Les racines rennaises de la famille Jobbé-Duval remontent au 17e siècle. Laurent-Jean Jobbé-Duval (1751-1805) était employé au parlement de Bretagne et épousa une Rennaise, Louise Armelle de la Croix Herpin. C’est de ce couple que viennent les deux grandes lignées comptant nombre d’artistes sur cinq générations. La première est issue de leur fils Thomas-Félix Jobbé-Duval (1787-1860) qui lui-même a deux fils dont le plus illustre, Armand-Félix, est le peintre du Parlement de Bretagne et l’homme politique, républicain, qui siégea durant de nombreuses années au conseil municipal de Paris. La seconde est, quant à elle, issue de leur fille Louise Jobbé- Duval (1785-1852) qui eut un fils unique Auguste-Louis Jobbé-Duval (1819-1881), artiste, peintre et décorateur qui fonda l’entreprise de décoration rennaise et fut chargé du décor des plafonds de la cathédrale de Rennes.
Armand-Félix Marie Jobbé-Duval (1821-1889) est celui dont on connaît le mieux l’oeuvre et la carrière. Ses parents, Thomas Félix Jobbé-Duval et Charlotte Le Tournoux de Villegeorges (1791-1828), tous deux originaires de Rennes, se sont mariés le 28 novembre 1811 et ont eu quatre enfants. Dernier de la fratrie, il naît le 17 juillet 1821 à Carhaix où son père est alors géomètre pour le cadastre du Finistère. Tandis qu’il étudie au collège de la Tour d’Auvergne à Quimper, il montre déjà des qualités artistiques et des talents de dessinateur qui lui permettent d’obtenir une bourse du conseil général du Finistère et d’entrer à l’école des Beaux-arts de Paris le 1er avril 1840. C’est dans l’atelier du peintre Paul Delaroche qu’il va recevoir ses premiers enseignements avant de rejoindre celui de Charles Gleyre en 1843.
Admis à concourir à cinq reprises pour le prix de Rome entre 1842 et 1847, il travaille à développer une technique rigoureuse et scrupuleuse des exigences académiques. Il participe également au Salon des Artistes Français dont il fait partie du jury à partir de 1861.
Spécialiste des décors monumentaux, il reçoit au cours de sa carrière de nombreuses commandes émanant aussi bien de l’Église que de l’État. En 1867, il est choisi par l’architecte du diocèse de Rennes Charles Langlois pour exécuter le décor du plafond de la troisième chambre des appels correctionnels, située dans le pavillon sud-ouest du parlement de Rennes.
Inscrite dans les volumineux caissons sculptés par Jean-Baptiste Barré, il propose une iconographie revisitée de la Vérité dont la composition rappelle celle du Triomphe de la Justice de Jean Jouvenet mais dont la personnification est inspirée par La source d’Ingres.
Sous les traits d’une femme robuste légèrement déhanchée dont la nudité fut peu appréciée, la Vérité levant les bras est entourée de la Justice, de l’Innocence et du Droit. À ses pieds, les Crimes au corps musculeux et sombres, comme les figures de l’Éloquence, de la Science, de la Prudence et de la Force qui épousent les médaillons circulaires des angles, reflètent son goût particulier pour la peinture de Michel-Ange et la leçon retenue de son maître Paul Delaroche. Il s’était également inspiré des sibylles de la Chapelle Sixtine à Saint-Sulpice en 1859. Il côtoie de nombreux artistes parmi lesquels les paysagistes Jean-François Millet et Charles-François Daubigny ou encore Paul Gauguin auquel il fait découvrir la célèbre pension Gloanec à Pont-Aven. Sa peinture savante et sa technique rigoureuse sont imprégnées de multiples références sujettes à de nombreux débats sous le Second Empire. Religieuse ou historique, elle reste surtout marquée par le choix de compositions monumentales annonçant par certains aspects les grands décors à caractère moraux exécutés sous la IIIe République.
Armand-Félix fut aussi très impliqué dans la vie politique parisienne. Militant républicain, il prit part aux émeutes qui firent tomber Louis-Philippe en 1848, puis au Gouvernement de Défense Nationale initié par La Commune en 1871. Après la chute de Napoléon III, il fut élu au Conseil municipal du XVe arrondissement et le demeura jusqu’à sa mort. Franc-maçon, fouriériste et profondément laïc, il fut aussi l’initiateur d’un établissement pour jeunes enfants incurables ainsi que d’orphelinats laïcs municipaux. En hommage au service et au dévouement dont il fit preuve tout au long de sa carrière politique, une rue du XVe arrondissement de Paris porte aujourd’hui son nom.
Fils unique de Louise Jobbé-Duval, il fonda la Maison Jobbé-Duval en 1843 place du Palais à Rennes. Il enseigna le dessin à la Halle aux grains et se spécialisa dans la décoration, la restauration de tableaux et la dorure sur bois. En 1844, l’évêque de Rennes, Mgr Godefroy Brossay- Saint-Marc, le chargea des décors de la voûte de la nef de la cathédrale dont la reconstruction était achevée. Rompant avec la sobriété néoclassique de l’oeuvre de Mathurin Crucy, la voûte en berceau couverte de caissons ornés d’ors digne des grandes basiliques italiennes, fut entièrement peinte d’écussons aux armes de la Bretagne et des diocèses suffragants de l’archevêché de Rennes.
De son mariage avec Henriette Frédérique Guérin (1827-1888) en 1845 naquirent six enfants, dont trois fils qui exercèrent également des carrières artistiques. Frédéric Auguste (1847-1929) fit une carrière d’architecte qui débuta aux Beaux-arts de Paris dans l’atelier de Louis André. Légitimiste convaincu, il construisit plusieurs édifices pour la haute bourgeoisie à Rennes dont l’Hôtel Berthelot qui domine l’esplanade du Champ-de-Mars, l’élégant hôtel éclectique du 3 rue de la Palestine, l’ancien Hôtel Jobbé-Duval 57 boulevard de Sévigné ou sa propre maison 21 rue de Brizeux (1886). Architecte-artiste, il réalise également la maison aux accents régionalistes Ty nevez Croguen (la maison neuve de la coquille) en 1879 (5 rue du Général Maurice Guillaudot). Il fut également restaurateur et intervint dans plusieurs châteaux en Bretagne (Langon et Paimpont en Ille-et-Vilaine) ou encore sur la forteresse de Largouët à Elven et au château de la Grée de Callac à Augan dans le Morbihan. Il n’érigea qu’une seule église à Mouazé.
Son frère Auguste (1847-1932) succéda à son père dans l’entreprise de décoration, et réalisa avec leur jeune frère Gaston (1856-1929) de nombreuses décorations pour des hôtels particuliers, notamment l’Hôtel de Courcy ainsi que la salle des fêtes de la mairie et le foyer du théâtre de Rennes. Le benjamin de la famille eut un fils également prénommé Gaston (1895-1929) qui mourut prématurément à 34 ans et qui exerça aussi le métier d’artiste peintre. En 1932, c’est le fils d’Auguste, Henri (1884-1949), qui le remplace à la tête de l’entreprise dont le fils René est également formé dans l’atelier familial et à l’École des Beaux-arts. Cent ans après son grand-père, il restaure les décors de l’Hôtel de Courcy avec son fils Olivier qui perpétue la tradition de doreur et de restaurateur de la plus ancienne maison de France aujourd’hui installée à Bazouges-la-Pérouse. Frédéric quant à lui, est le père de l’illustrateur prolifique Félix-Pol Jobbé-Duval (1979-1961) qui travailla pour de nombreux journaux comme Frou-Frou, Le rire, Le Charivari ou les prestigieuses éditions Casterman, Paul Duval, Fernand Nathan ou la Librairie universelle.