En réalité, le véritable collectionneur fut son père, Christophe-Paul (1698-1756), qui coucha par écrit une description sommaire mais vaste de plus de 760 pages de ses collections d’histoire naturelle et de numismatique, entre lesquelles on trouvait quelques objets d’art et d’ethnographie, car Paul-Christophe ne modifia en rien, ou peu s’en faut, le legs de son père.
Celui-ci écrit dans son manuscrit daté vers 1750 : « On voit aussy une idole revetüe d’argent et ornée de quelques estoiles, croissans et soleils, d’un mauvais or, qui, dit-on étaient jadis adorés des mexiquains. Cette idole qui est de la hauteur d’environ un pied est d’une construction si mauvaise qu’il est assez difficile de la représenter par la description: c’est ce qui fait que je renvoye à la figure que j’en ay fait designer qui la fera plus entendre d’un coup d’œil qu’une description de deux pages«.
Insolite, étrange et unique, telle apparaît en effet, cette statuette qui n’a semble-t-il son équivalent dans aucune collection publique au monde. C’est sans doute vers les années 1735 que Christophe-Paul de Robien, alors président au Parlement de Bretagne, l’acquit des collections de feu le marquis de Vienne à Brest dont l’épouse, une Kerouartz, est une de ses cousines éloignées. En effet, au sein des collections du défunt, un objet qui évoque très franchement cette statuette est présent et proposé au marquis par la veuve: «Dieu du pérou d’argent dont la ½ couronne manque ».
L’Idole, comme Robien la nomme, est constituée d’un petit support de bois cruciforme recouvert de papier que viennent habiller des plaques d’un argent péruvien très pur qui servaient peut-être à décorer des vêtements. Le visage, représentant un masque de jaguar trouvé sans doute dans un tombeau, est un indéniable et authentique vestige Mochica, du nom de la civilisation qui s’était épanouie sur le littoral nord du Pérou (du 1er au 7e siècle), et a été fixé avec des clous d’argent sur l’âme en bois. La jupe de cette petite poupée serait par ailleurs une aquilla Inca (15e siècle, voire période coloniale), ou bol en argent. La présence d’un autre visage sous celui visible, l’utilisation d’éléments qui n’ont rien à voir avec un objet Mochica originel (la forme des langues de métal, les décors en or et électrum cloués, l’association de l’aquilla et du masque de jaguar) démontrent l’hétérogénéité profonde de l’objet.
Le montage n’a pu être réalisé au Pérou : d’une part un orfèvre de la colonie aurait souhaité démontrer son habilité, absente ici ; d’autre part et au contraire, un orfèvre d’origine indigène aurait refusé de clouer un masque de jaguar sur un autre pour des raisons culturelles. Il a été avancé que cette pièce atteste l’existence d’un commerce d’américaneries, objets réalisés en masse ou en série pour satisfaire des appétits de curiosités occidentaux. On cherche toujours et en vain des analogies qui pourraient justifier cette hypothèse.
En définitive, quoique encore très mystérieuse aujourd’hui, suite à de récents avis autorisés, sans doute faut-il considérer cette étrange Idole comme le vraisemblable produit de fouilles « archéologiques », remontée puis complétée, non pas au Pérou, mais peut-être au Mexique, plaque tournante des échanges commerciaux entre l’Europe et l’Amérique sous domination espagnole d’où Robien estimait qu’il provint, voire peut-être en Europe à la fin du 17e siècle. Malgré une iconographie générale qui suggère une indéniable influence occidentale (la forme de poupée donnée à la figurine elle-même, ses décors de petits animaux rivetés, la présence d’une boucle d’oreille), il n’y a rien dans l’élaboration de l’objet qui pourrait justifier qu’il fût sorti d’un atelier qui en aurait produit en grand nombre afin de satisfaire des appétits de collectionneurs occidentaux. Tout au contraire atteste t-il par sa rareté et son exemplarité une finalité qui s’est élaborée sans doute peu à peu de façon pragmatique et non préméditée, afin de donner une représentation de ce que l’on croyait être une idole. Des exemples de fouilles effectuées dans les tombeaux, comme celles menées par Louis Feuillé, entre 1707 et 1712 sur les côtes du Pérou, ajoutés à l’intérêt réel que des collectionneurs occidentaux pouvaient nourrir pour de « vrais » objets des cultures « sauvages » donnent à cette hypothèse sa crédibilité.