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Dossier
#35
Mobilité et prospective : quel impact de la LGV sur Rennes en 2040 ?
RÉSUMÉ > L’achèvement de la Ligne à grande vitesse (LGV) entre Le Mans et Rennes mettra Rennes à 1 h 26 de Paris dès 2017. Cette perspective motive d’importants projets d’urbanisme, à commencer par l’opération EuroRennes, le nouveau centre de congrès des Jacobins ou la 2e ligne de métro. Mais l’impact de la LGV n’a rien d’assuré : plusieurs scénarios doivent être envisagés, ne serait-ce que pour prévenir un éventuel échec.

     Quel sera l’impact de l’arrivée de la LGV à Rennes sur le développement de l’agglomération ? Chacun espère que les retombées de cet investissement de plusieurs milliards seront maximales… tout en s’interrogeant sur l’effectivité de l’effet d’entraînement attendu.

     La construction de la Ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne-Pays-de-la-Loire est en effet un événement de grande importance comme il s’en produit rarement dans l’histoire d’une ville de la dimension de Rennes. Cette liaison permettra aux TGV de circuler à pleine vitesse sur l’intégralité du trajet entre Rennes et Paris, soit un gain de 37 minutes. Vu le poids des relations avec la capitale dans la totalité des liaisons ferroviaires au départ de Rennes, on est effectivement en droit d’attendre des effets majeurs de ce raccourcissement du temps de trajet.
    Cette nouvelle infrastructure réduira naturellement aussi les temps de transport vers les autres villes desservies comme Laval ou Le Mans, mais également, fait moins connu, vers d’autres destinations comme Angers et Nantes puisque la « virgule de Sablé » permettra de faire circuler des TER-GV, c’est-à-dire des trains régionaux lancés à plein régime (220 km/h.) sur les voies LGV, et de rejoindre de la sorte Angers en moins d’1 h 30 (contre 2 h 10 actuellement en passant par Nantes). Rennes et Nantes seront ainsi notablement rapprochées via Sablé, avec la possibilité de doubler la fréquence des trains entre les deux préfectures régionales pour atteindre un cadencement digne de ces métropoles, si médiocrement reliées pour le moment.
    La réalisation de la LGV s’inscrit en outre dans un projet plus global dit LNO BPL (Lignes Nouvelles Ouest Bretagne-Pays-de-la-Loire) qui assure la modernisation de sections de voies vers Brest et Quimper, si bien que les temps de parcours vers ces deux villes (et celles situées sur le parcours) seront aussi réduits, à plus longue échéance cependant.

     Ces bouleversements imminents (2017, c’est demain) et futurs (sans doute 2030) justifient amplement les ambitieux projets d’urbanisme menés à Rennes, notamment EuroRennes, ce vaste programme visant à transformer en profondeur le quartier de la gare sur le plan architectural, fonctionnel et paysager en lien avec la réalisation d’un pôle d’échanges multimodal (PEM). Sont envisagés quelque 125 000 m² de bureaux, 1 400 logements, une vaste esplanade végétalisée par-dessus les rails… Le projet d’une tour-signal de 120 m dans l’îlot Féval, côté sud, est pour l’heure en suspens. Celle-ci aurait pourtant l’avantage de renforcer le prestige de Rennes, ville souffrant d’un déficit d’image, comme l’a constaté l’Agence d’urbanisme de Rennes elle-même. Cette lacune s’explique en partie par l’absence d’un puissant symbole architectural « iconique » permettant de l’incarner et de l’identifier immédiatement. Un tel immeuble de grande hauteur, comme on en trouve dans toutes les grandes métropoles, servirait de porte-drapeau, de produit phare susceptible d’améliorer le rayonnement international de Rennes en faisant office de « produit d’appel ».
    Plusieurs autres projets d’urbanisme viennent accompagner l’arrivée de la LGV : la Cité internationale Paul Ricoeur pour l’accueil des chercheurs étrangers à deux pas de la gare ; la ZAC Baud-Chardonnet dont les premières résidences seront livrées dès 2015 et qui prévoit à terme 2 600 logements et 90 000 m² de surfaces tertiaires, en particulier sur « l’axe des gares » est/ouest où un transport collectif en site propre est prévu le long des voies ferrées ; le Centre des Jacobins qui accueillera ses premiers congressistes en 2018, à trois stations de métro de la gare ; la seconde ligne du métro qui entrera en service en 2019 et dont la gare sera l’une des deux seules correspondances avec la ligne actuelle.
    Ces grands projets disent à quel point l’arrivée de la grande vitesse ferroviaire à Rennes suscite d’importants espoirs. Pourtant les antécédents d’autres agglomérations déjà desservies par une LGV en France comme à l’étranger montrent que l’effet d’entraînement attendu d’un tel investissement n’est pas toujours au rendez-vous. D’ambitieux centres d’affaires programmés à l’occasion de la réalisation de Lignes à grande vitesse ont soit été revus à la baisse, comme le quartier Novaxis conçu à l’occasion de l’inauguration du TGV Atlantique au Mans, soit carrément mis en péril en raison d’une conjoncture désastreuse pour l’immobilier de bureaux, comme Euralille dans les années 1990. Le projet EuroRennes lui-même semble d’ailleurs n’être lancé qu’avec une certaine prudence. Les cas d’échec retentissant de vastes opérations d’aménagement hasardeuses lancées en Espagne en lien avec la construction de lignes à grande vitesse invitent effectivement à ne pas pécher par excès de confiance.
    Ces éventualités d’un impact limité, voire d’un ratage, conduisent à envisager différents scénarios d’impact possible de la LGV sur la dynamique rennaise au niveau local, en complément de scénarios plus globaux élaborés à l’échelle du Grand Ouest et pour Rennes dans son cadre régional.

La LGV et Rennes : quatre scénarios d’impact

     Les variables prises en compte ici concernent le développement économique, l’habitat, la démographie et les transports urbains. Il s’agit d’envisager plusieurs cas de figure susceptibles d’intervenir à l’horizon 2040 suite à l’arrivée de la LGV en 2017.

Scénario 1 : le développement à grande vitesse, scénario rêvé
     C’est le scénario idéal, dit normatif, autrement dit la dynamique logiquement rêvée par les autorités municipales et métropolitaines mais aussi par les partisans de la grande vitesse ferroviaire. Dans ce cas de figure optimal, la LGV sert de locomotive au développement local. La réduction à moins d’une heure trente du trajet vers Paris et l’amélioration notable des liaisons avec Roissy creuse l’écart avec Nantes dans un premier temps avant l’ouverture de l’Aéroport Grand Ouest (AGO) à Notre-Dame-des-Landes qui stimule la croissance nantaise. Mais Rennes tire également ensuite profit de cette combinaison exceptionnelle d’une desserte ferroviaire performante et de la proximité de l’AGO, érigé en hub par de grandes compagnies aériennes du fait de l’encombrement de Charles-de-Gaulle et accessible par LGV depuis Rennes. Cette accessibilité multimodale combinée à de moindres coûts fonciers et immobiliers (en comparaison de la région parisienne) incite nombre de services aux entreprises et de sociétés à relocaliser à Rennes une partie de leur activité ou à déployer leurs filiales et antennes de préférence à d’autres métropoles. L’attractivité de la Bretagne facilite le recrutement des ingénieurs, techniciens et cadres nécessaires à la société de la connaissance et à l’économie numérique qui connaissent une expansion continue (notamment la téléphonie mobile, spécialité locale), faisant de Rennes une métropole technopolitaine enviée, échappant à la congestion (francilienne et toulousaine) et proche de la mer. Rennes s’internationalise en attirant chercheurs et classes créatives et compte désormais sur la carte d’Europe grâce aux tours d’affaires et d’habitation construites dans le périmètre de la gare. Les projets urbains confortent le développement économique en assurant fluidité des transports urbains, qualité de la vie et mixité sociale (grâce à la maîtrise foncière facilitée par les importantes rentrées fiscales).

Scénario 2 : Rennes à l’arrêt, scénario catastrophe
    C’est le scénario inverse de l’échec, faute d’avoir anticipé les mutations profondes des communications. En raison de son coût excessif, le TGV est concurrencé par les mobilités alternatives banalisées : covoiturage, liaisons autocar bon marché entre villes françaises, aérien low cost qui ont connu une expansion spectaculaire. Même la Deutsche Bahn, qui avait racheté une SNCF en cessation de bilan, renonce à moderniser ses infrastructures dans l’Ouest, concentrant ses efforts ailleurs sur ses liaisons internationales à forte clientèle d’affaires devenues seules rentables. Les difficultés du TGV nuisent au trafic de la gare rennaise, qui stagne puis décline, ruinant les espoirs de croissance rennaise fondés sur le rail. Les moyens de télécommunication numérique instantanée, conviviale et massive ont plus globalement réduit les besoins de contact direct et donc de déplacement. L’échec consécutif d’EuroRennes, quartier d’affaires surdimensionné, pèse lourdement sur les finances locales dans un contexte critique, compromettant les grands projets d’urbanisme engagés par excès d’optimisme. Les promoteurs évitent durablement le pôle rennais, se tournant vers de métropoles de plus grande taille, mieux placées en Europe et dans la nouvelle économie mondialisée.

Scénario 3 : Rennes en douceur, scénario vert
    En 2040, les valeurs écologiques se sont définitivement imposées. La vitesse, la performance et la compétition ne sont plus les références dominantes. Aussi la LGV est-elle intégrée à une stratégie plus globale de développement durable. Le rail est préféré à l’avion, peu vertueux, compromis par le renchérissement du fuel et désormais lourdement taxé par l’Union européenne. Cela profite à Rennes, qui a misé sur le chemin de fer, plutôt qu’à Nantes dont l’aéroport souffre de la crise du ciel. Poussée par son électorat de classes créatives écologistes, connectées et avant-gardistes, Rennes a eu l’intelligence de prendre avant les autres des mesures renforçant l’effet d’entraînement de la LGV : cadencement ferroviaire avec les autres villes de l’Ouest, système ferré de rabattement depuis les villettes compactes de sa périphérie, 3e ligne de VAL high-tech conçue par les chercheurs et ingénieurs rennais, élimination des véhicules non électriques de la ville-centre, optimisation de l’offre de mobilité instantanée grâce à la 8G permettant une intermodalité flexible par combinaison idéale de plusieurs moyens de locomotion douce, substitution maximale du numérique à la mobilité dans cette ville expérimentale hyperconnectée que tous viennent visiter. Pour échapper au risque d’une croissance spéculative débridée, Rennes, ville verte et branchée exemplaire, choisit une expansion modérée, en douceur, préservant la qualité du cadre de vie qui assure la pérennité de son modèle de développement.

Scénario 4 : Rennes (dé)multipliée, scénario de précaution
    La LGV n’a pas eu l’impact attendu : après une phase de démarrage couronnée de succès, grâce à un cycle de reprise, à la croissance du secteur de la téléphonie mobile et de ses multiples applications et aux relocalisations sur le pôle de la gare d’un certain nombre d’activités tertiaires locales, l’effet escompté se révèle en définitive moins spectaculaire qu’espéré. De nouvelles incertitudes économiques ont provoqué un regain d’attractivité des métropoles européennes les plus globalisées, pénalisant l’expansion rennaise. Aussi les projets urbains lancés à l’occasion de la LGV sont-ils modérés, leur programmation reportée, les plus coûteux abandonnés même. La ville devient dans le même temps multipolaire, l’attrait des quartiers d’affaires et commerciaux périphériques pour les habitants d’une agglomération qui s’est fortement étendue au-delà de sa ceinture verte conduisant à préférer ces sites extérieurs où s’érigent des edge cities plus ou moins planifiées, plus accessibles que la ville-centre. Prenant conscience du danger d’avoir misé exclusivement sur la LGV, les autorités réorientent en conséquence leurs investissements, jouant à la fois la carte du quartier européen centré sur la gare pour les activités à forte valeur ajoutée et forts besoins de mobilité et contacts en face-à-face malgré l’explosion numérique, et sur des centres d’emplois extérieurs, démultipliant en somme les lieux d’emplois, de commerce et d’activités de l’agglomération. Dans ce contexte, Via Silva, nouvelle vitrine technopolitaine et écologique, a finalement atteint ses objectifs de départ, relativisant du même coup les espoirs de croissance initialement focalisés sur l’arrivée de la LGV qui aura en fin de compte amélioré la compétitivité rennaise mais sans exclusive.

     Rappelons que la prospective ne prévoit pas l’avenir, elle vise simplement à se projeter dans l’avenir pour éviter d’être pris au dépourvu. Elle permet d’anticiper d’éventuelles ruptures (des événements ou des évolutions qu’on n’a pas vu venir). Elle dessine pour cela des scénarios réalistes, susceptibles d’advenir, afin d’orienter dès à présent les stratégies pour faire en sorte que le futur, que ne commande aucune fatalité, soit le plus conforme au scénario idéal souhaité.