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Dossier
#03
Les horizons de la ville post-automobile
RÉSUMÉ > Que serait demain la ville sans voitures ? Méfions-nous d’un raisonnement qui inverserait les facteurs. L’automobile n’est que l’effet d’une cause plus complexe qui mêle modernité, individualité, mobilité et vitesse. Pour aller vers la ville post-urbaine, c’est une immense révolution sociétale qu’il faudra entreprendre. Une révolution qui obligera à gérer des friches d’espaces naguère habités ou consacrés à des autoroutes. Dès lors, la fin de l’automobile serait marquée par la généralisation des options de certaines villes qui adoptent un code de la rue. Dans ce modèle de la ville des courtes distances, chacun trouverait commerces, services et emplois à moins de 800 mètres de chez lui.

Quels seraient les traits d’une ville dont l’automobile aurait disparu, et quels enjeux de programmation urbaine poserait-elle aux décideurs et pouvoirs publics ? Ces questions sont venues se poser avec une nouvelle vigueur, sous la pression croissante de deux tendances différentes : l’état des stocks mondiaux de pétrole et l’accentuation des changements climatiques.

Les enjeux d’une prospective urbaine

     Les villes, tout autant que leurs pouvoirs publics, décideurs et habitants, ne peuvent ignorer ce qu’impliquerait en matière de réorganisation de la vie urbaine une sortie du règne de l’automobile. Cette sortie n’a pas à résulter uniquement de faits extérieurs ; citoyens et élus ont aussi leur propre rôle à jouer par leurs options, pratiques et orientations. Sortir de l’automobile, est plus que jamais affaire de choix, bien davantage que de contraintes inévitables.
     S’interroger sur cette ville de demain, ce n’est pas donner libre cours à son imagination. La démarche prospective diffère en cela de l’exercice de style d’une fiction. Elle s’ancre d’abord dans une analyse réaliste et exigeante des tendances à l’œuvre dans les villes et les sociétés contemporaines, dans une évaluation prudente de leurs évolutions pour établir alors des projections et, ajustant leurs variables, déterminer les différents scénarios qui peuvent en résulter. Ceux-ci peuvent être sectoriels, thématiques (mobilités, habitat) ou généraux.
     Plus encore, l’enjeu d’une telle projection doit surtout dépasser son apparent côté ludique (se situer dans un futur lointain, n’est-ce pas palpitant ?) : c’est un enjeu politique puisqu’il s’agit de viser à éclairer à travers cet exercice, les options de développement urbain, de politiques d’urbanisme, de mobilité ou encore d’habitat qu’ont à poser dès maintenant ceux qui produisent la ville. Ce balayage de tendances ne doit, enfin, pas interdire de regarder ce qui se passe déjà ailleurs. Nous ne réaliserons évidemment pas ici un tel exercice complet mais en pointerons quelques aspects.

     Il est impossible de prévoir l’épuisement des stocks de pétrole comme l’annoncent pourtant nombre de cassandres. On cite souvent la prédiction vérifiée du géologue King Hubert qui en 1956 avait annoncé le déclin de la production américaine des années 1970. Mais des inconnues très importantes subsistent. D’abord, au-delà de zones restant à explorer, inconnues, des zones dites « d’off shore profond » ont été encore peu explorées. Puis, les gisements aujourd’hui à maturité contiennent potentiellement beaucoup de pétrole qu’on ne sait pas encore extraire. Ensuite, les progrès technologiques ne cessent de réduire les frontières de coûts d’exploitation entre pétrole conventionnel et non-conventionnel. En témoigne l’exploitation off shore désormais largement rentable grâce à des techniques d’extraction de forages très profonds.
     Mieux : la région de l’Athabasca (au nord de l’Alberta au Canada) était autrefois un océan qui a laissé place, en s’asséchant, à des sables asphaltiques qui constitueraient le plus grand gisement mondial de pétrole exploitable. Enfin, la quantité actuelle de réserves prouvées exploitables pourrait être révisée, non par la découverte de nouveaux gisements mais par l’amélioration du rendement d’extraction. Il est actuellement de 30 % et pourrait passer à 60 %, entraînant la réouverture de gisements considérés aujourd’hui comme épuisés. Bref, le pétrole a encore de beaux jours devant lui, à moins d’en décider autrement.
     D’où l’attention portée à la seconde évolution, celle de la dégradation de l’atmosphère. Que la transformation du climat soit d’origine humaine ou non, qu’il y ait un lien réel ou faible entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et le réchauffement importe peu au regard de la qualité des espaces habités dont l’air est une composante majeure parmi d’autres. Sur ce plan, on sait que si les émissions totales de GES ont globalement diminué en France ces dernières années, les seuls postes qui n’ont cessé d’augmenter sont l’habitat et les mobilités (30 % du total). La moitié du CO2 émis en France est liée aux comportements quotidiens : chaque ménage en émet 15,5 tonnes/an. À l’origine, l’usage direct d’énergies liées aux déplacements (28 % du total), au chauffage (18 % du total), à l’eau chaude et à l’électricité (4 % du total).
     Cette situation est liée à des tendances contradictoires. Certes, en 2006 la consommation moyenne en carburant des véhicules neufs vendus baisse de 0,1 litre/an depuis 1995 grâce à des progrès technologiques. Mais en même temps le parc automobile des ménages a augmenté de 27 à 30 millions de véhicules d’un âge moyen passant de 5,8 à 7,6 ans 3. L’éloignement entre l’habitat et les lieux d’activités et de services et l’augmentation des ménages équipés de plusieurs voitures en sont les principales causes. Les véhicules diesel (43 % du parc en 2004) émettent 8% de moins que les voitures à essence et parcourent une distance moyenne 70 % supérieure. Mais la distance annuelle moyenne parcourue par véhicule (12 843 km/an en 2004) s’est allongée de 5,3 % depuis 1980 et se stabilise légèrement depuis 2001. En 2005, en France, les 167 modèles émettant moins de 120 g. de CO2/km représentaient à peine 15 % des ventes. Par ailleurs, les véhicules neufs sont de plus en plus lourds (de 900 kg en 1984 à 1 250 kg en 2007) et leur puissance moyenne a progressé de 38 % en 20 ans, ce qui engendre d’autant plus d’émissions de GES au cours de leur fabrication et de leur utilisation. Et la climatisation accroît aussi la consommation énergétique : 38 % du parc automobile étaient climatisés en 2004 ; elle équipait 70 % des véhicules neufs vendus en 2003. L’automobile se porte donc toujours bien.

Réduire la ville, réduire la vitesse ?

     Il faut alors s’écarter d’une métalepse « seconde génération » – figure de style consistant à inverser la cause et l’effet. La première génération avait été identifiée par le géographe Jacques Lévy qui expliquait en 1999 : « La métalepse de l’automobile, c’est le fait que si on a un développement de type périurbain, à faible densité et à faible polarité, il en résulte une augmentation de la pression sur les centres anciens. Une pression qui ne peut se faire qu’avec l’automobile puisque la faible densité empêche de construire des systèmes de transports collectifs rentables. Donc les périurbains viennent en ville par exemple pour faire leurs courses ou pour consommer de la culture et que constatent-ils ? Qu’il y a des embouteillages, de la pollution et ils en concluent qu’ils ont bien fait de faire ce choix périurbain et en plus de cela ils veulent convaincre d’autre personnes qui habitent encore dans la ville-centre que, oui, face à cette pollution et ces encombrements, la meilleure solution c’est d’aller aussi dans le périurbain. Donc, il y a une inversion totale de la cause et de la perception de cette cause puisqu’on incrimine la ville dense pour les actes commis par la ville étalée ».
     Dans le domaine urbanistique, si on ne peut que souscrire à cette analyse même partiale, une nouvelle génération de métalepse est apparue, derrière la question du rapport entre la ville et la vitesse, une fausse voie pour l’urbanisme contemporain. L’urbanisme a entrepris à lui seul, ni plus ni moins, de réformer la société en réformant la ville qu’on avait jusque là configurée à la pratique automobile – l’aéroport de Roissy en est un bel exemple. Réduire la vitesse (par des ralentisseurs, des ronds-points), supprimer l’accès des villes aux voitures serait enfin résoudre les maux urbains et sociétaux, entrer, donc, dans une logique vertueuse.
     C’est oublier que l’automobile n’est que l’effet d’une cause bien plus complexe, à trois têtes : celle d’une société de la modernité urbaine, une modernité dont les pères fondateurs de la sociologie urbaine (Georges Simmel) et les urbanistes comme François Ascher ont montré qu’elle est étroitement liée à l’individualité, mais aussi à la mobilité auxquelles s’ajoute la vitesse. Modernité, individualité, mobilité, vitesse : c’est sur ces quatre termes inextricablement liés qu’on prétend agir par la seule réduction de l’automobile.
     On oublie trop souvent derrière les débats sur la fin de l’automobile, que cette soif de vitesse, de mouvement et d’accélération n’est pas près de s’apaiser. L’architecte et philosophe Paul Virilio, qui soulève souvent la polémique par ses analyses au vitriol des logiques des sociétés contemporaines – il est vrai parfois assez teintées de « nostalgisme » – pourfend cette accélération implacable qui conduirait à une catastrophe inéluctable, d’une ampleur sans cesse croissante.
     Sommes-nous prêts à punir le principal coupable : l’individu acteur spatial ? Y a-t-il donc un « droit à l’accélération » qui ne peut être désormais que nécessairement collectif ? Sommes-nous prêts à nous déposséder de cette liberté individuelle de mouvement qui nous définit tant ? Pire, sommes-nous prêts à arrêter de bouger ? C’est une révolution d’envergure dans la modernité et ses relations à l’individualité, à ses mobilités et à sa soif de vitesse qu’il s’agit peut-être alors d’entreprendre, plus que celle de l’automobile. Et quelles raisons valables, d’ailleurs, nous y conduiraient ?

Ville post-urbaine, néo-urbaine ou para-urbaine

     Quoiqu’il en soit, à partir de cet ensemble de tendances (persistance de la soif de mobilité, horizons tranquilles pour le pétrole et l’automobile), examinons plus précisément trois scénarios que leur évolution pourrait engendrer et la place (ou le remplacement) de la voiture dans chacun d’eux : la ville post-urbaine (scénario fort ou de rupture), la ville néo-urbaine (scénario intermédiaire ou de bifurcation), la ville para-urbaine (scénario faible ou de statu quo).
     Peu à dire quant à la ville para-urbaine, forme de statu quo qui signifie l’inexorable éclatement urbain pris dans une logique incessante de croissance des automobilités. Ce statu quo résulte de deux paramètres clés : une marge de manœuvre très faible des décideurs, et une stagnation de la marge de manœuvre des individus en matière de maîtrise de leurs choix de mobilité. Un scénario déjà entretenu par des événements mort-nés : « en ville sans ma voiture », pas de voiture en centre-ville le samedi (à Nantes), la fermeture du boulevard des Maréchaux l’été à Paris, mesures dites de « sensibilisation » à travers lesquelles une société urbaine regarde, hébétée, les impasses de son modèle urbain, puis les oublie. Une ville future qui accentue par ailleurs le clivage spatial et social entre la ville et ses périphéries par la création de péages urbains, fausse bonne mesure reformulant sans cesse l’inversion des facteurs : agir sur l’automobile sans toucher aux modes de vies qui la fondent. Puis, elle parie surtout sur un renouvellement technologique intense conduisant à l’émergence de véhicules propres. On serait bien en mal de transformer radicalement – pesanteur des héritages – les modes de vies. Ce scénario parie sur l’attitude décisive des constructeurs automobiles ayant cette fois définitivement opté pour la fin de l’ère du pétrole.
     La ville post-urbaine serait engendrée par trois formes possibles et différentes de pouvoirs de transformation : la catastrophe, le repli et la modification radicale des modes de vie. L’idée d’une situation d’hécatombe n’est jamais à écarter – hécatombe technologique voire humaine sans rémission ; elle préfigure le futur d’une ville « mise en arrêt », saisie d’effroi à l’image de celle du Survivant, le film de Boris Sagal. Le repli est une version atténuée de la catastrophe, mais produirait probablement les mêmes effets sur l’automobilité. Frelater les carburants ? Sourions, à l’évocation du célèbre Tintin au Pays de l’or noir (Hergé) et pourtant, des situations géopolitiques de crise rendant le pétrole indisponible, à l’image du stress européen lié à une dépendance énergétique croissante vis-à-vis du gaz (difficilement concevable avant 2006) ne sont pas à écarter.
          En réfléchissant aux liens entre aménagement du territoire et transport, la démarche prospective « Transport 2050 » était venue expliciter un autre scénario autrement plus plausible (parmi trois autres). Un scénario intégrant des configurations institutionnelles et géopolitiques, pariant sur les attitudes de repli politique, du refus et de sortie de l’Europe, d’accentuation du protectionnisme, de fermeture des frontières de pays et de villes dont il s’en suivrait une sorte de rétraction spatiale généralisée, forme de « féodalisme » et d’atomisation d’espaces plus ou moins autarciques (scénario 2, « Repli européen et déclin »).
     Enfin, une transformation radicale des modes de vie. Force est de constater que le dogme de l’hypermobilité (de l’hyperfluidité sociale et professionnelle) décline, que sont montées aussi, en puissance des attitudes plus prononcées, d’abord sous la forme de « vogue » puis plus soutenues, cristallisées dans la « slow » attitude : slow fast, slow food… La lenteur a fait surface, pointée par l’habile publicité de la SNCF, « Prenez le temps d’aller vite ». À cela, s’ajoute une évolution structurelle dans les mobilités : des tendances toujours plus prononcées qui remettent en cause un autre dogme, celui de la maîtrise individuelle. La Bretagne n’est pas en reste sur ce plan-là avec une prolifération de pratiques partagées de mobilités. Plus largement, cet infléchissement laisse entrevoir une possible sortie du régime urbain dans lequel domine l’individu hyper-moderne toujours plus mobile. Et ces tendances convergent avec la perspective d’une sortie du capitalisme, impensable il y a quelque temps mais plus plausible à l’heure de son actuel et majeur ébranlement.
     La ville néo-urbaine est une version atténuée du précédent scénario. Elle considère qu’au fond nous n’avons jamais vraiment été urbains (et donc modernes) et que pour être, pleinement et enfin, des individus autonomes, il nous faut nous ressaisir de ce qui, en nous, est fondamentalement autre, et de tout ce que cette reconnaissance mutuelle implique en particulier en termes de mode de vie et de mobilités; ou encore, que la progression en avant peut aussi se passer parfois d’accélérations, pour faire mieux ; ou, que différencier les rythmes ce n’est pas non plus s’arrêter les bras croisés ; et encore, qu’entre « aller de l’avant » et « retourner en arrière », des bifurcations sont envisageables. La ville néo-urbaine est une réinvention de la ville par elle-même, qui évite le piège des deux métalepses et de ce à quoi elles conduisent d’auto-désintégration.

     Quels sont au final les enjeux et traits urbanistiques envisageables (voire souhaitables) d’une ville échappant au régime de l’automobilité contemporaine ? Caractérisés par des friches (des formes en bout de course, à gérer, mais aussi des défis ouverts, à traiter), ces impacts sont de trois ordres : morphologiques, fonctionnels, sociaux. Ces trois ordres étroitement imbriqués, contribuent à qualifier l’urbain, et se situent entre deux modèles généraux, la ville rétrécie 11 et la ville des courtes distances.
     La ville de Détroit, aux États-Unis est le cas extrême illustrant le premier modèle, d’une ville au bord de la faillite totale, c’est-à-dire plus qu’en cessation de paiement, désertée au point d’en être rayée de la carte, ville fondée sur la mobilité automobile, sans réelle centralité. Derrière les tendances très clairement dessinées en ce sens à l’occasion de la crise des subprimes, se pose le problème le plus lourd de la ville post-automobile : les friches des espaces habités, cas unique par son ampleur dans l’histoire des sociétés. Nombre d’espaces de la ville contemporaine vivent et ne fonctionnent que par et pour la dépendance de l’automobile ; après avoir rasé certains secteurs d’habitat social, après la fin des grands ensembles, serait-ce la fin des lotissements, le temps de penser à des musées du périurbain ?
     Le deuxième type de morphologie (et de ses friches à traiter) est propre aux mobilités : la désaffection massive des autoroutes et grande rocades ayant contribué à la sectorisation des villes laissera donc place à des friches autoroutières. Nombre d’urbanistes au Canada se penchent déjà sur cette question ; c’est le cas du passionnant projet « Big Dig » à Boston aux États-Unis, grande voie autoroutière habitée, inspirée d’ailleurs du Viaduc des Arts parisien. D’autres options sont possibles, telles que la réaffectation toute prête de ces autoroutes, en autoroutes ferroviaires à vitesse modérée, réglant le si délicat problème du tracé des nouvelles lignes. Des modèles et inspirations qui travaillent déjà des élus français.
     La logistique reste le point noir le plus touché par la sortie de l’automobile. Articulée autour de sites stratégiques ayant de plus en plus tendance à se situer dans les périphéries urbaines, elle sera directement concernée par la transformation des rocades et autoroutes en voies ferroviaires, lui permettant de trouver une nouvelle opportunité dans ce choix assumé de localisation.
          L’urbanisme aura toujours davantage à intégrer la flexibibilité maximale des infrastructures : couplé à une approche raisonnée et intégratrice des temporalités urbaines – lourd dossier – dont l’exploration intéressante mais plus que tâtonnante est actuellement mise à l’épreuve dans le cadre du Grand Paris. Elle lui permettra d’affecter aux mêmes voiries des usages différents, à des séquences horaires différentes (transport logistique en site propre la nuit, transport en commun en site propre le jour, par exemple). Et ce n’est pas science-fiction, les avancées extrêmement stimulante de Sogaris le prouvent. Cela pour l’intra-urbain comme pour l’interurbain, la logistique se réarticulant sur les grands axes ferroviaire, fluviaux et maritimes, d’où l’enjeu crucial des connexions segmentaires d’axes de transport.
     Mais les friches ne doivent pas laisser en creux le nouveau statut de la rue appelée à être massivement réinvestie par les corps, par le rapport physique à l’espace urbain et à la généralisation des mobilités douces. Dès lors, sur le plan fonctionnel, la fin de l’automobile sera marquée par l’explosion du nombre de vélos requérant de lourdes adaptations de la part des opérateurs de transport et la généralisation des options prises déjà par certaines villes des Pays-Bas, d’Allemagne, de Suisse et maintenant de France (Strasbourg) qui adoptent un code de la rue. Le problème endémique du vol serait dès lors ingérable ? Qu’à cela ne tienne, le Cardboard bike (vélo jetable) du jeune anglais Phil Bridge a déjà pensé une solution.
          À travers ces pratiques embryonnaires – le futur est donc déjà ici et maintenant – c’est un véritable glissement qui s’opère, d’un modèle pessimiste de déclin vers un modèle bien plus optimiste et stimulant fondé sur l’inventivité et non sur le passé. C’est celui de la ville des courtes distances, promu notamment par la Commission européenne dans son livret vert. Ce modèle part d’un constat quantitatif simple : en 2007, un trajet sur deux en voiture était inférieur à 3 km et plus de 60 % des déplacements en ville s’effectuaient encore en voiture, 27 % à pied, 9 % en transport en commun, 2 % en vélo et 2 % en deux-roues motorisés. La ville des courtes distances propose donc de réorganiser les services (commerces, institutions…) afin qu’ils soient immédiatement accessibles à tous entre 20 minutes et une heure maximum de trajet.
     Pour cela, elle favorise fortement les transports en commun et les mobilités douces (vélo, marche). Plus encore, elle intègre de profondes transformations stratégiques dans la programmation urbaine, visant à concentrer l’essentiel des services quotidiens à moins de 800 mètres des logements, des pôles d’échanges ou des parcs relais. Cette ville-là est déjà réalité dans certains secteurs en Suisse, dans les pays du nord de l’Europe : les Pays-Bas, toujours, ont clairement inscrit cette vision dans le Plan d’aménagement du territoire ; leur politique de l’ABC consiste à classer les sites en fonction de leur desserte et à localiser les générateurs de déplacement en concordance (la bonne entreprise au bon endroit). Des mesures complémentaires, outre celles relatives au renforcement du potentiel économique, sont proposées, visant un développement optimisé dans les villes et les zones urbaines. Ce scénario nécessite un très puissant portage politique, surtout lorsqu’il a à passer à la couche hautement radioactive du développement des stratégies adaptées au contexte local visant à maîtriser les conséquences des restructurations économiques, à réaliser le guidage de l’expansion spatiale des villes
     Et c’est bien sur cela qu’il s’agit de conclure : la ville post-automobile, résultat d’un choix plus que de contraintes, n’est et ne restera qu’une fiction tant que les conditions partagées d’organisation et d’affirmation de ses orientations n’auront pas été établies. Une utopie ? Celle d’un choix situé entre le pire et le meilleur des mondes urbains, probablement.

 Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Reso (Rennes 2) et du laboratoire LAUA (École nationale supérieure d’architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique.