Les très riches collections de botanique, de biologie, de géologie et d’instruments scientifiques de la Faculté des sciences sont peut-être sauvées. Constituées dès le début du 18e siècle, déménagées à plusieurs reprises, entassées, mal conservées, dispersées, reconstituées, portées à bout de bras ces dernières années par quelques enseignants bénévoles, elles auraient pu disparaître peu à peu. Le programme « Arche », retenu au contrat de projet ÉtatRégion 2007-2013, vise à les mettre en valeur pour l’enseignement et la recherche, pour l’histoire des sciences et pour des expositions grâce à un partenariat très étroit avec l’Espace des sciences.
De récents financements ont même permis d’employer trois contractuels, à temps partiel, soulageant ainsi les enseignants bénévoles. L’an dernier, le président de l’Université de Rennes 1, Guy Cathelineau, a chargé un cabinet d’architectes d’étudier leur regroupement, leur conservation et leur exploitation sur le campus de Beaulieu.
L’origine des collections, c’est le « cabinet des curiosités » de Christophe-Paul de Robien. Président à mortier du Parlement de Bretagne, il constitua une importante collection d’objets d’art et de sciences particulièrement rare à son époque. Statues, tableaux, animaux, plantes, minéraux, objets rares ou précieux forment son « cabinet des curiosités » dans sa résidence rennaise, l’hôtel de Robien, aujourd’hui 17, rue Le Bastard.
À sa mort, en 1756, ses collections sont léguées à son fils aîné Paul-Christophe de Robien (1731-1799) qui eut le mérite de ne pas les disperser. Durant la Révolution, il fuit la France et ses biens passent dans le domaine public. En 1792, les collections sont entreposées à Rennes dans l’église de la Visitation.
En novembre 1793, la guerre de Vendée fait rage. Pour accueillir les blessés, le couvent de la Visitation est transformé en hôpital et les collections sont alors transportées, sans précautions, dans les cellules du couvent des Carmélites (aujourd’hui, faculté de sciences économiques). Le Directoire du district nomme, le 19 mars 1794, le « citoyen Quéru pour procéder à l’inventaire et recollement du cabinet d’histoire naturelle du sieur de Robien ». Il répertorie plus de 7 000 pièces 1et 2 avant d’être nommé conservateur du « cabinet d’histoire naturelle ».
En 1796, un décret de la Convention crée des écoles centrales. Celle de Rennes ouvre en 1798. Chaque école devait être pourvue d’une bibliothèque, d’un jardin botanique, d’un cabinet de physique et d’histoire naturelle, d’une collection de machines et de modèles pour les arts et métiers. À cet effet, les livres, objets d’art et d’histoire naturelle sont transférés, près du parvis de Saint-Mélaine, à l’ancien évêché dont le jardin est aménagé en jardin botanique (actuel Thabor). En 1798, le muséum d’histoire naturelle et des arts est ouvert au public. Une assistance nombreuse et… indisciplinée afflue.
En 1807, la municipalité crée un poste de surveillant du jardin des plantes et de professeur d’histoire naturelle chargé de donner des leçons dans le musée. Jean-Vincent-Yves Degland est nommé à ce poste. Un an plus tard, il devient aussi, conservateur du cabinet d’histoire naturelle.
En 1814, le Préfet signifie au maire de Rennes que le muséum ne peut plus rester dans le palais épiscopal, « le seul, à Rennes, dont on puisse disposer pour recevoir les princes de la famille royale ». Le musée est donc transféré à l’Hôtel de Ville dès 1815.
Un surveillant commissionné, Hyacinthe Pontallié, veille sur les collections zoologiques et minéralogiques. Dans un rapport du 16 mai 1831, il insiste sur l’urgence extrême d’une réorganisation des collections.
Le conseil municipal décide en 1832 d’allouer une somme pour le salaire d’un conservateur qui sera tenu de faire « un cours gratuit de minéralogie et d’histoire naturelle ». Hyacinthe Pontallié est nommé à ce poste : après 17 ans d’effacement, la fonction officielle de conservateur du cabinet d’histoire naturelle est ainsi rétablie. Les cours ont un grand succès.
Le gouvernement formule en 1839 un projet de création de Facultés. Si Nantes la refuse, l’idée est accueillie avec un grand empressement à Rennes. La municipalité propose même d’édifier « un bâtiment entièrement neuf » pour loger trois Facultés de droit, sciences et lettres, l’école de médecine et les différents musées.
L’ordonnance royale de Louis-Philippe institue la Faculté des sciences avec cinq chaires (mathématiques, physique, chimie, zoologie et botanique, géologie et minéralogie). Le ministre de l’instruction publique nomma Félix Dujardin comme professeur de zoologie et botanique et doyen de la Faculté des sciences. Hyacinthe Pontallié lui est adjoint comme préparateur, tout en restant conservateur. Il lui est demandé de procéder à des achats de collections et de faire un choix dans celles de Rennes « afin d’utiliser ce qui pouvait convenir à l’enseignement de la nouvelle Faculté ». C’est ainsi que les collections d’instruments scientifiques débutent même s’il existe quelques pièces plus anciennes comme un télescope de James Short daté de 1740. Aidé par le physicien Morren, Hyacinthe Pontallié s’adressa aux meilleurs constructeurs de l’époque pour la plupart français: Marloye en acoustique, Soleil en optique, Lecomte et Bianchi en mécanique et métrologie…
La séance solennelle de rentrée de la Faculté des sciences a lieu le 10 novembre 1840 mais les cours ne commenceront qu’en novembre 1841. La Faculté est hébergée, provisoirement, au premier étage du Présidial de l’Hôtel de Ville. Mais une seule pièce renferme le petit musée d’histoire naturelle et le professeur n’a pas de laboratoire pour lui ou ses étudiants ; il travaille chez lui. Les cours gratuits, organisés au musée, sont remplacés par les cours publics de la Faculté des sciences.
Dès 1841, il est décidé de construire un édifice abritant les trois Facultés (lettres, droit, sciences), l’école de médecine et les différents musées. Appelé Palais universitaire (aujourd’hui musée des Beaux-arts, quai Émile- Zola), il est construit sur l’ancien lit de la Vilaine dont le cours vient d’être rectifié. La Faculté des sciences et les collections de botanique et de zoologie s’y transfèrent à partir de 1855, mais l’espace n’y est pas plus important qu’à l’Hôtel de Ville et Félix Dujardin doit toujours travailler chez lui.
En 1860, les collections municipales d’archéologie y sont déménagées. Dans le Palais universitaire, existent aussi des collections de paléontologie qui tiennent surtout à Marie Rouault nommé directeur-conservateur du musée de géologie en 1853.
En 1860, se fonde à Rennes une Société des sciences physiques et naturelles du département d’Ille-et-Vilaine dont l’un des objectifs est de « rassembler les éléments d’un musée d’histoire naturelle pour la Bretagne et spécialement pour le département d’Ille-et-Vilaine ». Cette Société veille à la conservation des collections et les enrichit. L’un de ses derniers présidents redonne à la ville les collections pour qu’elles soient entreposées au Palais universitaire. Elles retrouvent ainsi celles du fonds de Robien enrichit notamment d’une collection d’insectes offerte par Charles Oberthür en 1874. Le Musée d’Histoire naturelle est ouvert au public, toujours aussi nombreux.
Lorsque la galerie de sculpture est déplacée dans la cour centrale, de 1874 à 1876, un Musée de zoologie est installé à sa place. Les collections de la Faculté des sciences retrouvent donc provisoirement celles de la ville. En 1878, une chaire de botanique est créée, mais l’espace consacré à la botanique n’augmente pas beaucoup, les herbiers, modèles et plantes fossiles s’entassent dans une salle à côté du vestibule avec les étudiants et le professeur.
En 1887, Toussaint Bézier, préparateur de zoologie est nommé « directeur-conservateur du musée de géologie et d’histoire naturelle ». Dès lors, les collections, ouvertes gratuitement au public, bénéficient d’une direction administrative propre et s’agrandissent considérablement du fait d’un grand nombre de dons et d’achats. Le conservateur note dès 1889, que « tous les mammifères ont déjà leur étiquette ; et que les oiseaux, les reptiles et les poissons ne tarderont pas à avoir la leur ».
La Faculté des sciences n’avait pas beaucoup plus de place au Palais universitaire qu’à l’Hôtel de Ville puisque le nombre d’étudiants s’était considérablement accru. Il est donc envisagé de construire un bâtiment à l’emplacement des vieilles écuries de la cale des Viarmes. La construction commence en 1888 mais l’installation ne débute qu’en 1894 et les services de botanique et de zoologie arrivent les derniers en 1897 et 1898. À peine investi, le bâtiment est déjà trop petit. Et, si l’on accueille tant bien que mal les étudiants, les collections de zoologie n’ont pas pu suivre et les deux tiers restent au Palais universitaire. En 1903, une extension du bâtiment permet le retour d’une partie de ces collections.
Les collections de minéralogie restent au Palais universitaire. Mais celles de géologie seront transférées en 1938 dans un bâtiment nouveau: l’Institut de géologie, rue du Thabor. Ce bâtiment abritera aussi les toiles, réalisées pour la circonstance, par Mathurin Méheut et Yvonne Jean-Haffen.
Dans la nuit du 3 au 4 août 1944, l’armée allemande fait sauter les ponts sur la Vilaine. La Faculté des sciences est endommagée, le Palais universitaire l’est encore plus. Pour préserver les collections, elles sont dispersées dans les écoles, les collèges et les lycées de l’agglomération rennaise ainsi qu’à la Faculté des sciences. Après avoir séjourné dans les sous-sols de la Faculté, l’ensemble des collections municipales et universitaires est entreposé dans des vitrines réalisées pour l’occasion. Elles resteront là, à l’abri des regards, jusqu’au départ de la Faculté en 1967.
Plusieurs projets d’aménagement du palais universitaire se succèdent dont un en 1947 qui prévoit de présenter la Bretagne depuis les époques géologiques jusqu’à nos jours avec le sol, la flore, la faune. Néanmoins, en 1957, c’est un Musée des Beaux-arts qui ouvre et le musée des sciences naturelles, dont les collections ont été dispersées, n’est plus pris en compte.
Sur le nouveau campus de Beaulieu une salle est prévue pour les collections, mais elle est réalisée derrière une grande baie vitrée exposée au sud alors qu’une bonne conservation requiert l’absence de rayons ultraviolets ainsi qu’une température et une humidité contrôlées. En attendant qu’une nouvelle salle soit construite, les collections de zoologie sont stockées dans différents sites. L’un est mis à la disposition des enseignements et, à l’occasion, à la portée du public. Les autres se révèlent dommageables pour les spécimens entreposés qui seront donc changés de site plusieurs fois. Les collections de botanique sont entreposées dans un bâtiment annexe (parc de l’Evènière) puis dans les sous-sols de la Faculté. Les collections de géologie, transférées en 1972, sont installées dans un bâtiment qui sera progressivement aménagé en musée. Leurs conditions de stockage sont améliorables, mais la présentation a bénéficié de beaucoup d’efforts et paraît déjà très efficace auprès des étudiants, des élèves et du public. Les instruments scientifiques étaient parfois utilisés dans des « expériences de cours » en amphithéâtre jusqu’en 1968. Cette date signe, entre autres, la fin des expériences de cours: les appareils furent pour la plupart oubliés, disséminés ou mis au rebut.
Afin d’améliorer les conditions générales des collections, plusieurs projets se succèdent, mais malgré les espoirs qu’ils suscitent, aucun n’aboutira: musée des sciences naturelles (1968), projet Masur (maison des sciences de l’université de Rennes, 1973), musée des sciences naturelles (1982). Malgré des efforts et quelques subsides, la situation devient critique et les collections se dégradent lentement. Le dernier projet de Musée (1982) entraîna une étude commanditée par le ministère de la Culture. Le rapport qui en résulta, eu pour effet positif la création d’un Centre de culture scientifique, technique et industrielle à Rennes (Ccsti) : l’actuel Espace des sciences. Pendant cette période, les collections sont utilisées au cours des enseignements à l’Université, et parfois lors de visites publiques (écoles, collèges, lycées, portes ouvertes, etc.). Quelques spécimens sont présentés lors d’expositions temporaires, dans plusieurs villes de Bretagne et surtout à Rennes en raison d’un partenariat avec la Maison de la Culture, la Direction régionale de l’environnement (Diren), puis l’Espace des sciences.
En 1999, un nouveau projet de Musée de botanique et de zoologie promu par le président de l’université de Rennes 1, Jacques Lenfant, est prévu au Contrat de Plan État-Région. Mais la présidence change, le projet est retenu mais pour étude, sans financement précis pour sa réalisation.
En 2000, la création d’une Commission de culture scientifique et technique (Ccst) à l’Université de Rennes 1, avec la mise en place d’une politique globale de préservation et de valorisation des collections, génère une évolution du projet initial avec la prévision d’un bâtiment sur le campus de Beaulieu. Il servira de lieu de stockage pour les collections de botanique, de zoologie et éventuellement pour le matériel scientifique anciennement utilisé par les différentes disciplines du campus (informatique, électronique, chimie, physique, …) à l’abandon depuis 1968 ou disséminé sur le campus.
En 2004, quelques « beaux » instruments d’optique sortent de l’oubli lors d’une exposition à la bibliothèque universitaire. C’est ainsi que deux enseignants-chercheurs, Dominique Bernard et Jean-Paul Taché, initient une première démarche de recherche historique qui permet de regrouper plusieurs centaines d’objets du 19e siècle. Ces instruments sont présentés aux étudiants dans des vitrines installées dans une salle de travaux pratiques. Puis, les découvertes de quelques instruments exceptionnels comme ceux de Jacques, Pierre et Marie Curie et une copie du gyroscope de Léon Foucault donnent lieu à des visites d’experts scientifiques. Tous reconnaissent la richesse et la diversité de cette collection et les incitent à développer cette démarche de conservation et de valorisation. En 2007, un soutien financier de Rennes Métropole permet d’aménager un sous-sol afin de conserver cette collection dans des conditions acceptables. Cette collection ne se limite pas au 19e siècle: elle rassemble aussi environ 2 000 objets du 20e siècle, laissés en dépôts au fur et à mesure de l’évolution des techniques instrumentales.
Ceci conduit la Ccst à intégrer la démarche initiée par le musée des Arts et Métiers (Cnam). Ce programme de conservation et de valorisation du patrimoine scientifique et technique contemporain (Patstec, site internet www.patstec.fr) vise à combler les lacunes, tant historiques que matérielles, de la période 1950-2000. En effet, durant cette période, la « mise à la benne » des supports de manipulations anciennes était quasi systématique. Grâce à ce programme national, basé sur des équipes régionales (l’Université de Rennes 1 pour la Bretagne), on développe une réflexion sur ces objets, leurs histoires et celles des laboratoires. On peut enfin montrer que si les outils changent de 1800 à nos jours, la démarche scientifique et la méthode demeurent.
Les activités d’enseignement et de recherche liées aux collections et propres à l’Université de Rennes 1 correspondent au programme « Arche ». Les collections servent de support à des enseignements disciplinaires ou de médiation depuis la licence jusqu’au master. En recherche, plusieurs secteurs scientifiques emploient et augmentent des collections en coordination avec des structures nationales (Trans’tyfipal en paléontologie, Réseau des herbiers de France en botanique et Institut national du patrimoine naturel en biodiversité). Ces collections font aussi l’objet de présentation dans des colloques internationaux et de publications. L’Université de Rennes 1 a ainsi rejoint le cercle très fermé des universités européennes qui possèdent de riches collections universitaires (réseau Universeum, Scientific Instrument Commission…).
Le programme « Arche », va-t-il mettre fin à ces longues tribulations et mettre en valeur un patrimoine scientifique inestimable?
Remarques : Cet article s’est grandement inspiré des ouvrages de Constant Houlbert7 et de Louis Joubin.