficacité.
Jusqu’au printemps, l’usine était organisée autour de trois lignes de montage. « Depuis la rentrée, nous fonctionnons avec deux lignes d’assemblage au lieu de trois : une ligne principale à 46 véhicules/heure, très rentable, et une mini-ligne (2 véhicules/heure), très flexible. Ce programme avait été annoncé dans son principe dès janvier 2008 par mon prédécesseur Yves Fallouey », précise Jean-Marie Dailland. Les travaux ont été menés en deux vagues successives de six semaines chacune. Un calendrier rendu plus facile par le ralentissement du marché et les mesures de chômage partiel décidées au début de l’année. Le 30 avril, la ligne 3 était arrêtée et la mini-ligne entrait en construction. Dès le mois de mai, tous les véhicules passaient dans un flux unique de peinture. La mini-ligne a démarré en juin avec la Citroën C6 et le coupé Peugeot 407, puis elle a accueilli la Peugeot 607, la berline haut de gamme de la marque au lion qui a été transférée de Sochaux à Rennes en juillet pour finir sa vie en Bretagne. La ligne principale, elle, qui accueille les silhouettes de la C5 et de la 407 (berline et break), a été arrêtée du 9 juillet au 24 août pour être entièrement réorganisée. « Il y a eu un choc psychologique au retour des congés d’été, chacun a dû reprendre ses repères, reconnaît le directeur. Le 24 août, les salariés ont découvert de nouveaux métiers. Les modes de fonctionnement ont beaucoup changé. En septembre, le personnel a été énormément sollicité », poursuit-il.
La logistique, en particulier, a été revue de fond en comble. La suppression de la troisième ligne a permis de libérer des espaces conséquents, équivalents à deux bâtiments, soit 73 700 m2 de surfaces couvertes et 4 300 m2 de parkings. La vieille usine rennaise redécouvre alors les vertus du « lean », cette organisation industrielle qui vise à optimiser les temps de transferts et à faciliter le travail des opérateurs en limitant au maximum les déplacements. Ainsi, désormais, la ligne est approvisionnée directement par des petits trains, qui remplacent les traditionnels cars à fourche dans les allées. Les opérateurs reçoivent des petits colis préparés dans l’ordre de passage des silhouettes sur la ligne. Car à une berline C5 peut succéder un break 407, et la polyvalence est de mise. À la clé, une réduction spectaculaire des temps d’assemblage, le fameux « lead time » dans le jargon du secteur : la durée entre le ferrage et la sortie du véhicule a été réduite de 30 %, passant de 35,8 heures à 25,5 heures ! Avec le site ultra-moderne de Trnava, en Slovaquie, Rennes est la seule usine du groupe PSA Peugeot Citroën à expérimenter cette « logistique alternative ».
L’autre challenge concerne la « mini-ligne », lente mais hyper-flexible, sur laquelle travaillent 28 personnes, réparties dans quatorze pas de travail. Elles consacrent chacune 30 minutes par véhicule et assemblent ainsi deux véhicules par heure, actuellement le coupé Peugeot 407 et la Citroën C6. Innovation : chaque binôme est alimenté en pièces directement en bord de ligne par un technicien qui lui est attaché, le « kitteur ». « Clairement, grâce à la mini-ligne, Rennes doit devenir la référence du groupe en matière de flexibilité », affirme Jean-Marie Dailland. Cette nouvelle organisation doit également permettre, demain, de chasser sur les terres des segments à plus gros volume de la gamme moyenne inférieure, le fameux M1 (Citroën C4 ou Peugeot 307, par exemple). Abandonné, donc, le dogme du positionnement haut de gamme qui avait fait les beaux jours de la communication institutionnelle du groupe dans les années 2004-2005, lors du lancement de la Peugeot 407 à Rennes ! L’heure est plus que jamais au pragmatisme.
Évidemment, cette mise sous tension énorme n’allait pas de soi dans le contexte de crise sans précédent traversé par le site, qui a enregistré en 2009 la plus faible production de son histoire. L’annonce d’un sureffectif de 1 750 personnes dans l’usine a durablement pesé sur le climat social, même si en interne, des efforts importants ont été déployés pour limiter la casse, dans le cadre du Prec, le Plan de redéploiement des emplois et des compétences, exceptionnellement prolongé jusqu’en 2010 à Rennes. Plus de 1 400 salariés à fin novembre avaient adhéré à l’une des mesures proposées (départ volontaire, congé de reclassement, retraite, mutation sur un autre site) et plus de 500 collaborateurs de La Janais ont été « prêtés » à d’autres établissements du constructeur, essentiellement en région parisienne et dans l’Est. Avec l’espoir de revenir au pays pour participer au lancement de la remplaçante de la Peugeot 407, baptisée 508, qui sortira dans un an environ. Mais après ? Pour l’instant, la direction générale du constructeur entretient le flou sur les futurs véhicules qui seront confiés à Rennes. Jean-Marie Dailland ne veut pas s’en inquiéter. Il est persuadé que c’est en apportant la preuve de sa reconversion réussie que Rennes saura convaincre le groupe de lui faire confiance à nouveau. Verdict, avant deux ans.