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Contributions
#01
Le vélo à la conquête
de l’agglomération
RÉSUMÉ > L’agglomération multiplie le nombre de vélos en libre-service mis à la disposition des usagers. C’est l’une des alternatives à la voiture individuelle. Le vélo ne détient que 4 % du marché de la mobilité dans l’agglomération, mais cette part pourrait croître. L’image du cycliste change. Les conditions de la pratique du vélo sont facilement améliorables. Il faut aussi accorder une priorité à la lenteur, surtout dans la couronne rennaise où des itinéraires cyclables en site réservé pourraient être créés. Des communes étudient des tracés possibles.

     On inaugure à la rentrée 2009 le nouveau système de vélos en libre-service, qui enregistre une nette montée en puissance par rapport au dispositif antérieur. Clear Channel gérait, depuis 1998, 200 vélos répartis en 23 stations implantées dans le centre-ville rennais. Depuis juin 2009, Kéolis, qui gère aussi le transport collectif de l’agglomération, dispose de 900 vélos partagés entre 82 stations. Jusqu’alors, 280 vélos étaient empruntés quotidiennement. L’objectif est de passer, d’ici à 18 mois, à 2 500 prêts journaliers. Le nouveau réseau, plus dense et plus étendu, pourra s’étendre aux communes de Cesson-Sévigné, Saint-Grégoire, Chantepie et Saint-Jacques. Le dispositif global comptera ainsi 1 250 vélos et 117 stations.
     Le système vélo Star s’imbrique au réseau cyclable d’agglomération, lui aussi en développement. L’ambition est d’aménager progressivement 365 km de bandes, pistes et voies cyclables, certaines orientées vers les loisirs et la promenade (197 km), d’autres dédiées aux déplacements vers les études et le travail (168 km). Ce réseau, en chantier, pourra relier entre elles la quasi-totalité des communes de Rennes Métropole. Sur ce territoire, à chacun d’utiliser son propre vélo puisque les vélos Star n’y sont pas installés. Mais l’essentiel est qu’une continuité de circulation soit rendue possible depuis les couronnes vers le centre, mais aussi à l’intérieur des couronnes, dans les déplacements que l’on dit de rocade.
     Signalons deux autres innovations. D’abord le couplage des réseaux de transport collectif et de vélos en libre-service : les stations vélo Star sont localisées à proximité des principaux points d’arrêt des bus et du métro, et l’abonnement aux transports collectifs, la carte électronique Korrigo, permet d’emprunter les vélos en libre-service.
Ensuite, l’amélioration du stationnement des vélos avec l’ouverture de mini-parcs fermés et surveillés. Concrètement, un local réservé aux deux-roues ou quelques emplacements d’un parking souterrain enceints d’une grille, d’une porte à code et d’une caméra. Un parc sécurisé de ce type est déjà en service à la gare ; trois autres sont répartis dans des parkings du centre-ville. D’autres pourraient voir le jour, notamment dans les communes périphériques disposant d’une halte SNCF.
     Commence donc de se développer et de s’articuler, à l’échelle de l’agglomération, un ensemble de dispositifs d’une mobilité alternative à la voiture individuelle. Y contribuent le réseau des TER (qui acceptent les vélos à bord), les transports collectifs et la maille piétonne, la voiture partagée et le covoiturage dont il faut soutenir fermement les premiers pas ; enfin le vélo qui pourrait prendre, ou reprendre, une place significative.

Le vélo dans la ville, une reconquête lente, coûteuse, complexe

     Dans les années 1950, le sociologue Paul-Henry Chombart de Lauwe enquête dans trois cités nouvelles construites à Rezé, en première couronne nantaise, au Petit-Clamart, à une quinzaine de kilomètres de Paris, et à Bordeaux. Il s’intéresse aux déplacements entre le domicile et le travail. Vus d’aujourd’hui, les chiffres sont stupéfiants. Vont au travail à vélo 59 % des ouvriers, 39 % des employés et 16 % des cadres ! Qui utilise la voiture ? Un tiers des cadres seulement, un employé sur dix et… aucun des ouvriers qui en sont dépourvus, elle est encore trop chère pour eux.
Depuis, le vélo n’a cessé de perdre du terrain. Ses parts du marché de la mobilité se sont réduites à presque rien aujourd’hui : en moyenne nationale, 2 ou 3 % de la mobilité urbaine. Pour l’agglomération rennaise, le recul des « deux roues » (à moteur et vélo réunis) est net : 11 % des déplacements au sein de l’agglomération en1979, puis 4,6 % en 1991, 4,3 % en 2000 et la modeste remontée à 4,7 % en 2007.
     Cette désaffection touche les villes accidentées et les villes plates, les villes ensoleillées et les villes pluvieuses, les grandes villes et les petites. La géographie – climat, relief – ne conditionne pas l’usage du vélo. Pour en comprendre la disparition, il faut explorer d’autres registres : la fragmentation des territoires, les transformations du monde du travail, l’accès des femmes au salariat et, au cœur de tous ces changements sociaux, les combinant et les amplifiant, la diffusion massive de la voiture. En 1953, 8 % des ménages ouvriers ont une voiture ; en 1980, 80 % d’entre eux sont équipés. En 1953, un tiers des ménages de professions intermédiaires ont une voiture, ils sont 90 % en 1980.
     Au tournant 2000, la chute du vélo ralentit dans les agglomérations qui soutiennent le transport collectif. On observe même quelques remontées, notamment à Rennes où le vélo représente 4 % du marché de la mobilité de l’agglomération.

La mobilité dans l’agglomération, un point 2007

     La population de l’agglomération rennaise se déplace de plus en plus. Les habitants de Rennes passent de 3,82 déplacements par jour et par personne en 1991, à 3,95 déplacements quotidiens en 2007. Les habitants de l’ensemble des autres communes de l’agglomération (hors commune-centre) progressent plus encore, passant de 3,49 (1991) à 4,01 (2007) déplacements par jour et par personne. A partir de là, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle.
     La mauvaise nouvelle, c’est que le nombre de voitures qui circulent à Rennes Métropole est toujours plus import ant : 425 800 en 1979, 588 600 en 1991, puis 729 000 en 2000 et enfin 782 000 en 2007. Indépendamment des efforts de densification urbaine, de développement des transports collectifs, c’est donc toujours plus d’encombrement routier, de pollution, de consommation de l’espace public.
     La bonne nouvelle, c’est que la voiture perd des parts de marché. La voiture « pesait » 48 % du marché de la mobilité de l’agglomération en 1979, pour monter à 55 % en 1991 puis à 58 % en 2000, pour redescendre à 54 % en 2007.
Les chiffres du vélo sont plus modestes bien sûr ; ils passent de 40 000 déplacements en 2000, à 60 000 en 2007, mais on pourra dire que le taux de progression est autrement considérable !
     18 % des ménages rennais étaient équipés d’un vélo en 1991, pour 53 % en 2007. Dans le reste de l’agglomération (hors Rennes), 39 % des ménages étaient équipés en 1991, pour 82 % en 2007 – belle envolée, mais elle est essentiellement réservée aux loisirs.

Centre et périphérie : les enjeux du vélo ne sont pas les mêmes

     Comparativement aux habitants de la couronne, les Rennais utilisent deux fois plus le vélo dans la vie active. Les distances sont moindres au centre, mais des éléments démographiques sont à prendre en compte. Globalement, les Rennais sont plus jeunes et vivent sans enfant. Distances courtes, bonne santé, liberté temporelle favorisent le vélo. Les ménages métropolitains sont plus âgés, ont souvent des enfants : distances allongées, contraintes temporelles, nécessité du transport des enfants… le vélo est moins évident.
     Le vélo n’est pas condamné à n’être qu’un mode d’appoint. De nombreux prospectivistes lui réservent un rôle crucial dans le fonctionnement des territoires et des quotidiens. Notamment, une équipe d’acteurs locaux (Agence d’urbanisme de l’agglomération rennaise, Rennes Métropole, conseils général et régional, SNCF, etc.) s’efforce de discerner les enjeux de mobilité de l’aire urbaine rennaise à l’horizon 2050. Le point de départ des réflexions est le même que pour d’autres groupes (ministère de l’Ecologie, Diact) qui examinent ailleurs ce futurible : un carburant devenu très rare donc très cher. Les voitures ne peuvent plus parcourir leurs 15 000 km annuels moyens mais, disons, dix fois moins, soit 1 500 km. Le vélo pourrait alors devenir un des modes principaux de déplacement. Mais il n’est pas nécessaire d’attendre des changements de ce type pour redéfinir la place du vélo dans une nouvelle gestion des mobilités. Quels sont les mots d’ordre de cette politique du vélo initiée par Rennes Métropole et qui pourraient être amplifiés ?

Au centre : bataille d’image et conquête du territoire

     Le premier enjeu est celui du changement d’image du vélo et du cycliste. Rien n’est définitif mais la bataille paraît gagnée. Le visage du cycliste a changé ; il n’est plus considéré comme ringard ou pauvre. Le cycliste s’est multiplié sous les traits du sportif, du promeneur, du touriste et, surtout, de l’actif. La figure stratégique est là : vient au vélo le personnage que l’on croyait indissociable de la voiture, l’homme actif travaillant dans le secteur tertiaire, bref, le cadre. Certes, les cadres ne sont pas nombreux encore à aller et revenir du travail en vélo, mais il suffit de quelques-uns pour que l’image soit bouleversée.
     Le second objectif est la conquête modale. Si 4 % des parts du marché de la mobilité reviennent au vélo, rien n’interdit de penser que ce chiffre peut monter à 10 %, 12 %… 15 %. L’espace central de l’agglomération est bien regroupé au sein de la rocade, qui contient la majeure partie de l’emploi métropolitain (Ouest-France, les CHU et CHS, la SNCF, la STUR, les caisses régionales des banques, les services de sécurité sociale, etc.) ; les distances ne sont pas importantes et l’on peut traverser l’essentiel de la ville en moins d’une demi-heure. Les tarifs du réseau vélo Star sont assez extraordinaires. L’adhésion annuelle est de 22,50 €, à quoi il faut ajouter 5 € de recharge minimale de la carte, soit 27,70 € de mise de départ… qui peut s’avérer suffisante pour un usage pluriquotidien d’un vélo Star toute l’année. En effet, la première demi-heure d’usage du vélo est gratuite. Il est envisageable, sans prouesse particulière, d’aller au travail le matin, d’en revenir le soir gratuitement. Des déplacements domicile-travail pour 27,50 € annuels : un tarif imbattable.
     Des marges de progrès existent aussi quant aux conditions de la pratique cycliste. Les « traits » verts sur les chaussées ne garantissent rien en sécurité et confort minimal. L’association Rayons d’action à Rennes, et ailleurs les associations Vélorution, sont justement mobilisées sur la continuité des circulations, la qualité des bandes cyclables souvent encombrées des graviers et morceaux de verre que les pneus des voitures chassent sur les bas-côtés, ou encore des pistes en dévers, les chaussées penchant vers le caniveau… Autant de détails invisibles ou insignifiants pour les non cyclistes, autant de problèmes cruciaux pour les praticiens du vélo. On trouve sur YouTube un film, intitulé « Angles morts », tourné par un cycliste parisien. Enchaînement muet de séquences montrant les voitures et les camions garés sur les pistes cyclables, les portières s’ouvrant comme d’énormes claques au passage du vélo, les voitures et les bus attendant le passage au feu vert sur le sas a priori réservé aux deuxroues, les véhicules tournant brutalement sur leur droite sans regarder dans le rétroviseur… Tous les ans, 1 000 cyclistes sont accidentés en Ile-de-France, un quart d’entre eux hospitalisés pour 18 décès (en 2006). Les conditions de circulation sont bien moins angoissantes à Rennes mais de nombreux points noirs existent néanmoins ; par exemple l’ensemble place de Bretagne – pont de la Mission, la place de la République ou le carrefour du pont de Nantes sont relativement dangereux pour les cyclistes. Pour monter en puissance, le vélo doit attirer aussi et fidéliser les femmes, les jeunes, le « troisième âge » d’aujourd’hui ; ce ne sera possible qu’en proposant un réseau sécurisé et visible, « entier » et non composé de morceaux découpés.

Sur les couronnes : faire une place à la lenteur

     C’est ici que les enjeux sont les plus importants. D’abord parce que ce sont les communes de couronne de l’agglomération rennaise qui captent l’essentiel de la croissance démographique. Entre 1990 et 2006, Rennes gagne de la population mais moins que Rennes Métropole, qui gagne elle-même moins que l’aire urbaine de Rennes. Ensuite, parce que sur ce territoire, 91 % des ménages ont au moins une voiture et que la part des ménages multimotorisés doit avoisiner les 30 %. Faut-il ne confier ces habitants, difficilement desservis par les transports collectifs, qu’à la « voiture-solo » ? Un troisième enjeu est de contenir l’étalement urbain et d’essayer de densifier les espaces. Le vélo est un mode doux, un mode lent, qui occupe l’espace, qui l’urbanise. Une part d’urbanité est, en quelque sorte, incorporée dans le cycliste, comme dans le piéton ; le cycliste, comme le piéton, est un pro ducteur d’espace public. C’est dans ce contexte que le vélo doit prendre sa place, non exclusive d’autres solutions qu’il faut aussi développer sur ces territoires : voiture partagée, covoiturage, transport micro-collectif, etc.
     Pour gagner quelques points de pourcentage (et passer de 2 % à 5 % ou 6 % ?), il faudrait que soit accordée, sur ces couronnes, une priorité à la lenteur : lenteur de la marche à pied et du vélo par rapport à la rapidité de la voiture. Cela suppose de créer des itinéraires cyclables en site réservé. Le voisinage des deux et quatre-roues est praticable en ville dense, il est impossible sur des routes passantes où les voitures circulent à 90 km/h. L’autre enjeu est celui de la continuité des itinéraires. Le réseau routier s’est peu à peu surimposé à la totalité des espaces de lents. Il serait intéressant qu’une autre maille des circulations lentes vienne à son tour innerver toute l’agglomération. Cela implique de retirer à la voiture un peu d’espace pour créer des sites réservés aux vélos, d’opérer des acquisitions foncières le long des routes, d’aménagement des remblais, d’ouvrir les chemins piétons à la pratique cycliste, etc. La commune du Rheu, avec l’appui d’étudiants de master de l’université Rennes 2, étudie les tracés possibles de cette nouvelle maille souple du réseau deux roues. D’autres communes, plus éloignées du centre, sont également engagées dans ce sens. La direction est prise. Il faut pousser à la roue.
     Le vélo est sorti du cercle vicieux de la disparition : moins de pratique, moins de visibilité, restriction des équipements… moins de pratique, ad libitum. Il reconquiert des espaces. Les prospectivistes des années 2050 placent le vélo au cœur de nos mobilités quotidiennes. Tâchons de prendre un peu d’avance.