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Contributions
#26
Métropole rennaise : les moteurs de la croissance à la loupe
RÉSUMÉ > L’essor économique de Rennes Métropole est évident. Mais la croissance observée varie d’une commune à l’autre de l’agglomération. Les moteurs de cette croissance sont loin d’être identiques, et les trajectoires suivies sont rarement comparables. Selon que les activités dominantes soient « présentielles » ou « exportatrices », les schémas de développement territorial varient profondément. Dans une analyse comparative très détaillée, Yves Morvan décrypte ici les atouts et les faiblesses économiques de l’agglomération rennaise. Et dans une économie en mutation, la vigilance s’impose.

     La dynamique d’un territoire, celle qui entraîne création d’emplois et distribution de revenus, ne résulte pas du seul essor de ses activités de production traditionnellement avancées, comme l’industrie ou l’agriculture... Loin de là ! Il a été démontré, notamment par les importants travaux de Laurent Davezies1 ou encore ceux du rennais Loeiz Laurent2, que maintes dynamiques pouvaient animer les territoires. Parmi celles-ci, à partir des démarches de l’Insee3, on distinguera ici deux formes de moteurs susceptibles de provoquer le développement économique des communes :

D’un côté, les « activités exportatrices » : ce sont les activités qui produisent des biens et des services majoritairement tournés vers les marchés extérieurs, ou éventuellement destinés aux entreprises de cette commune. On entend par « extérieurs » les marchés étrangers, bien sûr, mais aussi les marchés constitués par les communes voisines. Le développement de ces activités, qu’on appelle encore « productives », ressort d’une logique de l’offre. On rangera dans ces activités l’industrie, une grande partie de l’agriculture, bon nombre de services. On peut considérer ces activités comme « exposées » à toutes les formes de concurrence nationale ou internationale.

D’un autre côté, les « activités « présentielles » : ce sont les activités de proximité mises en oeuvres localement et tournées vers la satisfaction des besoins des populations de la commune. Leur développement résulte plutôt d’une logique de la demande qui est alimentée par les revenus de la population résidente (et par sa propension à consommer) ; elle est aussi alimentée par les revenus des personnes mobiles en provenance de l’extérieur et que le territoire a su attirer : retraités, touristes, militaires et surtout « navetteurs » qui ont choisi de résider ici et qui vont travailler ailleurs… Dans tous les cas, les revenus dépensés sont les revenus directs du travail et du capital que les personnes ont pu s’approprier, à l’intérieur ou à l’extérieur de la commune, mais aussi les revenus particulièrement importants de la redistribution nationale dont ils ont pu profiter : retraites, allocations et aides diverses 4…

Ces activités présentielles rassemblent le commerce, l’artisanat, les services publics et privés aux ménages, les transports de voyageurs, la santé, la restauration, la construction… Satisfaisant les demandes directes des populations, elles sont réputées comme souvent moins « exposées » que les précédentes à la concurrence extérieure et peu délocalisables.
    L’évaluation des poids respectifs de chacune de ces activités est établie à partir du recensement des emplois au sein de chaque commune, sur leur lieu de travail… Leur distinction permet de mieux comprendre les logiques de spécialisation des territoires et de suivre leurs trajectoires de développement dans le temps. Elle fournit aussi une grille de lecture de leur degré d’ouverture sur l’extérieur et, partant, de leur degré de vulnérabilité immédiat.

Une importance croissante des activités « présentielles »

     Au niveau de Rennes Métropole, sur une assez longue période (1975-2010), l’emploi total a crû de 102 000 unités (soit +78%) ; l’économie présentielle et l’économie exportatrice se sont toutes deux développées, mais la première a progressé plus vite (+90%) que la seconde (+59%), de sorte que sa proportion au sein des emplois totaux n’a cessé de croître (tableau no 1). Le ratio « emplois présentiels/emplois exportateurs » (1,9 en 2010) s’est continuellement élevé, et il est devenu largement supérieur au ratio régional breton.
    Au niveau de la seule ville de Rennes, sur la même période, les mêmes phénomènes s’observent : les emplois totaux ont crû de 37%, tandis que les seuls emplois présentiels ont crû de 43%, de sorte qu’aujourd’hui, ils représentent plus de 7 emplois sur 10 sur la même période : 76% exactement ! (tableau no 2)…Le rapport emplois présentiels sur emplois exportateurs (3,2) est supérieur à celui qui est observé au niveau de Rennes Métropole, et même au niveau de la ville de Nantes (2,7) ou de Saint-Malo(2,6) ; il est équivalent à celui de Brest.

     Cet essor des activités présentielles n’est pas surprenant : il s’explique bien évidemment par les hausses de populations, résultat de l’attractivité résidentielle de nombreuses communes, et par l’importance des revenus qu’elles capturent à l’extérieur…Il s’explique encore par des modifications dans les caractéristiques de la société qui stimulent la consommation : réduction de la durée de travail, augmentation des processus publics de redistribution de revenus, allongement de la durée de vie, progression des résidences secondaires, essor du tourisme…Il s’explique aussi par le développement continu de nombreux (et nouveaux) services au profit des ménages : télécoms, crèches, aides médicales…Il s’explique enfin par l’essor de pratiques variées qui se confortent : les « circuits courts » qui rapprochent les producteurs locaux (notamment agricoles) et les consommateurs ; « l’économie de fonctionnalité » qui consiste à remplacer les produits mondialisés par des services localisés; « l’économie circulaire » qui fait que les déchets de certaines entreprises constituent des matières premières pour d’autres acteurs.
    Pour autant, il ne faut pas oublier que l’importance de ces dernières activités est souvent surestimée, dans la mesure où, du fait du développement de nombreuses pratiques d’externalisation, des fonctions qui étaient auparavant assurées par des firmes « exportatrices » (comptabilité, informatique…) sont désormais recensées comme des activités « présentielles ».

Toutes les communes de Rennes Métropole n’affichent pas le même profil. Un examen de la situation des 38 communes permet de repérer quatre groupes de communes, en fonction des parts relatives des activités « exportatrices » et des activités « présentielles » (carte page 131) :

Les communes à dominante « exportatrice » sont celles où moins de 50% des emplois sont consacrés à des activités présentielles: c’est le cas de Chartres-de-Bretagne, bien sûr, avec ses productions automobiles, mais aussi de Brécé, Chevaigné, Bourgbarré et, à un moindre degré, de Saint-Gilles, Vern/Seiche, Saint-Armel.

Les communes « équilibrées », où activités exportatrices et présentielles sont d’importances à peu près comparables: c’est le cas d’Acigné, du Rheu, de l’Hermitage, de Cesson, de la Chapelle-des-Fougeretz, de Parthenay, de Nouvoitou et de Clayes. à Cesson ou au Rheu, la part des activités exportatrices s’est accrue dans le temps, au fur et à mesure que ces communes connaissaient une forte croissance de leur emploi total.

Les communes à dominante « présentielle » modérée, celles où les activités de proximité représentent entre 55% et 70% des emplois totaux, sont très nombreuses. C’est le cas de Vezin, Noyal-Chatillon, Corps-Nuds, Saint-Jacques de la Lande, Saint-Erblon, Saint-Grégoire, Montgermont, Saint-Sulpice, Mordelles, Chantepie, Gevezé, Orgères… Ce sont des territoires de navetteurs entre le pôle urbain où ils travaillent et le lieu où ils résident.

Les communes très « présentielles », où la proportion des activités de proximité dépasse les 70% des emplois. Dans ces communes résidentielles, les populations sont importantes, les revenus médians plutôt élevés4, la croissance récente assez forte. On citera Betton, Bruz, Chavagne, Cintré, La Chapelle-Thouarault, Le Verger, Thorigné- Fouillard…

     Si globalement, au niveau de Rennes Métropole, les activités présentielles ont toujours crû plus vite que le total des activités, ce ne sont pas toujours les communes les plus présentielles qui ont connu les développements les plus rapides : certaines communes réputées « exportatrices » ont aussi connu de forts développements (telle Vern)… En outre, Les communes les plus riches4 ne sont pas les plus marquées en termes d’activités « exportatrices » : de nombreux flux circulent entre les territoires et beaucoup de communes récupèrent ainsi des revenus créés en d’autres: le sort d’un territoire dépend autant des revenus créés sur son sol que des revenus captés à l’extérieur… En revanche, on constate que c’est dans ces communes les plus riches que les activités présentielles à destination des ménages sont les plus développées.

     La ville de Rennes se révèle nettement plus marquée par les activités de proximité (74%) que l’ensemble national (68%), que la région Bretagne (66%) ou encore que la région Pays-de-la-Loire (qui, de ce point de vue, avec 64% d’activités présentielles, se révèle la dernière région française). En revanche, Rennes se compare aisément à la plupart des métropoles, toujours très marquées par une importance de ce type d’activités. Ce qui n’a rien de surprenant, puisque ces villes doivent assurer un nombre croissant de services aux acteurs caractéristiques des métropoles : universités, centres de recherches et de transfert, administrations, hôpitaux…
    Tandis que les activités métropolitaines croissent dans la ville-centre, les populations se déploient autour, et les richesses circulent en direction des périphéries, grâce notamment aux navetteurs dont les dépenses alimentent l’essor des communes où ils résident : la géographie de la croissance n’est pas celle du développement.
    A terme, les diverses projections démographiques faites au niveau de Rennes Métropole et de la ville de Rennes font entrevoir une poursuite de la croissance de la population. Si ces projections se confirment, l’essor des activités présentielles ne fait pas de doute. La question est de savoir jusqu’à quel point les gisements de croissance « exportatrice », à haute valeur ajoutée, se concentreront, ou se répartiront, sur l’ensemble des communes ; et de savoir aussi comment se déplacera le curseur délimitant les zones animées par les mécanismes de la consommation et les zones animées par la dynamique des activités exportatrices.

Les activités présentielles facteur de croissance ?

     Souvent méprisée sous prétexte qu’elle n’est pas la « vraie » économie, avec ses hangars et ses usines, et parce qu’elle vit largement des revenus provenant de l’extérieur, l’ économie présentielle est tout de même responsable des trois quarts des emplois nouveaux. Devenue ainsi un puissant moteur du développement local, elle participe à l’essor (et même parfois à la survie) des territoires restés à l’écart des compétitions internationales et en explique la bonne santé : sinon, comment justifier que certaines communes, sans production industrielle ou agricole, se portent si bien ?
    Pour autant, si elle génère des activités et des emplois, l’économie présentielle peut avoir des impacts limités sur l’évolution des économies locales : les emplois qui la caractérisent sont certes variés, mais souvent peu qualifiés, avec une faible productivité ; de la sorte, les revenus engendrés sont moins importants que leur présence le laisserait croire ; l’effet multiplicateur des emplois présentiels reste faible ; leurs contributions aux finances locales en restent aussi d’autant limitées…

Les activités présentielles, facteurs de stabilité ?

     Le développement des activités présentielles est réputé assurer une forte stabilité (et une forte autonomie) de l’économie des communes : il y aura toujours une demande pour des consommations locales de toutes sortes, surtout si la population des résidants et des touristes augmente en permanence, si la distribution des revenus sociaux se poursuit et si évidemment… l’offre disponible des biens et services suit !
    Toutefois, la dynamique induite par ces activités de proximité a des limites : en premier lieu, l’économie présentielle est très largement tributaire des revenus capturés sur l’extérieur (notamment des revenus sociaux, des salaires des fonctionnaires civils et militaires…). Si ces « amortisseurs » viennent à faire défaut, en période de restrictions budgétaires, par exemple, l’essor des activités présentielles va s’en trouver affecté. En second lieu, les activités des communes peuvent se trouver en concurrence avec les activités de leurs voisines, ou avec celles de la ville-centre, souvent plus diversifiées et plus sophistiquées. En outre, la bonne santé des territoires axés sur les activités présentielles peut être altérée par les difficultés des activités exportatrices elles-mêmes, celles-ci devenant alors incapables de distribuer des revenus supplémentaires. Enfin, à plus long terme peut-être, une hausse du prix des énergies et des coûts de transport pourrait induire une réduction des mobilités et des navettes résidence-lieu de travail.

     Très souvent, au niveau des communes, on fait semblant de se poser la question du choix entre ces deux formes de moteurs : faut-il promouvoir prioritairement le développement des entreprises exportatrices, au risque de bousculer les modes de vie et les équilibres écologiques ? Ne faut-il plutôt encourager les activités de proximité, en attirant des populations susceptibles de beaucoup dépenser et de largement contribuer à la richesse fiscale de la commune, au risque d’accroître les problèmes fonciers et de s’installer dans la dépendance de la solidarité nationale et des transferts de revenus, au risque même de ne plus rien produire du tout et de devenir de riches banlieues-dortoirs des villes innovantes ?
    En réalité, une chose est sûre : développer partout la seule économie présentielle serait, à terme, suicidaire. Il est nécessaire qu’au sein d’un ensemble comme Rennes Métropole, on puisse jouer sur les deux tableaux : il faut notamment qu’il y ait des activités industrielles, agricoles, de services, bien insérées dans la compétition mondiale, capables de générer des valeurs ajoutées qui permettront d’alimenter la distribution de flux de revenus de toutes sortes au sein des diverses communes du territoire : l’optimum intercommunal n’est pas la somme des optima locaux.