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Initiatives urbaines
#04
Nantes/Rennes sous le regard croisé des urbanistes : Nicolas Michelin, courir les villes
RÉSUMÉ > Après Alexandre Chemetoff et Jean-François Revert, Nicolas Michelin est le nouvel invité de cette série consacrée aux architectes et urbanistes qui sont intervenus à la fois à Rennes et à Nantes.

     Nicolas Michelin est architecte-urbaniste. Né en 1955, il a fondé l’agence Anma à Paris en 2001, avec Michel Delplace et Cyril Trétout, après avoir été associé à Finn Geipel sous le nom de Labfac au cours des années 1990. Nominé à trois reprises, en 2005, 2007 et 2008 pour le Grand Prix de l’Urbanisme, il est en charge de nombreux projets urbains, entre autres à Lille (Faubourg Arras-Europe), Dunkerque (Le Grand Large), Mulhouse (Les jardins Neppert), Metz (Quartier de l’Amphithéâtre), SaintDenis (Confluence Seine-Canal), Nancy (Pôle universitaire Artem), ainsi que des éco-quartiers à Reims, Béthune, Besançon… Les notions et mots-clés qui guident son travail sont la légèreté, le durable, la technologie au service de l’écologie, le rapport général entre l’économie et l’énergie, la flexibilité et l’adaptabilité, et enfin l’« ultra-contextualité ».  

     « Le poids du bâtiment sur les épaules des architectes » : c’est ce qu’écrivait à la main Nicolas Michelin au printemps 2005, en légende d’une photo d’Atlante du vestibule du Belvédère à Vienne dans le catalogue de son exposition Nouveaux Paris, la ville et ses possibles. Se confronter à cette pesante nuée architecturale et à ces masses orageuses léguées par l’histoire urbaine… S’y confronter pour mieux s’en affranchir? Construire dans le construit, il connaît pourtant. En cela, il est un héritier des problématiques soulevées par la génération qui l’a précédé, mais comme avait coutume de l’écrire Pierre Bourdieu, c’est l’héritage qui fait l’héritier: plutôt que rejouer sempiternellement de vieux affrontements, il s’agit de changer l’époque en construisant de nouveaux concepts au contact du monde tel qu’il est. Au questionnaire que nous lui avions adressé en 2005, alors que nous avions entrepris de faire un tour d’horizon des lauréats et mentionnés du concours Europan depuis sa création en 1989, Nicolas Michelin, lauréat de la seconde session en 1991, nous a dit se sentir parfois bien éloigné de certaines tendances de l’architecture contemporaine française. Parmi les oeuvres qui l’avaient marqué, la Médiathèque de Sendaï (2001) de Toyo Ito, l’exposition Olafur Eliasson au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 2002. Et puis « reformulation, ré-ouverture et élargissement » pour définir le rapport qu’il entretient avec ses aînés. Mais il avait également relevé ce déplacement, fondamental, des enjeux auxquels se trouvait confrontée sa génération alors que ses aînés y avaient échappé: « Nous construisons aujourd’hui à 1 000 €/m², eux non ».

     Sans doute y a-t-il une piste à approfondir, là, du côté de l’économie et de ses raisons. En premier lieu du côté de la sous-évaluation des coûts de construction que Nicolas Michelin a régulièrement pointée au fil de ses interventions. Il s’agit de s’ouvrir ainsi aux transformations, et c’est une façon de construire « pour demain » en ne livrant que l’indispensable, comme à Tours pour le théâtre (2004) ou à Rouen avec l’Agence de l’eau (2007). De fait, il ne viendrait probablement plus à l’idée d’un architecte de célébrer les vertus de la distance au monde comme condition pure et parfaite de son inventivité. Nicolas Michelin a eu l’occasion d’y réfléchir en 2001-2002 au sein d’un éphémère groupe ACTION, où il a retrouvé Finn Geipel, et puis aussi Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Jacques Ferrier, Dominique Lyon, rejoints par Rudy Ricciotti, Jean- Marc Ibos… Un courant s’y dessinait juste avant que ses contours ne s’estompent au gré des enjeux et des mises en concurrence.

     On retrouve tous ces aspects au fil des textes rassemblés au sein d’Avis. On y retrouve, parue en 2002, une rupture franche avec la génération précédente à propos de la « résidentialisation », et le recueil s’achève fin 2005 sur un parallèle avec l’astragale, un petit os du pied remarquablement profilé qui permet à l’homme de se déplacer debout longtemps, l’image d’une architecture « de qualité » : ajusajustée et fondamentale pour l’équilibre, économe mais pensée spécifiquement contre les solutions normées. « Essentiellement juste pour l’environnement [elle] donne juste l’essentiel à l’homme pour que celui-ci habite poétiquement l’espace » : une architecture liée au développement durable et conçue au carrefour des disciplines. L’architecture, dit Nicolas Michelin, ne tient pas à la couleur d’un mur, « l’architecte doit installer une enveloppe qui puisse évoluer, c’est pourquoi je ne suis pas un architecte de la finition ». Au contraire, « une nouvelle interprétation surprend toujours » et « une architecture essentielle doit permettre le plus d’interprétations possible ».

     L’architecture marquerait alors une forme d’achèvement des possibles ouverts par la réflexion urbaine, à l’image du projet imaginé pour l’Île de Nantes en 1999 où les scénarios étaient marqués par des pointillés rouges – ce qui dérange toujours un peu tout le monde. Même si le réel de la grande ville se dérobe toujours un peu au regard conquérant de l’architecte qui ne peut en offrir qu’une représentation fictive. Mais comment inventer des cartographies dynamiques? Interpréter un programme comme on interprète, comme on explique, symbolise et exécute une partition musicale? À Rennes, sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, la figure du plan de RER qui articule les palindromes de l’Oulipo, serait-elle au fond une autre manière d’appréhender la ville comme une totalité qui ne cesse de se dérober sous le regard des subjectivités? Ouvrir aux significations, aux appropriations et aux interprétations : comment penser sinon la « participation »? Et comment dépasser les représentations (de villes) polarisées pour espérer encore relier les enclaves ghettoïsés et la ville fluide de la mondialisation « heureuse »? La ville et ses possibles, c’est donc le titre que Nicolas Michelin avait choisi pour son exposition au Pavillon de l’Arsenal en 2005. À Bordeaux, pour Agora, la biennale d’architecture, d’urbanisme et de design qu’il organisée en 2008, il lui aura préféré Alerte !

PLACE PUBLIQUE > Nantes est la ville de votre première participation à une grande consultation urbaine, le marché de définition pour l’Île de Nantes en 1999, et par la suite le lieu de votre première commande de logements, Habiter les quais, que vous avez livrée en 2007. Nantes, là où tout a commencé?

NICOLAS MICHELIN >
En effet, Nantes a joué pour moi un rôle initiatique, à quelques précisions près cependant: j’étais à l’époque toujours associé avec Finn Geipel au sein de Labfac, et Djamel Klouche, de l’agence l’AUC, avait participé avec nous à cette consultation. Nous avions été sélectionnés parce que Labfac venait juste de gagner une grande consultation urbaine à Munich. Mais rétrospectivement, je trouve que nous étions assez peu armés pour affronter les enjeux d’une telle consultation. Bon, nous étions fringants et enthousiastes et je garde un souvenir ému de notre projet. Nous avions même acheté des petits vélos pour nos multiples expéditions sur le terrain. Mais c’était encore l’époque où nous nous refusions à montrer, montrer ce que pourrait être la ville à venir sur l’Île de Nantes. Pas d’images! Seulement des stratégies et des possibles, des « projets-attracteurs »… J’ai pris beaucoup de recul depuis et je ne raisonne plus tout à fait ainsi. Peut-être avionsnous tout simplement peur de montrer. Pour résumer, c’était une proposition pleine de pointillés, nous refusant explicitement à dessiner des volumes sur des îlots. Pratiquement pas de perspectives, une maquette en plomb dont je me souviens encore… Une attitude assez belle, attentive au génie du lieu, et modeste: nous ne creusions pas de darses, nous ne faisions pas venir l’eau, nous attachant seulement à des interventions discrètes. Mais ce concours a indéniablement été un moment déclencheur, une façon pour moi de mieux comprendre ce qui m’intéresse entre une situation donnée et un projet.

PLACE PUBLIQUE > La victoire était-elle importante?

NICOLAS MICHELIN >
Nous avions ressenti une déception quand même, parce que nous avions fini par y croire. Les Verts notamment nous avaient soutenus. Je crois que nous avons alors déstabilisé, l’espace d’un instant, le planguide d’Alexandre [Chemetoff], presque le plan-Taride, un peu jauni qui a beaucoup surpris et très vite séduit. Son plan disait : voilà l’Île, tandis que notre posture se situait plutôt à l’inverse: des possibles et seulement des pointillés. Depuis, je dessine. En règle générale, le politique m’oblige à dessiner : il veut savoir. Je lui réponds donc: voilà les invariants du projet, et voilà comment nous allons agir sur la nature, le bâti, les infrastructures, voici les hauteurs, les densités… Tout cela constitue le projet, et à partir de là, 50 plans-masses sont possibles, mais je sais que vous souhaitez que je vous en montre un. Et du coup, je dessine comme tout le monde des plans et des volumes qui ne seront jamais réalisés tels quels, mais je ne fais plus l’erreur stratégique de ne pas montrer. Tout en prenant des précautions oratoires en précisant : voilà ce que cela donnerait à l’instant T… En somme, Nantes aura été une leçon. C’est d’ailleurs l’un des derniers projets de Labfac puisque nous nous sommes séparés dans la foulée, en 2000-2001. Ensuite débute la période Anma où là, nous allons gagner beaucoup de projets urbains, en étant toujours ultra-contextuels, mais en dessinant.

PLACE PUBLIQUE > Le maire s’attaquait à cette île si vaste aux portes du centre de sa ville, sans doute souhaitait-il tout simplement obtenir quelques assurances…

NICOLAS MICHELIN >
J’ai certainement été un peu naïf! Dix ans plus tard, je m’occupe des bassins à flot à Bordeaux en me rappelant les leçons de l’Île de Nantes: mes pointillés, je les traduis désormais en faisabilité, cherchant surtout à mettre rapidement autour de la table les promoteurs privés susceptibles d’investir dans un nouveau quartier. Avec l’expérience, il me semble aussi important de travailler sur les rez-de-chaussée, sur la mixité sociale et la mixité de fonctions, aussi important que sur les pointillés en devenir et les traversées possibles.

PLACE PUBLIQUE > Travailler d’abord avec les promoteurs, c’est aussi après coup l’une des leçons de l’Île de Nantes…

NICOLAS MICHELIN >
En effet, et j’en ai d’abord fait l’expérience lorsque ING m’a appelé pour faire les logements d’Habiter les quais. J’ai dû dans un premier temps exposer par oral ma compréhension de la commande: pas de dessin de projet, mais des photos de l’Île, des images de référence, le lieu, le tribunal de Jean [Nouvel] juste à côté… Et puis cet aveu qui aurait pu m’écarter du choix du promoteur. Au bout de près de vingt ans d’exercice, je n’avais jamais construit de logements! En fait, cette phrase a été un déclencheur pour ING dont c’était, pour lui aussi, la première opération de logements en France. Mais le mode de sélection des architectes qu’avait défini Alexandre [Chemetoff] a été pour moi une véritable révélation! Et nous l’avons ensuite répété systématiquement de notre côté. Alexandre l’avait nommé l’Atelier de l’Île, nous le nommons l’Atelier des Bassins ou autre, qu’importe: il s’agit toujours d’un Atelier où se trouvent rassemblés promoteurs, SEM et service d’urbanisme de la ville, port autonome ou RFF suivant les projets… Le promoteur n’arrive jamais avec son architecte. Des noms d’architectes, en revanche, sont lancés autour de la table. Nous en retenons alors quatre à six pour les auditionner ensuite. Ainsi, les promoteurs rencontrent des architectes avec qui ils n’auraient sans doute jamais travaillé sans cette procédure, bien plus pertinente qu’un cahier des charges et qui résout une bonne part des cauchemars de l’urbaniste.

PLACE PUBLIQUE > Qu’avez-vous montré alors aux gens d’ING?

NICOLAS MICHELIN >
J’ai montré les logements conçus et construits par Marcel Lods à la Grand-Mare à Rouen à la fin des années 1960. Paul Koch [directeur général d’ING Real Estate] a cru que je me moquais de lui et m’a demandé si je n’avais pas des modèles plus récents en tête. Nous sommes depuis devenus très amis! Alexandre nous avait donné de son côté une fiche de lot, une constructibilité, et un cahier des prescriptions plutôt réduit, mais surtout une faisabilité dessinée, volumétrique. Et c’est ce que nous faisons nous aussi aujourd’hui, avec un cahier peut-être un peu moins précis, mais j’insiste également beaucoup sur les volumes et une faisabilité. Point. Même si je dois préciser que cette faisabilité ne fonctionnait pas sur ce site: chaque logement devait voir la Loire alors que la parcelle était toute en longueur… Le fleuve était au nord et ouvrir les logements au nord ne facilite guère la tâche. Enfin, Alexandre avait dessiné trois petites barrettes successives de logements. Difficile, donc, de voir le fleuve depuis la troisième barrette! Mais le cahier des charges était intelligent et l’on pouvait facilement monter les logements en hauteur. J’ai donc proposé trois plots hauts, chacun un peu décalés pour autoriser les vues et en dessinant les logements sur les angles pour varier les ouvertures… Le projet est alors venu assez vite. Enfin, j’ai choisi d’implanter les logements sociaux en fond de parcelle. Alexandre avait décidé que le social devait avoir exactement la même facture que les logements en accession. Absolument d’accord, mais alors suivant une autre implantation: le quatrième plot aurait été pour le coup vraiment enclavé. J’ai donc dessiné un autre bâtiment avec d’autres qualités, ménageant des ouvertures plein sud et accueillant de nombreux duplex. Ce projet a été très intéressant parce qu’Alexandre a accepté que l’on sorte de sa « faisa ». Il faut le souligner. De là est née une véritable méthode, estampillée « Île de Nantes », et un échange où l’architecte est convié à exposer ses principes à deux ou trois reprises, alors même qu’il conçoit encore son projet9. C’est une méthode très délicate, mais très fructueuse. C’est par exemple grâce à ce dialogue que nous avons dessiné ce socle – Alexandre refusait les parkings enterrés, intégrés mais pas enterrés – qui accueille les parkings tout en ménageant un jardin en hauteur. Au même titre que la restructuration de la Halle aux farines en bâtiments universitaires dans le 13e arrondissement à Paris, ce projet de logements sur l’Île de Nantes a fait démarrer Anma qui était encore une jeune agence concevant ses premiers logements. Finalement, je retiens les logements plutôt que le marché de définition, même si celui-ci fut aussi une belle aventure humaine.

PLACE PUBLIQUE > Et Rennes, 2002, l’esplanade Charles-de- Gaulle?

NICOLAS MICHELIN >
Pendant l’étude de définition, je sens que notre discours sur la ville rencontre l’oreille du maire, Edmond Hervé. Nous proposons d’implanter le cinéma tout contre le Liberté, avec une faille pour entrer dans le parking et une grande verrière, sans construire du côté de la tour de la Caisse d’allocations familiales. Le cahier des charges excluait tout arbre, toute fontaine et imposait que tous les éléments soient amovibles. La ville me dit alors: tout le monde aime beaucoup votre projet, mais ce n’est pas ce qu’il faut faire, et nous préférons vous prévenir à l’issue de la première phase de l’étude de définition. J’ai alors modifié l’emplacement du cinéma en dessinant ces grands cercles matérialisant l’aire d’influence de chaque équipement. Et nous avons été désignés lauréats à l’issue de la seconde phase. Mais cette image, il fallait alors la montrer au maire. Et soudain, c’est la panique. Les services nous font comprendre qu’il faut absolument préparer des solutions alternatives, des variantes au cas où… la végétation mobile, ça ne va pas convenir… Arrive la présentation, deux mois plus tard. Ne parlez surtout pas de ça, ne parlez pas de ci, ne montrez pas trop sinon nous allons au clash… Je commence ma présentation, et je glisse quand même l’image. Le maire ne bronche pas. Au terme de la présentation, il demande à l’assemblée s’il y a des questions particulières… Personne n’ose. Alors, je vais vous dire, poursuit-il, je trouve ce projet extraordinaire! Et là, ouf… On a pu alors ressortir les images, en montrer d’autres… À Rennes, le maire tranchait, oui c’est oui, non c’est non. Mais par la suite, je ne l’ai plus revu!

PLACE PUBLIQUE > En 1996, le flamboyant adjoint à l’urbanisme Jean-Yves Chapuis déclarait dans une revue d’architecture: « Nous sommes à Rennes marqués par une tradition sociale chrétienne de droite comme de gauche, qui fonde un sens commun de l’essentiel, un fond d’objectifs qui poussent à vouloir maîtriser les éléments au lieu de se laisser dominer ». Vous étiez donc prévenu! Vous avez donc à l’issue de ce premier concours dû travailler avec les services de cette ville…

NICOLAS MICHELIN >
Très compliqué, en effet ! Rennes est une ville très compliquée, intéressante mais pointilleuse, avec ses habitudes, ses façons de faire… La construction du parking, par exemple, a été très difficile à mener à son terme. Nous avions proposé un parking « drainant », laissant passer l’eau plutôt que tout à fait étanche. Impossible a priori, s’ensuit une bataille d’experts, d’ailleurs toujours en cours [à l’automne 2009]. Mais lors de l’inauguration, émotion: le maire Edmond Hervé me prend par la main pour me remercier. Pensez-donc, un parking à 80 colonnes, un moment de grâce ! Nous terminons en ce moment l’aménagement de la place avec la mise en place du parcours conçu par l’Oulipo, le kiosque, en verre j’espère, et puis c’est fini. Je suis très content de cette solution des rayons qui a évité le quadrillage habituel et qui converge vers l’installation de l’Oulipo.

PLACE PUBLIQUE > Quels sont les territoires de projets, les « territoires en attente » au sein de ces deux métropoles?

NICOLAS MICHELIN >
À Nantes, plus on se rapproche de l’estuaire, plus les situations me semblent intéressantes. Saint-Nazaire m’attire. À Rennes, les territoires les plus intéressants sont déjà en cours d’urbanisation, à la Courrouze et à Beauregard. La deuxième phase de Saint- Jacques est presque trop bien réglée. Dans cette volonté de bien faire, elle me fait un peu penser à Floirac: un cahier des charges parfaitement respecté, des préconisations paysagères ad hoc, enduits, volumétries, duplex, travail sur les rez-de-chaussée, de très beaux bâtiments conçus par des architectes talentueux… Exemplaire, mais ce quartier est trop bien dessiné, presque trop propre, comme si le Mouvement moderne se perpétuait. On aura beau faire un très beau carré, s’il ne rentre pas comme un gant dans le territoire… L’Île de Nantes serat- elle une très belle réussite sur le plan urbain? Certains disent oui. Seine-Rive Gauche aussi, finalement.

PLACE PUBLIQUE > Qu’auront symbolisé ces deux villes dans votre trajectoire?

NICOLAS MICHELIN >
En fait, ces deux villes ont signifié pour moi la prise de conscience de la puissance du maire, nouveau prince de la commande. On ne peut rien faire sans une ambition politique ferme, c’est l’ingrédient essentiel de la réussite d’un projet urbain ambitieux. Et lorsque je dis ambitieux, je reste raisonnable: il s’agit d’un partage équitable entre espaces publics et espaces privés, d’une mixité sociale et de la superposition de programmes. Mais ce simple cahier des charges, modeste, provoque trop souvent le scepticisme spontané des services. Je m’interroge, pourquoi par exemple ne peut-on plus faire de porches aujourd’hui? Trop compliqué à entretenir, paraît-il. Et pourtant, que seraient devenues en Autriche les extensions de la Vienne de l’entre-deuxguerres sans ces porches qui permettent de passer d’une ambiance à l’autre? Une venelle de moins de 4 mètres de large? Vous n’y pensez pas, l’engin de nettoyage de la communauté urbaine ne pourra pas l’emprunter… Si à ce moment-là, le maire ne décide pas et ne soutient pas, c’est perdu. S’il lâche la main de l’urbaniste, c’est perdu. Et en retour, c’est à ce moment-là que l’urbaniste prend conscience de son rôle politique. L’urbaniste est là pour porter un projet dans le temps. Fabriquer la ville, c’est faire de la politique autrement.