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Histoire & Patrimoine
#31
Les réfugiés, l’Immortel et le bistouri : Georges Duhamel à Rennes en 1940
RÉSUMÉ > En mai 1940, l’écrivain Georges Duhamel au faîte de la gloire se souvient qu’il avait été chirurgien dans les tranchées de la Grande Guerre. Face à l’invasion allemande, il arrive à Rennes, se met au service de l’hôpital Pontchaillou et y opère des centaines de blessés de l’exode. De cette aventure humanitaire, Duhamel fit un livre, Lieu d’asile, aussitôt brûlé par les Allemands. Voici l’histoire de cette équipée rennaise hors-norme dans laquelle l’écrivain impliqua sa femme Blanche, son fils Jean, son neveu Jean-Jacques et un étudiant de 19 ans, Yves Ciampi, qui allait devenir un cinéaste connu.

     « Le voyageur qui sort de Rennes en suivant le canal d’Ille-et-Rance, aux eaux lentes et gâtées, aperçoit, par-dessus la toiture des casernes, par-dessus les maisons des faubourgs, le clocheton d’une chapelle. C’est l’hospice de Pontchaillou, qui s’élève sur la colline, au nordouest de la métropole bretonne, parmi les emblavures, les boqueteaux et les jardins… »
    Ainsi débute un étrange petit livre intitulé Lieu d’asile. La touche bucolique ne doit pas faire illusion. Elle introduit un récit terrible où l’auteur rend tangibles les souffrances subies par les populations civiles mitraillées sur les routes de France. Femmes, enfants, vieillards, débarqués à l’hôpital de Rennes, amputés, brisés, mourants. Le livre pétri – un peu trop, penseront certains – d’amour compassionnel est dû à un grand écrivain de l’époque, un humaniste athée dont le coeur penche un peu à gauche : Georges Duhamel.

     Si son oeuvre est tombée dans l’oubli à partir des années soixante, Duhamel est alors un écrivain de premier plan. Médecin de formation, poète, musicien, il connaît la célébrité depuis l’épreuve de la Grande Guerre grâce à deux livres ; Vie des martyrs paru en 1917 et Civilisation publié l’année suivante, et auxquels Lieu d’asile répondra comme un lointain écho. Ces deux oeuvres de témoignage et de réflexion sont directement issues de l’expérience de l’auteur, chirurgien engagé1 au coeur du carnage dans une unité chirurgicale mobile, dite « autochir ». Grâce à Civilisation, paru sous pseudonyme, le Dr Duhamel décroche le prix Goncourt 1918 puis devient écrivain à plein-temps se lançant notamment dans l’élaboration de romans-fleuves qui sont dans l’air du temps. Ce sera Vie et aventures de Salavin (5 volumes) puis la Chronique des Pasquier (10 volumes), sagas familiales promises à grand succès. La présence active de l’auteur sur tous les fronts de la vie littéraire parisienne lui vaut d’être élu dès 1935 à l’Académie française.

     À nouveau la guerre. D’abord la « drôle de guerre ». Puis à compter du 10 mai 1940, l’offensive victorieuse de la Wehrmacht. Dans les colonnes du Figaro, Duhamel n’a cessé depuis des années de pointer le fléau nazi en prédisant le pire. Le pire est bien là. Paris menacé par les bombes, l’écrivain et sa chère épouse, l’actrice Blanche Albane2, quittent en voiture leur hôtel particulier de la rue de Liège, près de la gare Saint-Lazare. Direction Ouest pour retrouver leurs trois fils, Bernard, Jean et Antoine. Ce dernier3, âgé de 15 ans, est pensionnaire dans un collège de Vernon (Eure) mais toute l’école est déjà partie se réfugier dans les Pyrénées. On file donc vers Rennes où Jean4, le deuxième fils, âgé de 21 ans, fait ses études de médecine, tandis que l’aîné, Bernard5, 23 ans, après un séjour rennais, est pour l’heure affecté comme médecin auxiliaire dans une caserne de La Roche-sur-Yon.
    Pourquoi Rennes ? En vertu d’un flux « migratoire » éphémère qui vit toutes sortes d’institutions se réfugier dans la capitale bretonne à compter de la déclaration de guerre en septembre 1939. Citons par exemple la classe d’hypokhâgne du lycée Henri-IV ou encore l’orchestre de la Radio nationale avec tous ses musiciens6. Comme dit plaisamment Antoine Duhamel joint au téléphone : « Vous savez, toute la France était à Rennes à cette époque ! »

     Si le « clan » Duhamel débarque à Rennes, c’est surtout à cause des relations que Georges entretient avec le Dr Eugène Marquis7 qui à cette époque règne en maître sur le monde médical rennais : il dirige l’École de médecine, ainsi que la clinique Saint-Vincent qu’il a fondée, il opère au Centre régional de lutte contre le cancer, il est le correspondant de l’Académie de médecine… Bref, un homme d’influence. Georges et lui se connaissent et s’estiment depuis longtemps. On dit que leur amitié serait née sur le front de la Grande Guerre quand Marquis, as du bistouri, dirigeait une autochir. Mais rien ne permet de confirmer cette rencontre.
    Pour savoir comment le séjour des Duhamel à Rennes s’est enclenché, il faut écouter le seul témoin survivant de cet épisode, Jean-Jacques Hueber. Âgé de 94 ans, il vit à Mûr-de-Bretagne après une carrière de pédiatre à Paris. Neveu de Blanche Duhamel, l’épouse de Georges, il avait 20 ans à l’époque. Il raconte : « à la rentrée 39, mon père et oncle Georges ont souhaité que mon cousin Jean et moi fassions notre médecine hors de Paris en attendant une probable mobilisation. Pour cela Georges a contacté son ami Marquis qui lui a dit, “mais oui qu’ils viennent faire leur médecine à Rennes”. Marquis, un “ponte” autoritaire et bon, nous trouva des chambres dans la Cité universitaire du boulevard de Sévigné. C’était magnifique, la vie pour nous y fut très agréable ».

     Mais à la fin de l’année universitaire, le climat s’assombrit. C’est l’invasion des Allemands chassant devant eux des réfugiés fuyant la Belgique et le Nord de la France. « Ce qui se passait à la gare était épouvantable. Je me souviens des explosions, et de ce train qui avait été mitraillé avec des morts et des blessés. Mon cousin et moi passions des journées entières à faire des sandwiches que nous allions distribuer à tous ces malheureux soit à la gare, soit sur le Champ de Mars. »
    Un jour, autour du 15 mai, « quelle surprise ! au milieu de tout ce chaos nous voyons débarquer oncle Georges et tante Blanche venus à la rencontre de Jean. Aussitôt Blanche retrousse ses manches pour confectionner des sandwiches tandis que Georges part à la recherche de Monsieur Marquis », se souvient un Jean-Jacques tout heureux de retrouver à Rennes cet oncle et cette tante qu’il considère « à l’égal de [ses] parents ».

     L’académicien interpelle Marquis: « Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ? » Réponse : « Oui, Duhamel, vous êtes le bienvenu car nous n’avons plus de médecins à l’hôpital pour opérer les gens ». Faut-il croire César Santelli, auteur d’une biographie de Duhamel, quand il écrit que la ville est alors « désertée par les autorités, par tous les notables et aussi, hélas ! par les médecins qui abandonnent à leur sort, là comme ailleurs, les malades et aussi les blessés de la bataille »8. L’accusation est un peu raide. Jean-Jacques Hueber ne la confirme pas. Pour lui, les médecins hospitaliers étaient bien présents à Rennes. S’ils étaient en petit nombre c’est pour la bonne raison que certains étaient mobilisés dans l’armée.
    Très vite, en deux ou trois jours, Marquis et Duhamel organisent leur affaire en mettant sur pied une unité d’urgence dans l’enceinte de Pontchaillou, désigné par l’écrivain comme « le royaume et le refuge de la charité en péril ». Ils disposent pour cela d’un local tout désigné. Trois baraquements sommaires que Rennes, ville de l’arrière, avait eu l’idée de construire dès la déclaration de guerre en prévision d’un afflux de blessés. Ces pavillons sont situés juste en face du centre anti-cancéreux9 appelé à l’époque Centre des tumeurs et aujourd’hui Centre Eugène-Marquis. Duhamel en donne la description.

     « Trois pavillons bas, allongés en bordure des champs d’avoine. Les murs en sont de brique creuse, avec beaucoup de fenêtres menuisées dans le bois vert et qui ferment à la diable. La toiture faite de zinc ondulé, brûle sous le soleil de mai. Le sol est de ciment, sain et propre. » Problème, ces bâtiments sont vides. À la hâte, il va falloir équiper « ces chambrées moroses, branlantes, visitées des courants d’air, hantées par les grillons, les faucheux et les moustiques, en faire quelque chose de propre qui soit quand même un hôpital. » Des petites caisses à cognac vont servir de tables de nuit. Le système D est à l’oeuvre. En moins de deux, on déniche chaises, tabourets, lits, oreillers, tout cela sous la conduite de Duhamel et de ses proches.
    Car il s’agit d’une affaire familiale. Au côté de l’écrivain, il y a Blanche qui jour et nuit durant les deux mois à venir s’activera auprès des malades pour « faire manger un enfant, recoudre un bouton, raccommoder un vêtement, raconter une histoire, tout cela avec énormément de coeur et d’intelligence », se souvient son neveu Jean- Jacques. Autres membres de la « famille», trois étudiants : Jean Duhamel, le fils, Jean-Jacques Hueber, le neveu, et Yves Ciampi, un ami étudiant en médecine de 19 ans. Futur cinéaste10, il a déjà tourné un documentaire sur le cancer et s’est installé à Rennes en 1939 avec son père, le pianiste Marcel Ciampi, et sa mère, la violoniste Yvonne Astruc, venus en Bretagne avec la grande migration de l’orchestre national.

     Le « chef de service » Duhamel confie la responsabilité d’un pavillon à chacun de ces trois apprentis médecins, Jean, Jean-Jacques et Yves. Tout est prêt pour y accueillir deux à trois cents personnes venues du Nord, de l’Orne ou d’ailleurs, souvent « recrues de souffrance », errants mitraillés en plein sommeil, échoués à Rennes en quête de soins. Il y a des peu valides et des blessés sérieux, des enfants et des femmes près d’accoucher. Tout le monde s’entraide. Les étudiants soignent les blessés légers sur place. Quant aux plus graves, c’est l’affaire de Georges. À 56 ans, l’académicien retrouve ses réflexes de chirurgien laissés en jachère depuis plus de vingt ans. C’est en face, au Centre des tumeurs, « très bien équipé », qu’il opère ainsi des dizaines de personnes, environ deux chaque matin.
    Infatigable, Duhamel ne cesse de faire la navette entre le bloc chirurgical et les pavillons. « Il était toujours soucieux de l’état du dernier opéré, de la fièvre d’un autre. Je le vois assis auprès d’un grand malade, lui tenant la main, s’entretenant avec lui à voix basse », se souvient Jean-Jacques Hueber dans un article.11

     L’académicien est loin d’avoir perdu la main. Un jour Jean-Jacques, un peu effrayé, aide « oncle Georges » pour l’amputation d’une jambe : « Je l’ai vu prendre son bistouri et inciser sans la moindre hésitation, avec une précision extraordinaire, ensuite il nous expliquait comment s’y prendre pour faire un beau moignon pas trop douloureux et facile à appareiller. »
    À Pontchaillou, la vie quotidienne est harassante et cruelle mais aussi pleine de douceur et de sollicitude. Le monde des pavillons est celui de l’humanité mise à nu, de l’urgence de vivre, de l’héroïsme sans tapage. C’est ce que traduira Duhamel dans Lieu d’asile faisant le portrait de quelques éclopés admirables de dignité et de bonne humeur auxquels il rend un poignant hommage.
    La tâche est si absorbante que durant toute cette période Georges et Blanche logent sur place, dans une chambre du Centre des tumeurs mise à leur disposition. Toute l’équipe prend ses repas en commun au réfectoire avec les bonnes soeurs. « Nous allons peu en ville », confie Georges dans une lettre adressée à son fils Bernard. Toutefois, précise-t-il, « le dimanche nous déjeunons chez le docteur Marquis » (qui habite un hôtel particulier à l’entrée de la rue de Fougères). Et « samedi, nous avons déjeuné chez les Ciampi. »

     Dans le même courrier daté du 9 juillet, on apprend que le départ est proche. « Je pense que dans huit ou dix jours, le travail que nous donnent les blessés commencera à décroître. Si les routes sont libres nous tâcherons alors de rentrer à Paris ». Ce sera chose faite. « Vers la mijuillet, on a réussi à avoir de l’essence pour la voiture ainsi que les autorisations et on est tous remontés à Paris », témoigne Jean-Jacques Hueber.
    Pour Georges Duhamel, impossible d’oublier Rennes. Il lui faut témoigner par écrit de cette expérience. Elle ne cessera de le hanter jusqu’à sa mort en 1966. « Là, à Rennes, il avait vraiment approché la misère, le malheur, bien loin des épisodes de la vie littéraire qui faisaient l’ordinaire de sa vie », explique Jean-Jacques. Et Antoine de confier : « Mon père considérait qu’il avait accompli à Rennes une véritable action de guerre ».

« Lieu d’asile », un livre de témoignage

     Dans la préface à la réédition de Lieu d’asile en 1945, Duhamel indique avoir « composé ce récit en 1940, à la fin de l’été (…) J’avais, de mai à juillet, soigné dans une ville de l’Ouest, cinq à six cents blessés civils ramassés au long des routes, dans les champs et dans les bourgs ». Aussi veut-il « raconter l’histoire » de ces blessés afin de montrer que « les Français de l’année 1940 n’étaient point indignes de leurs pères, les hommes de 1918, et qu’ils savaient, eux aussi, regarder le malheur en face. » Avec Lieu d’asile Duhamel accomplit la même mission qu’avec Vie des martyrs et Civilisation parus lors de la guerre précédente, quand il écrivait : « J’ai recréé cette souffrance pour qu’elle ne risquât point de périr. »
    Le petit livre de 142 pages, à l’émotion soutenue, est édité début 1941 par le Mercure de France, maison que Duhamel connaît bien pour en avoir été le directeur pendant deux ans au cours des années trente et désormais sous la coupe d’un collaborateur notoire de la propagande allemande. Écoutons le récit de César Santelli : « Duhamel se rend, un matin rue de Condé, au Mercure, pour faire son service de presse. Il vient de dédicacer quelques exemplaires lorsqu’un coup de téléphone rageur et impérieux provenant de la Propaganda Staffel lui intime l’ordre d’interrompre ce travail et annonce que les exemplaires de Lieu d’asile vont être saisis et mis au pilori, ce qui est suivi d’exécution dès le lendemain. »

     Le livre est non seulement interdit mais détruit. Avant de brûler les exemplaires, les Allemands tentent de convaincre l’auteur d’amender son récit. Duhamel avait pris soin de ne jamais citer le mot « Allemand », d’éviter toute allusion à l’ennemi. Mais justement ce que les Allemands reprochent à l’académicien c’est de ne pas avoir mentionné dans son livre « les services rendus par les troupes allemandes aux réfugiés ». Duhamel refuse de retoucher son texte : « Je n’ai strictement rapporté que ce que j’ai vu », plaide-t-il.
    C’est le début d’une guerre de plusieurs années entre l’Occupant et Duhamel, lequel est élu en 1942 secrétaire perpétuel de l’Académie Française. Mission à haut risque que celle de diriger la prestigieuse compagnie quand elle comporte en son sein des écrivains pétainistes. L’histoire retiendra que Duhamel – dont toute l’oeuvre est interdite – fait front, refuse de se soumettre au point que De Gaulle à la Libération rendra hommage au « courage » du secrétaire perpétuel.

Le « pavillon Duhamel » toujours debout

     Que reste-t-il de l’action héroïque de Georges Duhamel à Rennes ? En premier lieu le livre Lieu d’asile heureusement réédité en 1945 mais aujourd’hui peu accessible puisque jamais republié (à quand une réédition ? ). Pour le reste, à défaut d’avoir donné un nom de rue à l’écrivain12, Rennes maintient vivant le nom du chirurgien grâce au « Pavillon Duhamel » bien connu des usagers de Pontchaillou. L’histoire semble incroyable : comment des baraquements d’urgence érigés dans la panique de 1939 et promis à destruction peuvent-ils continuer en 2014 à survivre au milieu d’une architecture hospitalière moderne et fonctionnelle ? On ne veut pas croire que ce soit pour honorer la mémoire Georges Duhamel, mais bien plutôt en vertu d’un souci d’économie.
    Entre « Eugène-Marquis » et l’École d’infirmières, une seule des trois longues et plates baraques d’origine est donc toujours debout. En cet été 2014, alors que la tendance est plutôt de raser pour reconstruire, le bâtiment est en pleins travaux pour accueillir une unité d’hospitalisation de courte durée en psychiatrie de 15 lits. Ravaudé de multiples fois, toujours un peu en marge, « Duhamel » a bien servi depuis la guerre. Accueil de blessés américains et allemands après la Libération, accueil de patients en neurologie du professeur Olivier Sabouraud. Accueil de malades auprès du gastro-entérologue Joseph Gastard qui n’oublie pas « le sol en ciment brut » et « l’équipement très fruste » du pavillon13 . Accueil de personnes âgées… Comme dit Marie-Madeleine Villeneuve, une ancienne infirmière, « Duhamel est rudimentaire mais bien utile ».

En 1953, une promotion d’infirmières

     Mais, il faut le reconnaître, à part le pavillon, le souvenir de l’épisode de mai-juin 40 s’est aujourd’hui effacé à Rennes, y compris au sein du milieu hospitalier. L’oubli fut progressif car en 1953, on donna encore le nom de Georges Duhamel à la promotion de l’École d’infirmières de cette année-là. L’écrivain fit même le déplacement et sur la photo officielle de la cérémonie de parrainage on le voit trôner au côté d’Eugène Marquis devant les 79 élèves (dont 7 religieuses) que comptait cette promotion 53-55.

     Le circuit de la mémoire commémorative suit toujours un cours capricieux. En témoigne l’histoire de la plaque fantôme. Après guerre (date inconnue), on fixa sur le pavillon Duhamel cette inscription gravée dans le marbre en lettres dorées : « Ici, des femmes, des enfants, des vieillards, victimes de la barbarie allemande furent opérés et sauvés en 1940 par Georges Duhamel de l’Académie française. »
    Plusieurs témoins nous avaient parlé de cette plaque bizarrement disparue, on ne savait plus quand. C’est à l’Hôtel-Dieu, en rendant visite au Conservatoire du patrimoine hospitalier, que nous l’avons retrouvée, fixée au mur à côté de milliers d’objets médicaux recueillis par cette dynamique association14. Le Conservatoire l’avait récupérée quelque part dans les réserves de Pontchaillou.

     Pourquoi donc avait-elle été enlevée ? Le « coupable » s’est désigné lui-même. Il s’agit du Pr Bernard Le Marec, ancien chef du service pédiatrie du CHU. Au cours des années 1990, explique-t-il, la référence à la « barbarie allemande » n’était plus de mise. « Barbarie nazie » passe encore, mais « allemande », ce n’était plus possible à l’heure de la réconciliation. Bernard Le Marec ajoute cette précision : « Dans ces années-là, mon collègue et ami le Pr Rudolf Pfeiffer, d’Erlangen, devait nous rendre visite à Pontchaillou dans le cadre du jumelage. J’ai réalisé que pour aller déjeuner ensemble à la cantine, nous serions obligés de passer devant le pavillon Duhamel et cette fameuse plaque qu’il ne pourrait pas ne pas voir. » Tourmenté, Le Marec va alors frapper à la porte du directeur de l’hôpital, Pierre Schlosser15. Les deux hommes ont chacun un lien familial fort avec l’Allemagne, ils tombent d’accord pour faire ôter la plaque commémorative avant l’arrivée de l’ami Rudolf. Fin de la « barbarie allemande ».
    Ainsi s’estompent les traces de Georges Duhamel. Pas question de jeter la pierre aux deux « démonteurs de plaque ». Connaissant l’humanisme bienveillant du personnage, il ne fait aucun doute que le chirurgien Duhamel eût donné un plein accord à cette « ablation mémorielle ». Sachant que rien, jamais, ne pourra effacer les mots de Lieu d’asile.