C’est un dossier complexe dont la visibilité échappe au plus grand nombre. Pourtant, Via Silva devait être un modèle de développement durable, une sorte de laboratoire urbain qui devrait accueillir quelque 40 000 habitants et 25 000 emplois à l’horizon 2040, en privilégiant les déplacements collectifs, les modes doux et les mixités des fonctions, dans un environnement naturel préservé. C’est du moins le discours qui était tenu en novembre 2009, lorsque ce vaste espace de 650 hectares à dominante agricole à l’intérieur de la rocade rennaise (situé essentiellement sur la commune de Cesson-Sévigné) a reçu le label national ÉcoCité, reconnaissance officielle du caractère innovant de la démarche (lire encadré page suivante). Cinq ans plus tard, pourtant, le projet tarde à se concrétiser. Car Via Silva a accumulé les difficultés : son lancement a coïncidé avec le début de la crise économique et il a rapidement pris une tournure politique, notamment à Cesson-Sévigné où la campagne des élections municipales de 2014 s’est focalisée autour de cet aménagement. La victoire de l’équipe conduite par le candidat divers droite Albert Plouhinec s’est nourrie de l’opposition à certaines formes urbaines jugées trop denses et dont Via Silva aurait été l’incarnation.
De fait, le projet initial, conduit par l’urbaniste Christian Devillers, chargé du plan directeur, a semble-t-il doublement effrayé la population par l’ampleur des chiffres annoncés et son calendrier très lointain. Difficile en effet pour les habitants, de se projeter à trente ans, même si le temps long de la ville exige cette mise en perspective ! Au lieu d’être fédératrice, la démarche a au contraire cristallisé les inquiétudes, notamment autour de la notion toujours sensible de densité, parfois mal interprétée, avec des rumeurs de construction de tours gigantesques dans le bocage rennais !
« C’est vrai, le projet a pu faire peur, reconnaît aujourd’hui Jean-Luc Gaudin, vice-président de Rennes Métropole délégué à l’aménagement et à l’habitat. Mais nous le retravaillons avec les élus cessonnais et la Socété publique locale d’aménagement Via Silva, créée fin 2013, en nous concentrant pour l’instant sur deux secteurs : Via Silva Ouest et la ZAC communale des Pierrins ». Le premier, à vocation essentiellement tertiaire, est tout proche du campus de Beaulieu et de Rennes Atalante. Il connaît déjà une réelle métamorphose avec l’implantation de plusieurs immeubles de bureaux emblématiques, dont Cap Gemini, Technicolor ou encore le tout récent siège de l’Institut de recherche technologique B-Com. Située elle aussi sur la commune de Cesson-Sévigné, le long de la route d’Acigné, la ZAC des Pierrins, créée en 2011, devait accueillir 400 logements dans un « espace paysager » de 40 hectares. C’est cette partie du projet qui avait nourri les oppositions et pour l’instant, peu de détails filtrent sur la nouvelle version en préparation.
Après une période de flottement dans la foulée des municipales, une nouvelle organisation s’est constituée ces derniers mois : le nouveau maire de Cesson Albert Plouhinec a pris la présidence de la SPLA (Société publique locale d’aménagement) Via Silva, et c’est Jean Badaroux, le directeur général de Territoires publics, qui en assure désormais la direction générale déléguée. à présent, l’heure semble plutôt à l’apaisement. « Nous avons revu les formes urbaines dans le cadre d’un travail très constructif avec la Métropole. Il nous reste à finaliser l’équilibre financier du projet. Lors d’un conseil d’administration de la SPLA, qui se tiendra au plus tard début juillet 2015, nous acterons les grandes orientations de Via Silva, le nombre de logements à construire, la nature des équipements publics… », confie Albert Plouhinec, qui se montre plutôt confiant. À l’heure où nous bouclons ce numéro, le tribunal administratif n’avait pas encore rendu son verdict sur le Plan local de l’urbanisme cessonnais, voté en 2012. Mais il devait, sauf coup de théâtre, prononcer son annulation totale le 30 avril, au nom justement de perspectives de croissance démographiques jugées « irréalistes ». Selon le maire, qui estime qu’une telle décision viendrait conforter son analyse politique, cette annulation ne devrait pas, toutefois, entraîner de retard majeur sur la nouvelle version du projet Via Silva.
De son côté, l’urbaniste Christian Devillers ne tient pas à s’exprimer publiquement à ce stade sur le sujet, mais il a fait savoir aux maîtres d’ouvrage qu’il craignait que le projet initial ne soit vidé progressivement de sa substance à la faveur de ce revirement sur la question de la densité. Il prévoyait en effet la desserte du coeur de l’écocité par la prolongation de la future ligne B du métro, pratiquement jusqu’à Thorigné-Fouillard, troisième commune concernée par l’emprise foncière de Via Silva. Pour que ce modèle fonctionne, le nombre d’habitants doit être suffisamment élevé dans un périmètre restreint afin de justifier la création de stations de métro et de lignes de bus à haut niveau de service, par exemple. C’est ce parti pris volontariste qui avait entraîné, à l’époque, le fameux chiffrage symbolique des 40 000 habitants à terme (deux fois et demie la population cessonnaise actuelle), largement contesté aujourd’hui. On le voit bien, les prochains mois seront décisifs pour redonner de la lisibilité à un projet ambitieux mais qui a sans doute été pénalisé par des erreurs de communication à son démarrage.