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Dossier
#15
Oniris, centre névralgique
pour les artistes contemporains
RÉSUMÉ > Tout le monde vous le dira. C’est là que les choses se passent. Pour qui s’intéresse à l’art, impossible de manquer la galerie Oniris. Elle est le cœur du contemporain à Rennes. Son rayonnement est incontestable. Son effet d’entraînement indéniable. Sa réputation nationale.

     Rue d’Antrain, la nuit tombe. En face du cinéma l’Arvor, on pousse la porte. Les murs blancs vibrent de lumière. Grands tableaux aux teintes vives. Calligraphies géantes s’y lovant en larges rubans de couleurs primaires. Au sol, des lames de métal courbé répondent en sculpture à ces toiles aux lignes franches. Ce sont les derniers travaux d’Alain Clément, un habitué de la galerie. En ce mois de novembre 2011, c’est la huitième fois qu’il expose en ces lieux. Oniris est affaire de fidélité.

     Ce que me confirme Yvonne Paumelle, la maîtresse des lieux. Un acheteur venu de Vannes a fait une pause sur le chemin de Paris. Il vient d’acquérir dans cette boutique mythique une oeuvre sur laquelle « il vient de flasher ». Il est parti. Yvonne Paumelle respire bon sens et solidité. À l’observer, on se demande où se cache en elle le grain de folie qui l’a fait franchir le pas il y a juste un quart de siècle. Car il fallait une audace un peu folle pour ouvrir à l’époque un commerce de tableaux contemporains dans la bonne ville de Rennes.
     « Vous savez, j’ai eu trois métiers, raconte-t-elle. Ma première vie fut d’être pendant dix ans directrice d’un établissement d’enseignement ménager. Ensuite, tandis que j’élevais mes quatre enfants, j’ai travaillé dans la littérature enfantine ». C’est alors que la mère de famille se lie d’amitié avec l’institutrice de l’un de ses enfants: « Elle m’a tout appris en art contemporain, elle m’a fait rencontrer des gens. » Yvonne se sent une vocation. Plutôt que de se complaire dans les regrets, du genre: « Ah si je n’étais pas née dans une famille paysanne du Morbihan, j’aurais étudié les arts plastiques plutôt que les arts ménagers », Mme Paumelle se lance dans une troisième vie. Et ouvre tout de go, une galerie rue d’Antrain. Nous sommes en 1986.

     D’emblée, Oniris frappe un grand coup. La galerie démarre avec François Morellet. Un nom de l’art contemporain dont la réputation n’a fait que croître depuis. Les Rennais n’en reviennent pas. C’est le début d’une aventure car Morellet amène ses amis. Le palmarès d’Oniris s’étoffe et devient, à l’Ouest, l’un des plus prestigieux. Une vraie famille d’habitués. Une vingtaine d’artistes que la galerie « représente ». Quelques noms : Geneviève Asse, François Dilasser, Claude Viallat, Jean-Pierre Pincemin, Véra Molnar, Christian Bonnefoi, Norman Dilworth, François Perrodin, Dimitri Orlac… Et n’oublions pas Aurélie Nemours, jadis. Pour en arriver là, il a fallu dix ans à Yvonne Paumelle, car le métier est dur.
     Comment fait-elle? « Je ne connais qu’un seul critère, indique la galeriste. À la base, il faut que j’aime ». C’est à partir de là qu’elle prend. Et qu’elle vend. D’évidence, son goût la porte vers le non-figuratif avec un appétit affirmé pour l’abstrait, la couleur, le minimalisme. Autre trait, qui pourrait être aussi la clef de tout succès: la relation humaine. « La relation avec l’artiste, la rencontre, c’est vraiment ce qui m’intéresse. » La récompense en est la fidélité. Troisième leçon: l’affaire doit se jouer sur place mais aussi en dehors de Rennes: « C’est pourquoi, je suis présente dans les foires internationales: à la Fiac depuis huit ans, à Art Paris, Art Elysées, Art Bruxelles, etc., car ici le marché serait trop étroit. »
     Mais alors, pourquoi rester à Rennes? La réponse fuse: « Parce que j’adore Rennes. Je n’aimerais pas vivre à Paris. C’est à Rennes que j’ai envie d’être ». Et puis un réseau d’affinités s’est créé ici au fil des cinq ou six expositions organisées chaque année. Les nombreux étudiants en art ne cessent de pousser la porte d’Oniris. Des stagiaires viennent travailler ici, jusqu’à 4 ou 5 par an. Le lien avec la fac, le Frac, la Criée est permanent et fécond. Tout le monde y trouve son compte. Parfois la Ville achète une oeuvre ou accueille des grands artistes de la galerie. Laquelle joue un rôle de déclencheur, par exemple pour introduire Morellet ou, jadis, Aurélie Nemours, dans les autres lieux de la cité.

     Reste peut-être le plus important. Bien qu’entreprise privée, évidemment à but lucratif, Oniris n’est pas seulement fréquenté par les professions libérales aisées. Depuis toujours, la galerie s’est assignée une fonction de formateur. Elle affine le regard des futurs collectionneurs, mais aussi des enfants et des jeunes : « Nous accueillons des écoles maternelles. Au préalable, nous préparons leur visite avec les enseignants ». La réalité de l’art contemporain s’infuse dans le public. La galerie Oniris a un rôle fondateur pour ce qui est l’accès à l’art d’un nouveau public. On dit que Bruno Caron, le patron d’Art Norac, mécène de la Biennale, a fait son « apprentissage » de collectionneur auprès d’Yvonne Paumelle.
     La nuit est tombée. Une jeune femme flanquée d’une ribambelle de gamins aux grands yeux, entre dans la galerie. Elle a pris rendez-vous. Pour faire découvrir aux enfants les splendeurs exposées. L’un d’eux s’apprête à caresser l’appétissante couleur d’une toile d’Alain Clément. Doucement, Yvonne Paumelle l’invite à « toucher avec les yeux… » Et sans doute avec le coeur.

     Oniris – Yvonne Paumelle, 38, rue d’Antrain à Rennes. 02 99 36 46 06. www.galerie-oniris.fr - Ouverture du mardi au samedi de 14 h à 18h30. Jusqu’au 31 janvier, exposition de petits formats et oeuvres sur papier des artistes de la galerie.