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Dossier
#03
PSA-Citroën
et le territoire rennais :
du bras de fer
à la coopération
RÉSUMÉ > La crise de l’automobile va très probablement rebattre les cartes pour la localisation des sites de production de véhicules. De quel poids pèseront les liens tissés entre l’usine Citroën et le territoire rennais pour maintenir une plate-forme de production autour de l’usine de La Janais ? L’histoire d’un demi-siècle de relations – faite autant de conflits rudes que de collaborations très fortes – apporte des éléments de réponse. Elle éclaire également le débat macroéconomique sur les régulations possibles et les marges de manœuvre locales dans le marché international.

     Le marketing territorial est une idée d’aujourd’hui. Mais l’histoire des actions du Celib (Comité d’études et de liaison des intérêts bretons ) pour le développement économique de la Bretagne fait immédiatement penser à la bataille de marketing que mènent aujourd’hui les élus des collectivités pour maintenir ou développer la présence des entreprises sur leur territoire.
     Réunissant dès 1950 les forces politiques de la région (il y aura un inter-groupe parlementaire breton !) mais aussi ses forces économiques (chambres, syndicats, chefs d’entreprises, scientifiques), le Celib va contribuer puissamment à dynamiser la Bretagne et à casser le fatalisme et la résignation de ses habitants. Né dans les milieux du RPF (Rassemblement du peuple français) fondé par le général de Gaulle en 1947, le comité va rassembler, sous la présidence du ministre dinannais René Pleven, nombre de personnalités issues de la Résistance, Bretons de naissance ou d’adoption. Pour ces responsables, il fallait par tous les moyens industrialiser la région pour retenir au pays les hommes et les femmes contraints d’émigrer vers la région parisienne et pour cela faire connaître aux industriels parisiens la richesse de la main-d’œuvre bretonne. L’arrivée de Citroën à Rennes en serait la preuve tangible.

     À l’été 1955, le Celib entre en jeu pour convaincre le groupe Citroën. Rien de plus parlant que le récit que fait Joseph Martray, son ancien secrétaire général, d’une première rencontre informelle tout à fait caractéristique des méthodes de son lobbying (réunions de notables, dans le secret le plus absolu, sans aucune trace écrite) : « Nous avions été informés par notre réseau de cadres bretons à Paris, que Pierre Bercot, le PDG de Citroën, passait ses vacances à Beg-Meil, près de Concarneau… J’ai donc suggéré au ministre Pleven de l’inviter chez lui à Dinan pour un repas. Au digestif, comme nous en étions convenus avec René Pleven, je suis rentré dans la pièce et j’ai évoqué, comme si de rien n’était, les exonérations fiscales et les aides au logement social que proposait Henri Fréville, le maire de Rennes. Pierre Bercot m’a répondu assez sèchement qu’il n’était pas intéressé par les logements sociaux. Mais en même temps, il nous a dit que Citroën était très satisfait de la main-d’œuvre bretonne. Il a aussi souligné qu’un PDG n’était rien et qu’il fallait convaincre le conseil d’administration. »
     La manière dont s’est prise la décision de choisir le site de Rennes est tout à fait éclairante pour comprendre la logique d’une implantation industrielle. En 1953, la SA Citroën a déjà démarré à Rennes son usine de La Barre-Thomas pour la production de roulements à bille et de pièces de caoutchouc, sur une zone de 90 hectares située route de Lorient et aménagée sur d’anciens terrains militaires par la chambre de commerce et d’industrie. Cette première décentralisation ne suffit pas à Citroën car le groupe n’arrive pas à répondre à la demande pour ses modèles DS et 2CV et il lui faut atteindre une capacité de sortie de 1 000 voitures par jour pour le modèle AMI 6. Quitter Paris est nécessaire car la concurrence se fait jour, notamment avec Renault, pour le recrutement de la main-d’œuvre.

     La Barre-Thomas a constitué un bon test pour les localisations futures. Le territoire rennais sait ainsi qu’il a des atouts. La direction de Citroën se déclare très satisfaite des ouvriers bretons, de leur assiduité et de leur discipline au travail et le bassin d’emploi offre une forte disponibilité de main-d’œuvre. Mais, pour accueillir une seconde usine, Rennes se trouve en concurrence avec Reims plus proche de Paris et des lieux d’approvisionnement, mieux placée en Europe et capable d’offrir une capacité de logements supérieure pour accueillir aussi bien les cadres que les ouvriers. Le site de Laval a semblé un moment constituer également un compromis intéressant pour une localisation à l’Ouest.
     Les négociations dureront 3 ans (1955-1958) entre la direction de Citroën, l’État et la ville de Rennes pour le choix définitif de l’implantation de la nouvelle usine. Il faudra d’abord obtenir le classement de Rennes en « zone critique » pour bénéficier d’avantages importants en termes de primes et de fiscalité de la part de l’État ; les réseaux du Celib seront décisifs pour faire admettre que la zone de Rennes répond aux critères suivants : « zones détruites pendant la guerre (comme Brest ou Saint-Nazaire) ou qui subissent (comme Fougères) de nombreuses fermetures d’usines et un ralentissement important de leurs activités économiques. »
     Le maire de Rennes, Henri Fréville, est pleinement conscient des retombées potentielles de cette installation. Il connaît aussi les faiblesses de sa ville, dont la population active diminue avec un secteur tertiaire représentant 67,2 % des actifs. Rennes apparaît comme une ville « démunie de moyens techniques, d’infrastructures économiques suffisantes, de relations solides avec les milieux intéressés ». Le maire, en liaison étroite avec Pierre Bercot, PDG de l’usine, développe alors une forte stratégie de relations publiques pour obtenir des aides de l’État, résoudre le problème du trafic routier ainsi que la question de l’approvisionnement en eau et obtenir une réduction sur le prix de l’énergie électrique. Un litige avec la firme ne sera pas résolu : la ville de Rennes lui refusera le dégrèvement total de la patente.
     Pour la ville de Rennes, réussir cette première délocalisation venue de Paris, c’est aussi prétendre à l’arrivée d’autres groupes, d’autant qu’une usine Michelin lui a échappé pour s’établir à Orléans.

     Maints responsables bretons ont peur de la poussée ouvrière et de la concurrence salariale que pourrait entraîner cette grosse entreprise industrielle. Les problèmes sociaux posés par la décentralisation des usines Renault au Mans ont marqué les esprits. Citroën prévoit la création progressive de 6 000 postes de travail : « Cet échelonnement est appliqué pour éviter une perturbation du marché ou l’afflux d’ouvriers étrangers à la région et privilégier la formation des ouvriers agricoles pour en faire des ouvriers d’usine ». Le démarrage du recrutement est assez laborieux car les ruraux éloignés de plus de 30 km hésitent à quitter leur campagne.
     Mais la création de deux équipes de travail par jour permettant de concilier travail agricole et travail à l’usine, la mise en place d’un ramassage collectif et la facilité d’achat de voitures donnée aux ouvriers de l’usine, va de plus en plus répondre à l’attente de ces salariés possédant une petite ferme et même provoquer le déménagement d’une partie des ouvriers de Rennes vers des maisons individuelles dans les communes environnantes. L’exode rural qui était à craindre n’a donc pas lieu. Au contraire, l’installation de l’usine s’accompagne d’une redynamisation des bourgs ruraux. Les recommandations contenues dans une étude du géographe Michel Philipponneau préconisant un grand programme de construction de logements sociaux ne sont pas retenues par Citroën. Des logements sociaux vont être construits dans le quartier des Cloteaux et dans la Zup Sud de Rennes mais très peu d’employés de l’usine y habiteront.

Les premières élections en 1964 : la CGT triomphe

     C’est un ancien officier de marine de vieille noblesse bretonne, Philippe de Calan, qui assure la responsabilité des recrutements jusqu’en 1974. À la différence des cadres parisiens de la firme, il a le sens de l’approche territoriale Pour lui, il était préférable de disposer d’une main-d’œuvre attachée à des « valeurs rurales », à l’amour du travail et qui ne soit pas rebutée par la dureté de la tâche. De fait, l’absentéisme est quatre fois moindre à Rennes que dans les usines parisiennes du groupe.
     Mais un conflit majeur se cristallise très vite entre la direction et les syndicats ouvriers autour de la place des salariés dans l’entreprise. Propriété de Michelin de 1933 à 1974, la SA Citroën a hérité d’une tradition de paternalisme social et met en œuvre des pratiques antisyndicales souvent très dures, alors que les deux principales organisations syndicales rennaises font une priorité de leur implantation dans une entreprise de cette importance : la CGT très soutenue par le parti communiste, et appuyée sur ses bastions dans l’industrie automobile et la CFTC-CFDT en pleine effervescence revendicative et toute proche de sa déconfessionnalisation. L’usine ouvre ses portes en 1962 et une sévère confrontation se prépare. Aux premières élections des délégués du personnel en 1964, 76 % des salariés participent au vote ; la CGT obtient 58 % des voix et la CFDT 42 %. Stupéfaite, la direction se reprend vite : une politique offensive de l’encadrement et l’absence de tradition ouvrière des salariés provoquent bientôt de très forts reculs de la CGT et la disparition de la CFDT dans les années 70. Le climat généralisé de peur et le martèlement par la direction du slogan : « C’est Citroën qui vous fait vivre, pas les syndicats » feront de l’usine de Rennes l’une des seules de sa dimension à ne pas connaître de grève générale en 1968.

Décembre 1966 : Yannick Frémin giflé et licencié

     C’est alors que la défense des libertés syndicales à Citroën devient le combat de tout le territoire rennais. Ouest-France tient régulièrement ses lecteurs informés des pressions, des brimades, des mises à pied de salariés. Les unions interprofessionnelles organisent des délégations auprès des pouvoirs publics : Georges Pompidou, alors premier ministre, de passage à Rennes, reçoit ensemble la CGT et la CFDT. Les militants rennais qui distribuent des tracts aux heures d’entrée et de sortie du personnel sont agressés physiquement par les agents de secteur de l’usine. Les salariés qui acceptent des tracts sont repérés et convoqués par leur hiérarchie.
     La tension est à son comble entre l’usine et l’opinion publique rennaise au moment de « l’affaire Yannick Frémin ». En décembre 1966, Yannick Frémin, secrétaire très actif du syndicat CGT de Citroën, militant de l’action catholique ouvrière (Joc et ACO), est giflé par son agent de secteur, puis licencié. L’affaire sert de révélateur et va défrayer la chronique sociale rennaise, régionale et bien au-delà pendant plusieurs semaines4. Ouest-France en fera sa une à deux reprises. Le point culminant de la mobilisation fut la manifestation et le meeting du 5 janvier 1967 qui réunirent place des Lices plusieurs milliers de personnes dont des ouvriers de Citroën. Le PDG, Pierre Bercot, dans une lettre au maire de Rennes rendue publique au conseil municipal du 30 janvier 1967, rejeta toute critique, justifia les exactions de l’agent de maîtrise et qualifia tout cela d’agitation politique. Citroën fut condamné par les tribunaux mais Yannick Frémin ne réintégra pas l’entreprise.
     Ce conflit est à la fois le symbole de l’évolution profonde des rapports de force sur le territoire rennais et son accélérateur. L’évolution de l’attitude de l’église locale dont l’influence est grande à l’époque est tout à fait significative. Les curés des paroisses rurales, c’est vrai, sont parfois intervenus pour recommander des candidats auprès de la direction de l’usine lors des premiers recrutements, mais très vite les courants progressistes à l’intérieur de l’église, autour des mouvements d’action catholique et des « curés rouges », ont pris fait et cause pour les luttes sociales. Le point d’orgue est la longue déclaration de Mgr Gouyon, archevêque de Rennes, intégralement publiée dans Ouest-France le 24 décembre 1966 sous le titre « Travailleurs et liberté syndicale ». Rappelant que la liberté syndicale est un droit essentiel de l’homme, le cardinal écrit : « Toute répression ouverte ou camouflée de l’action syndicale est une atteinte à ce droit fondamental » ; il s’adresse aux chefs d’entreprises pour qu’ils veillent à ne pas adopter des attitudes hélas ! encore trop fréquentes qui aboutissent à « un douloureux écrasement de l’homme » ; il appelle à reconnaître l’aspect positif de la contestation et de l’opposition ouvrière ; il prône le dialogue entre toutes les parties. On a sans doute du mal aujourd’hui à comprendre le véritable tournant que représente cette prise de position.

La gauche à la mairie « grâce à Citroën »

      À l’échelon politique local, les choses bougent également. Henri Fréville adopte une attitude beaucoup plus en retrait que celle de l’archevêque ; refusant de prendre position, il ouvre la séance du conseil municipal du 29 décembre 1966 par une déclaration générale où il cherche à se situer en médiateur, « sans faire le procès de personne ». Bien des années plus tard, en 1977, quand la gauche remportera les élections municipales, Jean Normand, adjoint aux affaires économiques assurera : « Si la gauche est ici à la mairie, c’est grâce à Citroën ». Dès les élections municipales de 1971, la liste « Rennes socialiste » où figurait Edmond Hervé, le futur maire, obtient 25 % des voix en s’affichant clairement comme « solidaire des travailleurs » et en organisant à la sortie du travail des ouvriers de Citroën une distribution de tracts très médiatisée qui se heurta violemment aux « gros bras » de l’usine. Les attitudes antisyndicales de la firme viennent bousculer la tradition rennaise centriste, démocrate-chrétienne et un type de coopérations locales consensuelles ; une gauche nouvelle reprend les valeurs d’origine du centrisme breton.
     En interne, la direction de Citroën reste sourde aux pressions du territoire. La répression contre les syndicats continue. Durant l’été 68, apparaît le syndicat « maison » Sisc (Syndicat indépendant des salariés de Citroën) qui deviendra plus tard la CFT (Confédération française du travail), puis la CSL (Confédération des syndicats libres) et aujourd’hui le SIA (Syndicat indépendant de l’automobile). L’ordre et le calme social règnent à l’usine et la direction cherche surtout à bien s’inscrire dans les évolutions générales de l’industrie automobile en veillant à une meilleure implication des salariés. Auguste Génovèse, directeur de La Janais pendant 16 ans, n’a cessé de souligner son attachement aux grandes qualités de la main-d’œuvre locale : « Je me suis battu sans arrêt… En 9 ans, de 1985 à 1994, on a investi 15 milliards de francs « Ils (les salariés bretons) font face… Ce pays a vraiment cette carte à jouer. On ne trouvera pas le même tempérament (ailleurs)…. Là, j’ai trouvé du répondant, c’est-à-dire l’amour du métier ». Au moment où l’industrie automobile cherche à sortir de l’organisation de type fordiste avec des régulations du travail plus autonomes, le site rennais est retenu à partir de 1980 pour expérimenter les premiers « cercles de qualité » qui seront étendus par la suite à l’ensemble du groupe : on en comptera un millier en 1991.
     Cependant, Citroën prend peu à peu sa place dans le tissu associatif local, d’abord dans le milieu patronal puis dans des associations industrielles régionales où la firme cherche à prendre le leadership, comme dans l’opération Citroën Superforce en 1987. On retrouve aussi beaucoup de cadres de l’usine comme conseillers municipaux des communes, dans les associations de quartier et les clubs de sports. Auguste Génovèse déclare : « J’étais le premier à dire [que] Citroën ici ne peut pas vivre dans un désert. » À un moment où la loi de décentralisation de 1982 donne un rôle économique aux collectivités locales, Citroën prend la tête du patronat local pour s’opposer de front à la municipalité de gauche. S’appuyant sur son propre réseau de transport, le constructeur engage une procédure d’abord contre l’augmentation de la taxe transport, puis contre l’ensemble du montage juridique et financier du projet de métro. Le conflit est frontal. Il faudra attendre le 4 juillet 2001 pour que le conseil d’État rejette définitivement le recours déposé par Citroën contre le financement du métro.

Le virage de 1997 : Citroën renoue le dialogue

     C’est l’année 97 qui ouvre une nouvelle ère avec l’arrivée dans le groupe PSA d’un nouveau PDG : Jean-Martin Foltz remplace Jacques Calvet, Auguste Génovèse ayant lui-même quitté Rennes l’année précédente. Venu inaugurer le lancement de la C5, le nouveau PDG confirme l’importance du site rennais et annonce que d’ici 3 ou 4 ans, la première Peugeot sortira des chaînes de La Janais. Rennes est retenue comme plateforme pour l’ensemble des véhicules des deux marques de moyenne gamme supérieure et de haut de gamme. Parallèlement, il annonce la rupture avec les pratiques de l’ancienne direction et sa volonté de renouer un dialogue syndical normal. À compter de ce moment, il y a mobilisation conjointe des autorités publiques et des responsables de l’usine pour le développement de l’entreprise.
     Suivant l’évolution mondiale de l’automobile, PSA cherche notamment à réduire ses coûts par l’externalisation des opérations à faible valeur ajoutée et la mise en place d’un nombre réduit de plates-formes de production. La firme veut se recentrer sur l’assemblage de l’automobile proprement dite, ce qui veut dire se délester d’un certain nombre d’activités et faire appel à des sous-traitants. L’usine de La Barre-Thomas qui produit des pièces de caoutchouc est vendue à l’italien Gomma et la direction de Citroën veut que ses sous-traitants, longtemps localisés hors du district de Rennes, se rapprochent de La Janais pour développer des liaisons synchrones qui évitent le stockage et facilitent l’organisation d’un fonctionnement à flux tendu.
     Rennes Métropole répond à la sollicitation de PSA. Ces collaborations produisent un vrai écosystème local structuré. L’agglomération revoit l’aménagement de la Zac communautaire du Rheu pour accueillir l’entreprise PCI, filiale à 100 % de PSA, créée pour assurer la conception de machines-outils et de lignes de process jusque là localisées sur le site même de La Janais. PCI aurait pu partir vers un autre site, notamment à Sochaux : 500 emplois sont maintenus sur place. Rennes Métropole décide également d’aménager une nouvelle zone industrielle dédiée aux fournisseurs et équipementiers de PSA, située en face de l’usine de La Janais, à la Touche-Tizon, en Noyal-Chatillon.
     François Rouault, qui a suivi le dossier en tant que directeur du développement économique à l’agglomération rennaise, indique qu’ « il ne faut jamais oublier que 80 % de la production de l’usine est exportée et que la qualité des services logistiques peut être décisive dans la compétition avec les autres sites du groupe au niveau national comme international » ; il souligne également l’importance de relations personnelles de confiance dans la durée entre les élus et les directeurs du site industriel comme ce fut le cas notamment avec Marcel Riond, directeur du site rennais de 1998 à 2002. Il faut retenir aussi que plusieurs partenaires publics (la Drire, le conseil régional, le conseil général, Rennes Métropole ) s’engagent avec les industriels du territoire dans le soutien à la recherche régionale, convaincus de l’importance de l’ancrage local des équipes de Recherche et développement ; l’Institut Maupertuis est créé, à l’image des « Fraunhofer » allemands, en partenariat public-privé, pour « être un centre de recherche et de développement de solutions dans le domaine de la productique permettant aux industriels de l’Ouest de renforcer leur compétitivité » ; le directoire de l’institut est présidé par un ancien directeur de La Janais et un élu d’une collectivité assure la présidence du conseil de surveillance de l’Institut.

Mobilisation générale pour l’emploi

     L’usine se met ainsi à réembaucher, dans un marché de l’emploi parfois très tendu. Le partenariat qui se développe avec les services de l’insertion au cours de l’année 2000 est remarquable sur plusieurs aspects. Le 20 juin 2000, la direction de Citroën informe le président de Rennes Métropole de ses difficultés de recrutement et sollicite la mise en place d’une opération propre au bassin d’emploi pour trouver un millier de personnes en CDD de 6 mois. Les services insertion et emploi de la collectivité s’engagent à fond dans l’opération pour proposer ces postes en priorité aux personnes les plus éloignées de l’emploi : bénéficiaires du RMI, jeunes sans qualification, demandeurs d’emploi de longue durée. La direction de l’usine donne son accord pour recevoir tous les candidats et ne retenir avec l’ANPE qu’un seul critère de sélection, celui de l’habileté à remplir la tâche, sans tenir compte ni du CV de la personne ni de son sexe, ni de son âge, ni de son diplôme. Ce fut une mobilisation exceptionnelle de moyens et de partenaires : l’objectif des 1 000 embauches fut rapidement atteint et les femmes furent recrutées en nombre grâce à cette méthode beaucoup moins stigmatisante.
     On retiendra également de cette action les multiples relations directes, parfois tendues mais finalement très stimulantes, entre le service de recrutement de l’usine et les travailleurs sociaux. Les collaborations se poursuivront les années suivantes. En 2003, Rennes Métropole, pour répondre aux besoins, mettra en place trois nouveaux circuits réguliers de bus pour faciliter le transport à des horaires atypiques (les horaires de production en 3/8) des salariés des quartiers de la ville de Rennes vers l’usine PSA et vers les entreprises de La Touche-Tizon. L’année 2004 battra tous les records avec 340 000 véhicules produits.

 Aujourd’hui, ni le bassin d’emploi de Rennes ni l’usine PSA ne sont épargnés par la crise économique. Le secteur de l’automobile, de loin la filière industrielle la plus importante du territoire, est aussi celle qui connaît une des plus fortes mutations au niveau mondial avec de graves problèmes d’emploi.
     L’histoire des liaisons de l’entreprise avec le territoire rennais montre que les plus fortes évolutions du marché international ont laissé une place importante à une dynamique locale et que le niveau territorial peut constituer un niveau de régulation pertinent des effets multidimensionnels de ces mutations et restructurations. La ville de Rennes et la Bretagne dans les années 60 ont su peser pour obtenir l’implantation de l’usine. À la fin des années 90, au moment où la stratégie mondiale des constructeurs automobiles a consisté à déléguer de larges pans de leur activité aux équipementiers, l’usine et le territoire ont fait le pari d’une interdépendance choisie et d’un projet collaboratif gagnant-gagnant, malgré les réticences de cadres nationaux de la firme.
     Sans prétendre que la vérité d’il y a 10 ans ou 50 ans est forcément celle d’aujourd’hui, le socle apparaît solide pour pouvoir rebondir. Les compétences de la main-d’œuvre locale unanimement reconnues dès l’origine et confirmées lors de la sortie des véhicules haut de gamme sont un atout décisif pour le site de Rennes et la Bretagne. L’écosystème structuré depuis des années avec une logistique performante réunissant fournisseurs, équipementiers et constructeur, reste un modèle d’excellence.
     Pour relever le défi collectif de l’évolution des comportements, des usages des ménages et des entreprises, face à l’évolution des technologies et des enjeux environnementaux, un nouveau projet partagé et ambitieux est nécessaire qui répondra aux besoins de la mobilité de demain. Comme l’analyse Pierre Veltz, spécialiste national reconnu de ces questions, il est nécessaire aussi pour un partenariat efficace de ne pas en rester à de simples échanges et c’est ce que le territoire rennais et la Bretagne ont compris. Gwenaëlle Hamon, vice-présidente de Rennes Métropole chargée du développement économique, le souligne : « Nous avons montré notre capacité à réfléchir ensemble à des scénarios d’anticipation réunissant tous les acteurs, aussi bien privés que publics, représentants des organisations patronales comme des syndicats de salariés, de niveau régional, comme départemental et local ; nous avons appris à faire des propositions, à prendre des décisions et à mobiliser nos forces en commun ».
     La partition pour l’avenir de PSA n’est pas écrite. L’élaboration d’un plan régional global est en chantier pour préparer des réponses de court terme ainsi que des perspectives à plus long terme, prenant en compte les logiques et les intérêts aussi bien des entreprises que des salariés et des territoires ; l’un de ses atouts est de pouvoir s’appuyer sur une histoire de responsabilité partagée.