Au bout du plongeoir… Quel drôle de nom pour l’association qui a investi le joli domaine de Tizé, aux confins de Thorigné-Fouillard et de Cesson-Sévigné! Il est vrai que la Vilaine borde ce manoir du 13e siècle connu pour sa façade percée d’élégantes arcatures qui éclairent un bel escalier à vis. Mais ici pas de piscine, ni de plongeurs. Juste un centre d’aide à la création artistique qui redonne vie aux bâtiments sauvés de la ruine par la commune de Thorigné qui les mura en 1984 dans l’attente d’une renaissance.
Celle-ci est venue d’un groupe de neuf personnes, unies par une même conception de l’art et de la vie, soucieuses d’éclairer les processus de la création et de la favoriser. Cinq sont artistes, metteurs en scène, marionnettiste, scénographe. Quatre viennent d’autres univers, très proches tout de même: programmatrice de films, commissaire d’exposition, ancien directeur d’équipement culturel et psychologue en hôpital psychiatrique où l’on connaît bien l’apport des arts comme moyen thérapeutique.
« J’étais le seul à connaître tous les autres, raconte Dominique Chrétien, qui fut pendant treize ans directeur de l’Aire Libre à Saint-Jacques-de-la-Lande. On se croisait dans des expositions, à la sortie d’un cinéma, dans le hall d’un théâtre. Et on se disait que ce serait formidable si, dans ce monde très cloisonné de l’art, acteurs et musiciens, metteurs en scène et plasticiens, chanteurs et chorégraphes pouvaient se rencontrer, échanger, se connaître, s’apprécier et travailler ensemble ». Au bout du plongeoir était né. Ne restait qu’à… plonger.
« Mais en 2005, quand on nous a proposé de nous installer ici, tempère Dominique Launat, notre projet était jugé tout à fait utopique, voire irréalisable! On devait avoir bonne mine: les gens nous ont suivi, mais personne ne pensait qu’on réussirait ».
La création artistique – c’est de cela qu’il s’agit, pas de diffusion – reste en effet, dans bien des cas, un acte intime et solitaire à l’instar de l’écrivain, seul devant sa page blanche. « C’est souvent vrai, dit Mirabelle Fréville. Mais prenons le cas de Marc Loyon, un photographe avec qui nous travaillons sur les environs du manoir. Il opère seul avec son appareil. Il fait de la photo. Pourtant, si nous lui proposons de passer ses photos à un réalisateur, à un comédien, à un musicien, il va en sortir autre chose, un diaporama par exemple où vont se conjuguer plusieurs talents. Voilà ce que nous voulons favoriser ».
« Nous avons voulu être les acteurs du côtoiement, dit Dominique Chrétien, du frottement entre plusieurs pratiques, du mélange interdisciplinaire. Notre intuition était bonne. Beaucoup d’artistes souffrent de ne pas connaître le travail des autres. Au manoir, nous offrons justement un lieu de résidence, de rencontres, des salles de travail, de répétition où des artistes de disciplines différentes peuvent se croiser, se fréquenter, se parler, échanger, s’enrichir du travail des uns et des autres. Mais si un artiste souhaite rester seul un moment pour réfléchir à son travail, bien sûr c’est possible! » A Tizé, tout est proposé, rien n’est imposé. Tizé est un lieu ouvert.
« Ici, on rentre et on sort facilement. Pas de barrière, pas de sonnette. Quand les artistes sont présents, les portes sont ouvertes, dit Mirabelle Fréville. Les joggeurs font le tour des bâtiments. Les promeneurs vont et viennent. L’autre jour, deux personnes âgées qui passaient à vélo se sont arrêtées pour écouter pendant un quart d’heure une répétition de musiciens. » Les artistes le savent: ils peuvent tout d’un coup se trouver face à un visiteur qui a poussé la porte. Parfois, ils ont même besoin de cette présence du public, de ses questions, de ses hochements de tête approbateurs ou de ses moues de perplexité même si l’on est ici dans la phase de recherche, parfois très en amont de l’oeuvre aboutie. C’est la deuxième forme du côtoiement qui n’est pas réservée à un public de connaisseurs ou de spécialistes.
Ces rencontres avec le public peuvent être le fruit des hasards de la promenade. Elles peuvent aussi être provoquées, organisées comme lors des « 7 ouvert! » chaque 7 du mois à 18h30 ou selon des rythmes plus aléatoires annoncés par le journal de l’association ou bien lors de manifestations programmées comme lors de la Journée du patrimoine où deux cents personnes ont participé à une visite chorégraphiée du manoir.
« La metteur en scène Marie Lelardoux, raconte Mirabelle Fréville, avait besoin de rencontrer, pour un travail sur la notion de ruines un maçon, un archéologue et un psychiatre. Nous l’avons aidée. Elle les a d’abord rencontrés seule, puis lors d’une réunion publique où une cinquantaine de personnes ont échangé. Des gens peuvent venir s’immiscer à un moment donné dans le processus de création, le questionner et l’enrichir ».
Artistes entre eux, artistes avec le public, mais aussi artistes et association. C’est le troisième côtoiement. Quel bonheur parfois, pour un artiste qui se remet en cause, qui cherche sa voie, qui se trouve bien seul… au bout du plongeoir d’avoir à sa disposition la solide expérience d’un… « maître-nageur », qu’il soit metteur en scène ou ancien directeur de salle ou psychologue!
« Un artiste qui vient à Tizé a généralement été choisi par nous, précise Dominique Chrétien. Les moyens mis à sa disposition, non seulement en matériels, mais aussi en possibilité de dialogue, de contacts, de réseaux ont été définis. Comme nous ne pouvons pas offrir de bourses trop conséquentes, nous essayons de mutualiser les moyens de plusieurs associations de notre connaissance qui vont chacune apporter sa compétence ».
Ainsi entourés, « coachés » oserait-on, les artistes en résidence à Tizé peuvent mener leurs recherches jusqu’à la production d’oeuvres abouties qui iront s’exposer ailleurs, signes concrets d’un bouillonnement créatif qui ajoute d’autres étapes à celles qui ont marqué l’évolution du manoir.
Sept ans après la création de l’association, les neuf compagnons du départ sont toujours là. Ils sont quatre, ce jour de novembre, autour d’un café, dans les bureaux conçus au-dessus de l’ancienne étable par le plasticien britannique Charlie Jeffery. Escalier en bois brut, meubles en carton: l’équipement est… rustique. Mais l’ambiance souriante et chaleureuse. Chacun écoute l’autre avec un grand respect, parle avec douceur et cherche sans esbroufe à faire avancer la discussion.
« C’est une satisfaction, dit Dominique Chrétien. Notre association existe et elle dure! C’est dans des choses très simples, quotidiennes que se mesure l’harmonie d’un groupe ». Nathalie Travers complète « Nous avons inventé un fonctionnement démocratique. Il n’y a ni hiérarchie ni rôles cristallisés. Nous modifions les règles du jeu quand elles ne nous conviennent plus. La liberté de parole est totale. Les désaccords se disent tranquillement. Et nous avançons ».
En hiver, Au bout du plongeoir se met au chaud dans des établissements amis qui l’hébergent chacun un semaine ou quinze jours: au Théâtre de poche de Hédé, au lycée agricole du Rheu, au centre culturel Le Quartz à Brest… Ce nomadisme est aussi une autre forme de côtoiement. Au printemps, l’association réintègre le manoir de Tizé. 2012 sera seulement la deuxième année de vie de la convention triennale signée en 2010 avec Rennes Métropole. Aidé aussi par le conseil général et le conseil régional, soutenu par la ville de Thorigné et la Direction régionale de l’action culturelle, Au bout du plongeoir vit avec un peu plus de 100000 € de budget annuel et un salarié à temps partiel. « Notre souhait, dit Mirabelle Fréville, ce serait de mieux accompagner les artistes et de mieux accueillir le public ».
Au bout du plongeoir a aussi d’autres rêves : celui de s’engager dans la restauration du manoir (« Nous sommes très respectueux du passé », dit Dominique Chrétien) et celui d’être partie prenante du futur écoquartier ViaSilva. La restauration se prépare avec trois architectes qui travaillent à préciser les propositions que l’association présentera à Rennes Métropole. Quant à la nouvelle ville qui s’annonce pour 2040, on y est déjà: Au bout du plongeoir s’est associé à Cesson-Sévigné et Thorigné-Fouillard (en partenariat avec les associations Cesson Mémoire Patrimoine et Cité Art Patrimoine) pour faire découvrir leur patrimoine bâti et naturel. L’avenir a tellement besoin du passé…
C’est un lieu modeste qu’on trouve, avec un peu d’attention, à La Brosse, au bout d’une impasse, à droite de la route du Meuble en direction de Saint-Malo. Michael Chéneau a créé là, il y a dix ans, un commerce d’antiquités et de brocante qui s’est peu à peu transformé en galerie d’art contemporain et de design. « Qu’on soit situé en périphérie de Rennes est significatif, dit-il. Ici, on peut se garer ou venir en bus. Il y a de l’espace (250 m2). Du coup, on peut y exposer de très grands formats ».
C’était le cas par exemple en fin d’année dernière avec quatre grandes toiles de Karim Ould, un peintre rennais qui a fait ses études d’arts plastiques à Rennes 2 et continue par ailleurs à travailler dans un centre pour handicapés. Quatre toiles très colorées, géométriques et abstraites mais pourtant venues d’une réalité (façades d’immeubles, codes chromatiques d’emballages ordinaires) que l’artiste agrandit démesurément et ainsi transfigure avec une précision pourtant millimétrique.
Jusqu’au 25 février, Matali Crasset, grande figure du design contemporain, a pris la suite avec Infrasons. En association avec le rennais Damien Marchal qui se définit comme « plasticien sonore » et utilise le son comme matériau, elle présente des objets inédits inspirés de l’univers du son (haut-parleur, porte-voix, corne de brume…) et réalisés en sycomore par trois artisans de la région, Alain Larcher, tourneur sur bois à La Chapelle-Bouëxic, Xavier Bonsergent (Prototype Concept), ébéniste à Mordelles, et Olivier Guilbaud, doreur à Rennes.
Suivra – Michaël Chéneau, on l’a compris, veut promouvoir les artistes de la région – une exposition de travaux communs d’étudiants des Beaux arts de Rennes, Brest, Quimper et Lorient avec le centre d’art verrier de Meisenthal en Moselle.
On l’imagine, Michaël Chéneau ne donne pas dans la facilité : « Mica est une entreprise privée… Oui, consent-il, c’est difficile. Par ailleurs, j’ai créé une association, Libre art bitre, dont le siège est à Rennes. Elle présente chaque année une exposition dans plusieurs lieux publics pendant trois ou quatre mois. En 2011, nous avons investi le centre commercial Colombia, les halles centrales, la chambre de métiers et, ici, la galerie ». Libre arbitre fonctionne grâce à quelques subventions et surtout grâce au mécénat d’entreprises (une quinzaine, de la région rennaise et de Vannes, d’un à trois mille salariés) qui lui apporte environ 80 % de son budget.
La galerie est ouverte du mercredi au samedi de 15 h à 19 h. Il faut y aller et s’y attarder: Michaël Chéneau présente volontiers, dans un langage humble et simple, ses amis artistes et artisans.