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Contributions
#19
Lendemains d’élections en Ille-et-Vilaine
RÉSUMÉ > Singulière par rapport au reste de la Bretagne, l’Ille-et-Vilaine a connu une « vague rose » mais de moindre intensité que le reste de la région, même si Rennes a voté en masse pour François Hollande. C’est le seul département breton à conserver ses trois députés de droite. Marine Le Pen y dépasse son score national dans 80 communes. Les zones rurales des marches (Vitré, Fougères) restent sarkozystes alors qu’ailleurs en Bretagne la ruralité s’infléchit vers la gauche. Dans son analyse, Jean-Luc Richard s’interroge aussi sur le déficit de l’Ille-et-Vilaine dont le personnel politique PS est écarté des sphères nationales du pouvoir, contrairement à celui du Finistère.

     Au lendemain des élections législatives, la Bretagne, qu’elle soit considérée sous l’angle administratif ou historique (avec la Loire-Atlantique), est rose, votant massivement pour une représentation parlementaire socialiste. Le vote des Bretons pour François Hollande le 6 mai 2012, s’est prolongé au niveau régional, lors de l’élection des députés. Les huit circonscriptions du Finistère sont à gauche après le gain des trois circonscriptions jusqu’alors détenues par l’Ump depuis au moins dix ans. Ce dernier mouvement ne compte toujours qu’un seul député dans les Côtes-d’Armor de même que, désormais, dans le Morbihan où la gauche plurielle a réussi à gagner sur la droite quatre circonscriptions supplémentaires.

     Pour mémoire, on rappellera aussi les neuf circonscriptions (sur dix) gagnées par les socialistes et les Verts en Loire-Atlantique, département d’élection du Premier ministre. En Ille-et-Vilaine en revanche, la gauche n’a gagné aucune des trois circonscriptions qu’elle ne détenait pas. C’est le seul département breton à compter plus d’un député de droite. Il sont en l’occurrence trois à avoir été élus sur un territoire nord et est du département, composé notamment de 70 communes. Des communes qui votent toujours à droite comme nous l’avons signalé précédemment dans Place Publique en 2010.

     Le premier tour de l’élection présidentielle en Ille-et- Vilaine est caractérisé par une bonne participation (84,65 %). Le président sortant, soutenu par les partis de la droite républicaine, Nicolas Sarkozy (26,02 % des exprimés), a été largement devancé par François Hollande, tandis que François Bayrou, avec 12,35 %, obtenait un score élevé au regard des moyennes régionales et nationales. François Hollande, arrivé en tête dans 194 communes sur 353 était en première position, avec 31,77 % des voix, soit plus que son score national et, au centième près, exactement son score régional moyen (31,76 %), dopé par les scores du Finistère (33,70 %) et des Côtes d’Armor (33,02 %). Le vote pour Nicolas Sarkozy en Illeet- Vilaine est au niveau de sa moyenne régionale, légèrement supérieure au score national. Le vote du département (le plus oriental de la région, ce qui le met au contact de territoires traditionnellement à droite de l’Ouest intérieur français) a présenté des caractéristiques le différenciant des autres départements bretons.

     Le vote Mélenchon est demeuré à un niveau relativement bas (10,35 %) comme le vote communiste l’est aussi depuis longtemps. Contrairement aux autres départements bretons, le Parti communiste n’a pas su garder quelques municipalités dans le département (il y en a eu quelques unes, voici plusieurs décennies) et l’Ille-et-Vilaine est dépourvue de bastions communistes. Mélenchon n’a atteint 16 % que dans une commune du département (Aubigné), alors qu’il a atteint ce score dans 55 communes des Côtes-d’Armor, dans 15 communes du Finistère (dont 32,8 % à Locmaria-Berrien, bastion du conseiller général Daniel Créoff, communiste rallié au PS) et dans 8 communes du Morbihan (telles Hennebont ou Bieuzy, habituées aux notables rouges).
     Le vote Eva Joly du « 35 » (3,17 %) a certes été le plus élevé de la région, mais cette primauté ne repose que sur environ 0,3 % de suffrages exprimés en plus par rapport aux autres départements bretons.

     Enfin, avec 12,35 % des suffrages exprimés, le Fn obtient un score élevé malgré le poids démographique de Rennes qui ne lui est pas favorable. Marine Le Pen obtient des scores compris entre 31,5 % (La Noë-Blanche) et 19 % (sa moyenne nationale) dans 80 communes du département, tandis qu’elle obtient des scores identiques (entre 19 % et 31,7 %) dans le même nombre de communes du Morbihan. Dans les Côtes-d’Armor, elle dépasse les 19 % dans 40 communes, et, dans le Finistère, elle n’atteint ce score que dans 4 communes (scores de 19 à 21 %). La progression du Fn sur le littoral costarmoricain et finistérien semble achevée, et, surtout, force est de constater que dans aucune commune où le Front de gauche est fort (les 79 communes à plus de 16 %) Le Pen est au-dessus de sa moyenne nationale. La dynamique spatiale de progression du vote Fn dans les régions excentrées du département et de la région continue d’obéir à des logiques que nous avons signalées par le passé.
     Le Fn se développe dans des zones politiquement de droite où le Pcf a toujours été très faible, plus déchristianisées que la moyenne et où, déjà, Dorgères, le fasciste des années 1930-1940, faisait ses meilleurs scores.

     Le 6 mai, au second tour, François Hollande a obtenu 55,71 % des voix dans le département. L’abstention a été de 15,86 %, pourcentage le plus élevé de la région. À Rennes, plus des deux tiers des électeurs (67,09 %, record dans une grande ville du pays) ont choisi François Hollande, tandis que ce dernier n’obtenait que 53,49 % dans le reste du département (couronnes urbaines et périurbaines rennaises votant majoritairement François Hollande comprises).
     À l’exception de Vitré, les villes (Saint-Malo, Fougères, Redon) ont voté pour François Hollande. De fait, le nouveau président a réussi, ainsi que le faisait remarquer le maire de Fougères au soir du 6 mai, à rassembler audelà de la gauche dans sa ville, et à Saint-Malo. Hors les villes, c’est du 50-50 entre les deux protagonistes de l’affrontement final.

     Cependant, il convient de bien distinguer l’ouest et la région frontière du département: les villages et hameaux des marches de Bretagne (la partie orientale du département), soit une bonne centaine de communes, ont maintenu une adhésion majoritaire au président sortant. En mai et en juin, on n’a pas constaté une déstructuration politique des circonscriptions et cantons de l’est du département. Cette situation montre combien le vote de l’est et d’une partie du nord du département diffère de ce qui est observé dans les autres zones rurales de Bretagne. Pourtant, parmi ces dernières, nombre d’entre elles n’étaient pas des bastions de la gauche. L’évolution vers la gauche observée dans les zones rurales historiquement de droite des autres départements bretons est plus lente en Ille-et-Vilaine, sauf dans la circonscription de nouveau gagnée par le socialiste Jean-René Marsac en juin (circonscription de Redon).

     Au second tour des législatives, les candidats de gauche, socialistes et apparentés, ont obtenu 56,77 % des suffrages exprimés en Ille-et-Vilaine (soit seulement 31,82 % des inscrits, en raison de la forte abstention représentant 43,95 % du corps électoral), contre 60,35 % des suffrages exprimés dans le Finistère (35,26 % des inscrits, avec une abstention de 41,57 %) et 59,90 % dans les Côtes d’Armor (36,87 % des inscrits, avec 41,10 % d’abstention). Ainsi, de ces chiffres on peut conclure que la forte abstention a touché aussi bien l’électorat de droite que celui de gauche, en Ille-et-Vilaine. Dans le bassin rennais, les jeunes et ouvriers ont déserté les urnes en juin, tandis que les inquiétudes sur l’emploi industriel occupaient déjà l’esprit de celle qui est désormais la nouvelle députée des quartiers sud de Rennes, Marie-Anne Chapdelaine. Elle a d’ailleurs évoqué l’avenir de l’usine PSA dès sa première intervention publique, le soir de son élection. Ainsi, grâce à l’élection simultanée de Nathalie Appéré, l’Ille-et-Vilaine rejoint de nouveau les départements où il y a des femmes députées, et, pour la première fois, enfin, bien après les autres départements bretons, des députées de gauche.
     Là où les deux députés élus sous l’étiquette Ump en 2007 ne se représentaient pas, deux de leurs assistants parlementaires respectifs, Gilles Lurton à Saint-Malo, Isabelle Le Callennec à Vitré, ont réussi à maintenir inchangée l’orientation politique des circonscriptions, malgré l’absence de prime au sortant. Localement, les électeurs ont confirmé, le 17 juin, leurs choix du 6mai. Par contre, dans la circonscription de Fougères, le député centriste Thierry Benoît, élu Udf-MoDem en 2007, désormais affilié à l’Alliance centriste, a réussi à conserver son mandat, en inversant le résultat de l’élection présidentielle sur la circonscription (près de 51 % pour François Hollande le 6 mai; 51,28 % pour Thierry Benoît le 17 juin).

     Comme nous le pressentions dans nos chroniques antérieures, les représentants de l’Ille-et-Vilaine, comme cela est le cas depuis vingt-quatre ans pour la gauche locale, sont écartés de l’exercice des responsabilités nationales les plus importantes et les plus stimulantes. Le Télégramme de Brest constate: « Les Finistériens ont décidément le vent en poupe. La députée brestoise Patricia Adam est, en effet, la nouvelle présidente de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale. Jean-Jacques Urvoas, député de Quimper, a, lui, été désigné président de la commission des Lois. Comme on vous l’indiquait, le Finistère est bien représenté au sein du gouvernement, au Parlement et à l’Elysée. Ainsi, la Morlaisienne Marylise Lebranchu a été nommée ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique. Pour sa part, François Marc, ancien maire de La Roche-Maurice, a été élu rapporteur général des Finances au Sénat. Enfin, Bernard Poignant, maire de Quimper, s’est vu proposer un poste de chargé de mission auprès de François Hollande » 3. Jean-Yves Le Drian, universitaire rennais devenu élu du Morbihan et président de la région, est ministre de la Défense. L’ancien leader étudiant brestois Benoît Hamon est ministre après avoir organisé les réseaux de jeunes du mouvement mutualiste, des mouvement étudiants et du Parti socialiste, tout en animant l’aile gauche du PS.

L’Ille-et-Vilaine écarté du national

     Il est frappant de voir les élus d’Ille-et-Vilaine ne pas figurer parmi les leaders nationaux influents, qui ont constaté, aussi, globalement, l’absence de militants rennais, issus de l’action syndicale, universitaire ou judiciaire, par exemple, dans l’animation programmatique, idéologique et intellectuelle du parti. Les jeunes ministres du gouvernement comme les plus en vue des jeunes parlementaires socialistes concilient souvent un passé militant fort d’un rayonnement national, un engagement dans les commissions nationales du Parti socialiste, ainsi qu’une production d’écrits politiques visant à rénover la gauche. Les parlementaires finistériens ayant accédé aux fonctions éminentes auxquelles il a été fait allusion plus haut inscrivent aussi leur action dans une telle perspective. Naturellement, il ne saurait être question de défendre une conception de la politique qui serait celle de la demande de formes particulières, et exclusives, de profils et d’expérience: les légitimités associatives, entrepreneuriales ou syndicales sont importantes.
     Le Finistère qui s’appuie sur un réseau d’élus ayant de fortes légitimité dans le monde syndical, mutualiste ou intellectuel, poursuit sa tradition d’influence programmatique (et politique) nationale. Marylise Lebranchu s’est permis de refuser le quatrième poste de l’État, la présidence de l’Assemblée nationale, afin de participer à l’action gouvernementale, et, sans doute, de mettre le pied à l’étrier à son suppléant Gwénégan Bui, ancien militant socialiste rennais, pour la reconquête de la mairie de Morlaix.
     Les observations qui précèdent doivent aussi être replacées dans un contexte particulier rappelé par les observateurs les plus attentifs des évolutions électorales. En effet, au niveau national, si le score que François Hollande a obtenu au second tour (51,64 %) est comparable à celui de François Mitterrand en 1981 (51,76 %), cette majorité est beaucoup plus concentrée géographiquement, principalement dans l’ouest du pays, en particulier en Bretagne.

La Bretagne compense le recul de la gauche

     Ainsi, la gauche ne parvient à consolider son ancrage, depuis les dernières – et seules – élections présidentielles qu’elle ait emportées, en 1981 et 1988, que dans 25 départements métropolitains et 6 départements ou territoires d’outre-mer. En revanche, elle est en recul dans 70 départements métropolitains et 3 départements ou territoires d’outre-mer. Malgré ce recul, elle reste toutefois au-dessus de 50 % dans 28 départements. Mais, en dehors des 11 départements où elle était déjà en dessous des 50 % sous l’ère mitterrandienne, elle passe sous cette barre dans 31 départements métropolitains et 3 départements ou territoires d’outre-mer ». Nationalement, la surface politique de la gauche se rétrécit et l’influence de la Bretagne dans l’avance de François Hollande sur le président sortant et candidat du rassemblement des droites a été très importante.

     L’Ille-et-Vilaine et Rennes peuvent être, et je dirais même doivent être, des territoires perçus comme porteurs de développements politiques. Ils devraient apparaître comme inspirateurs d’orientations contribuant à des dynamiques politiques nationales, portées par des hommes et femmes davantage présents dans le débat politique national. Davantage présents aussi dans l’élaboration de propositions s’appuyant sur le modèle politique breton construit par les générations précédentes.
     À l’heure où la situation économique nationale et européenne apparaît chaque semaine comme délicate, les élus de Bretagne, quelle que soit leur sensibilité, et il convient de raisonner au-delà de nos diverses préférences individuelles, peuvent utilement contribuer, à partir de leurs légitimités et expériences locales, à esquisser des propositions originales pour l’avenir.