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Initiatives urbaines
#04
RÉSUMÉ > Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Reso (Université de Rennes 2) et du Laboratoire LAUA (École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique.

L’enfer des villes, c’est les jeunes…

En France, un nouveau défi se présente: celui de la mixité intergénérationnelle. Ces dernières années, en ville ou en campagne, des difficultés croissantes de cohabitation sont apparues entre des personnes âgées et des jeunes. Mais aux « Chasselas », à Langlade, dans le Gard, à quelques kilomètres de Nîmes, un pas a été franchi vers une forme de vie para-urbaine jusque-là plutôt présente en Australie ou aux États-Unis: des personnes âgées vivent dans un village fermé, « sécurisé ». Les petites maisons sont blanches, les entrées communiquent, trois par trois. Pour entrer dans la petite forteresse clôturée, au bout d’un chemin en terre, il faut décliner son identité et franchir avec succès un portail blindé surveillé par une caméra. On y trouve nombre d’équipements sous-utilisés: une toute petite piscine complétée par un club-house et un terrain de pétanque parfaitement ratissé. Les habitants, Anglais, Canadiens voire locaux, ont de 68 à 90 ans. En réalité, les résidents s’ennuient ferme: la ville en kit, ce n’est pas si simple à monter. Ils regrettent leur petit supermarché, l’animation… Mais des enfants, par contre, pas question! C’est le seul sujet qui semblerait les revigorer, prêts à s’insurger dès qu’un nouveau résident se présente avec des enfants pour visiter le site et ses habitations. De quoi faire réfléchir: après la diversité ethnique, faut-il réintroduire de la diversité générationnelle dans notre paysage quotidien?

Après les éco-quartiers, les « quartiers générationnels »?

En réponse à cela, la Belgique réagit déjà avec la mise en place d’un quartier « intergénérationnel » de 15 ha, envisagé à Waterloo. Les promoteurs du « premier site intergénérationnel de Belgique » ont présenté leur projet mijanvier: il s’agit de construire 269 logements faisant partie d’une grande copropriété régie par une « charte de vie ». Celle-ci prévoit que 35 % maximum des habitants seront âgés de moins de 55 ans. Le site comprendra, outre les logements, une maison de repos, une résidence service et une unité de soins. Il s’agit donc d’un quartier destiné en priorité aux seniors mais où se mêleront tout de même les générations. La « charte de vie » prévoit aussi les bases d’un échange de services entre les habitants. L’acte de base organisera une copropriété générale tout en divisant le site entre les parties privatives (maisons, appartements, parkings) et les parties publiques qui comprendront aussi un parc communautaire de 5 ha et une piscine couverte. Un pôle de service et de commerces (salon de thé, supérette, etc.) est également prévu. Le projet, baptisé Bella Vita, est envisagé sur l’ancien site de l’Institut médico-pédagogique de Waterloo. Les promoteurs devaient déposer un permis d’urbanisme en début d’année et obtenir les autorisations nécessaires en septembre 2010. Les travaux devraient ensuite prendre trois ans. Les promoteurs affirment avoir déjà une cinquantaine de contacts. Un site Internet (www.bellavita.be) explique aux futurs clients l’idée qui consiste à « faire cohabiter les familles et les seniors dans un espace partagé ».

Que seraient donc des villes sans enfants?

Les enfants ne sont pas en reste dans d’autres villes. Le 20 janvier dernier, Seynod (Haute-Savoie) recevait le label de l‘Unicef qui la déclarait « Ville amie des enfants ». Cette distinction, qui fait de cette petite ville un exemple à suivre, récompense un travail engagé par l’équipe municipale depuis plusieurs années en direction de l’enfance et de la jeunesse. Lancée par l’Unicef et l’Association des Maires de France (AMF) en 2002, le label « Ville amie des enfants » réunit à ce jour 194 villes françaises. Son objectif est de défendre la cause de l’enfance, à développer la participation et l’écoute des enfants et des jeunes et à développer un esprit de solidarité internationale. Mais si ce label est précieux pour valoriser la place des enfants dans les sociétés urbaines, il lui resterait très probablement aussi à évaluer davantage la place réservée à l’enfant dans l’urbanisme, l’adaptation des villes aux pratiques des jeunes et des enfants: l’environnement urbain leur reste encore bien hostile ou difficile, ne serait-ce qu’en matière de sécurité des déplacements,

L’aménagement urbain par l’Europe, c’est possible, comme le montre le projet d’une éco-agglomération transfrontalière en Moselle. Le 4 novembre dernier, le ministère de l’Écologie annonçait que le dossier d’éco-agglomération Alzette-Belval entre la France et le Luxembourg avait été retenu dans le cadre du programme des « Eco-Cités ». Le territoire s’est ensuite vu accorder le statut d’Opération d’intérêt national (OIN). Le projet monté en partenariat avec la communauté de communes du Pays Haut-Val-d’Alzette, la commune d’Esch-sur-Alzette, les services de l’État et l’Agence d’urbanisme Lorraine Nord sur un bassin transfrontalier de 210 000 habitants, comprenant huit communes françaises et quatre communes luxembourgeoises, permettra d’appliquer les principes de développement durable autour de quelques objectifs communs: organiser l’urbanisation et l’offre de logements, proposer d’autres modes de déplacements, développer une économie complémentaire entre le Luxembourg et la France, valoriser le patrimoine architectural, naturel et paysager. Ce projet vient d’être confirmé par la constitution d’un Groupement européen de coopération territoriale (GECT) pour permettre un développement transfrontalier de l’opération d’aménagement Esch Belval.

Nouvelle vie pour le génie des villes européennes

Qu’est-ce qui fait le génie des villes européennes? se demandaient les Agences d’urbanisme lors de leur dernier congrès en 2009. Sans attendre la réponse, Lyon s’est trouvée répliquée à Dubaï! La crise financière, qui a durement touché l’émirat, n’a semble-t-il pas affecté le projet insensé du cheikh al-Gandhi: tombé amoureux du Vieux Lyon lors d’un de ses voyages, il a décidé d’en reproduire 300 ha, en plein Dubaï! Le rêve devient (presque) réalité lors de la signature, en janvier 2008, d’un protocole d’accord avec le maire de Lyon, Gérard Collomb. Malgré les difficultés financières de l’émirat, ce projet pharaonique estimé à plus de 1,8 milliard d’euros est donc maintenu. On devrait retrouver dans ce « Lyon bis », à l’issue du chantier prévue pour 2016, une antenne de l’université Lyon 2, une école hôtelière dirigée par le restaurateur Paul Bocuse, une réplique de l’Institut Lumière ou encore un centre d’entraînement de l’Olympique lyonnais… Il ne restera plus qu’à y cloner les joueurs du célèbre club!

Misères des villes, misères des champs…

On pourrait imaginer meilleure nouvelle pour les villes et les campagnes que leur réconciliation sous le signe de la misère et de la pauvreté. On savait que la campagne recourrait de plus en plus aux drogues dures (héroïne). Mais un important rapport de la Documentation française, un peu passé inaperçu ce mois de janvier, vient d’apporter des éléments très instructifs sur l’ensemble des caractéristiques de la pauvreté dans les campagnes, s’attachant aux habitants concernés, à la nature de leurs difficultés, à leurs effets sur l’activité économique et sur le mode de vie, à la nature des réponses apportées. Le point commun avec le monde des villes est la question du logement. Les logements des campagnes sont plus souvent occupés par leurs propriétaires, le parc locatif public y est plus faible, avec pour corollaire que le parc locatif privé y est généralement occupé par des ménages à plus faibles revenus qu’en milieu urbain, ou, également, que l’état général du parc, en moyenne plus ancien, est souvent médiocre parce que la vague de construction de l’après-guerre n’a atteint la campagne que très tardivement. Plus saisissant, le fait que dans certains des territoires visités par la mission, plus de 60 % des logements dataient d’avant 1948. Il semble que les deux tiers de « l’habitat indigne », sur lequel opère une mission spécifique du ministère du Logement, se trouvent donc en milieu rural…

La précarité s’est aussi désormais parée de ses habits verts, puisqu’EDF et la Fondation Abbé Pierre sont désormais associés pour des logements sociaux verts fin novembre dernier. Un programme de construction de 2 000 logements « très sociaux » et économes en énergie lancé en octobre 2008 par la Fondation Abbé Pierre vient d’être parrainé par EDF, qui apporte une contribution de 2,4 millions d’euros. EDF s’engage entre autres à « financer en partie les travaux d’amélioration des performances énergétiques dans l’habitat social accessible aux plus démunis », notamment en matière d’isolation et d’équipements utilisant des énergies renouvelables, afin de diminuer les charges supportées par les habitants. En outre, EDF prévoit un accompagnement des habitants dans la « maîtrise de leurs consommations énergétiques », grâce à des actions de sensibilisation et la distribution de matériel éco-responsable. Ce nouveau lien entre précarité et développement durable se prolonge notamment à travers le nouveau concept de « précarité énergétique », élaboré par le Comité stratégique du Plan bâtiment Grenelle qui a tout récemment rendu au ministère son rapport sur la précarité énergétique. 3,4 millions de ménages seraient concernés à cause de la faiblesse des revenus, la mauvaise qualité thermique des logements occupés et en conséquence la difficulté de régler les factures. Le rapport estime que 425 000 ménages sont très exposés et préconise pour eux un « chèque énergie », une inscription de la précarité énergétique dans la loi et la création d’un observatoire.

À l’hôtel, en famille, comme chez soi

Finalement, mixité générationnelle, précarité et logement peuvent aussi trouver des solutions heureuses, comme à Lorient dans le quartier de Kervénanec. La réhabilitation des tours du quartier se poursuivait ces derniers mois où l’Agence nationale de renouvellement urbain avait décidé de la doter de 800 000 € supplémentaires. Ce financement a permis la réalisation dans trois tours de travaux supplémentaires à vocation environnementale. Objectif visé: diminuer la consommation énergétique, pour passer d’une consommation avant travaux de 293 kW EP/m² par an à moins de 150 kW EP/m² par an. Avec les travaux supplémentaires prévus, la performance énergétique, indicateur-clé, pourrait même descendre à 70 kW EP/m2 par an, un niveau très exceptionnel pour ce type de bâtiment. Pour obtenir un tel résultat, l’opération prévoit le renforcement de l’isolation des pignons et des toitures qui seront toutes remplacées. Les portes palières des appartements seront également changées pour stopper les déperditions d’énergie à chaque étage. L’opération prévoit également la mise en place d’installations aux performances énergétiques accrues tels que des chauffe-eau de cuisine nouvelle génération. Le social n’est pas en reste: un processus d’accompagnement a été mis en place autour de l’opération de réhabilitation. Des « logements-hôtels », installés dans des logements vacants rue de Kervélo, accueillent ainsi les habitants pendant la durée des travaux de leur appartement. Entièrement meublés et équipés, les logements, de deux à quatre pièces, hébergent tous les types de famille pendant 6 à 7 jours. Certains d’entre eux ont, par ailleurs, été adaptés aux personnes à mobilité réduite. Plusieurs dizaines de familles y ont déjà séjourné. Un dispositif d’accueil de jour est aussi opérationnel au Relais de Kervélo. L’équipe en place apporte un soutien technique: aide à l’emballage des effets personnels, services de courrier ou tout simplement de l’écoute, accueillant chaque famille lors de son installation dans le logement hôtel. Histoire de répondre aux questions et faire connaissance, c’est aussi un peu ça, la ville !