Michel Marty (1925-2009) est non seulement un bâtisseur remarquable mais aussi un architecte soucieux de la transmission de son œuvre. En effet, interrogé le 9 avril 1993 alors que le maire Edmond Hervé lui remettait la médaille de la Ville sur le sens du don de son fonds professionnel aux archives municipales, il déplorait l’éloignement subi par les papiers de certains confrères : « L’architecte écochard a beaucoup travaillé au MoyenOrient. Il a proposé ses archives à l’Institut Français d’Architecture qui les a refusées. Elles sont maintenant à Harvard ». À l’inverse, le fonds Marty-Denieul (du nom de son associé Jean Denieul à partir de 1956) a respecté le principe de territorialité.
Né en 1925, Michel Marty rejoint l’atelier Arretche dès 1944 pour y préparer le concours d’admission à l’École nationale supérieure des Beaux-arts où il sera reçu l’année suivante. Il effectuera plusieurs missions au Maghreb, notamment auprès de Michel écochard (1905-1985) au service d’urbanisme du Maroc, avant d’obtenir son diplôme d’architecte en 1953. C’est à cette date qu’il quitte l’atelier Arretche pour étudier à l’Institut d’urbanisme de la Ville de Paris jusqu’en 1955. à cette époque débutent ses premières missions en Ille-et-Vilaine avec la réalisation des plans d’aménagement de SaintBriac et Saint-Lunaire.
L’année suivante, il s’associe avec Jean Denieul et conduit une enquête d’urbanisme approfondie sur la ville de Rennes qui aboutira au premier plan d’urbanisme directeur. En 1960, il érige le vaste ensemble administratif de l’usine Citroën de La Janais à Chartres-de-Bretagne, après avoir été l’architecte-conseil du site parisien quai André-Citroën. Dans la foulée, il sera désigné architecte en chef de la zone à urbaniser en priorité du Blosne (ZUP Sud), créée par arrêté ministériel le 7 octobre 1959.
Sur 500 hectares au total, d’importants programmes de logements sociaux seront réalisés sous forme d’îlots avec une attention particulière aux équipements collectifs. Dans ce cadre, et avec le concours de la SEMAEB (Société d’économie mixte pour l’aménagement et l’équipement de la Bretagne) dont il sera l’architecte des bureaux au cœur du Blosne, Michel Marty sera à l’origine des centres commerciaux Alma, Italie, Le Landrel et Torigné. Cette expérience sur un périmètre aussi vaste et en devenir va le conduire à succéder à Louis Arretche en tant qu’urbaniste-conseil de la Ville de Rennes en 1971. Il conservera cette fonction jusqu’au terme de sa carrière en 1992.
La décennie 1970 correspond à l’essor de l’activité du cabinet Marty-Denieul, élargi entre-temps à un nouvel architecte, Gérard Paoli. Installé à Neuilly-sur-Seine, il dispose d’une implantation rennaise dans le quartier où il a tant œuvré, allée de Varsovie. La majorité de ses réalisations se situe dans l’ouest de la France, plus particulièrement en Bretagne, où le cabinet se partage entre l’Ille-et-Vilaine et les Côtes-d’Armor pour l’essentiel (il réalisera notamment des groupes scolaires à Saint-Brieuc et plusieurs constructions hospitalières à Paimpol).
Missionné par le ministère de l’Équipement, il pilote les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) et les plans d’occupation des sols (POS) de Châteaubriant, Dinard, Lannion, Loudéac, Saint-Brieuc et Saumur.
Sa nomination comme architecte en chef de la ZUP Sud par le maire Henri Fréville marque assurément sa carrière, en devenant ainsi le façonneur d’un quartier majeur de la ville. « L’architecte est un homme de passion qui a un privilège. C’est l’homme qui est capable de lancer des ponts pour l’avenir. C’est la personne qui conçoit, dessine et participe à la réalisation de ce que l’on appelle banalement le cadre de vie », lui confiait Edmond Hervé lors de la réception officielle de remise des archives à la Ville. La ZUP Sud, devenue le Blosne dans le langage courant des Rennais, illustre cette relation étroite entre l’architecte et le territoire. Au-delà des centres commerciaux précités, la mission de Marty s’étend à l’aménagement des espaces verts du quartier et à la construction du groupe scolaire Torigné et se prolongera jusqu’à La Poterie où il suit la construction de maisons individuelles et d’immeubles conçus par différents promoteurs. Il est par ailleurs l’artisan de la rénovation de bâtiments historiques tels que le manoir des Hautes-Chalais ou celui de la Poterie qui abrite aujourd’hui un restaurant.
Mais son empreinte est bien plus diffuse à travers la ville. En effet, l’opération de transformation du Mail recentre son œuvre rennaise à partir de l’année 1976 avec le promoteur Arc Gestion, avec lequel il poursuivra la collaboration pour l’immeuble « La Renaissance », rue du Lycée, rebaptisée depuis rue du Capitaine-Alfred-Dreyfus.
Plus au nord, il accompagne la construction du collège d’enseignement secondaire (CES) de Villejean-La Harpe dans les années 70, qui héberge depuis une partie du campus de l’université Rennes 2 sous le même nom.
Dès 1960, Michel Marty devient architecte conseil auprès du ministère de l’Équipement. Cette reconnaissance pour Marty sera complétée par un poste de professeur à l’École des Beaux-arts de Paris à partir de 1966. La même année, il est désigné comme chargé de mission auprès du ministère de l’Équipement jusqu’en 1969. Il poursuivra ses activités d’enseignement auprès de l’École d’architecture de Paris-Tolbiac.
En 1968, il intègre le prestigieux corps des architectes en chef des bâtiments civils et palais nationaux (BCPN), réformé depuis sous l’appellation d’architectes en chef des monuments historiques (ACMH).
Architecte-urbaniste conseil de la Ville de Rennes durant deux décennies (1971-1992), enjambant ainsi le changement politique à la tête de la Mairie, la fin de sa mission est aussi l’occasion de la repenser : ce n’est pas un mais deux urbanistes qui lui succèdent selon un découpage qui distingue le centre-ville du reste du territoire municipal. L’année 1986 couronne une carrière déjà marquée par de nombreuses réussites : il intègre l’Académie d’architecture en tant que membre titulaire.
La présentation du personnage serait incomplète sans une évocation de ses réalisations au Maghreb. Jeune lauréat de l’École des Beaux-arts, il travaille durant l’été 1948 sur la restauration des remparts de la médina de Sousse (Tunisie), classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’expérience acquise sur cet espace majestueux lui sera précieuse dès l’année suivante pour effectuer des relevés de la grande mosquée de Kairouan dans sa partie datant du 11e siècle. Après son mariage en 1952, il entame un voyage d’études autour de la Méditerranée durant un an. L’occasion de découvrir le Maroc mais aussi et surtout l’Égypte où il effectue un stage au service d’architecture du canal de Suez à Ismaïlia. Ce périple s’achève par différents stages auprès de confrères libanais.
Il renoue avec le Maroc dans les années 80 pour l’élaboration du schéma directeur du Grand Casablanca, avant de se voir confier celui de la capitale, Rabat. Il va prolonger son action dans ces deux villes, bâtissant une cité des douanes dans la première et la Caisse nationale de Crédit Agricole, dans la seconde. Il est également à l’origine du centre administratif préfectoral d’Aïn Sebaâ, à l’est de Casablanca. L’activité intense de celui qui fut inscrit à l’Ordre des architectes sous le n° 3526 mérite un coup de chapeau. Edmond Hervé le lui rendit à sa manière lorsqu’il confia cette mémoire aux archives municipales rennaises en 1993 : « […] construire une ville est l’acte le plus fort qui puisse exister : la ville est un havre de paix, et la ville est aussi un réceptacle qui émet, qui attire mais qui enrichit et partant de là, ce sentiment de fierté est tout à fait légitime ».