« Quand nous avons engagé notre réflexion en 2002, deux phénomènes contradictoires se conjuguaient. La production de logements neufs était en baisse et dans le même temps la population continuait à augmenter fortement : la métropole, troisième agglomération de France la plus dynamique après Toulouse et Montpellier, avait accueilli 46 000 nouveaux habitants entre 1990 et 1999. Faute d’une production neuve suffisante et à des prix attractifs, ceux qui le pouvaient se précipitaient sur les logements anciens dont les prix ont doublé en moins de dix ans. Du coup, les difficultés de logement et l’augmentation des prix repoussaient les nouveaux habitants à la périphérie. Les jeunes ménages et les familles nombreuses en particulier s’éloignaient de plus en plus de la ville-centre.
Mais, la pression démographique faisait aussi augmenter les prix dans les communes périphériques. Les habitants qui en partaient étaient remplacés par des gens plus âgés, à revenus plus élevés. Il y avait donc risque, sinon de ségrégation spatiale, du moins de spécialisation spatiale : restaient dans la ville-centre – c’était la tendance – les jeunes, les personnes âgées, les familles les plus aisées et les familles les plus modestes (parce que c’est là que se trouvent les logements sociaux) ; partaient en périphérie, parfois très loin, les familles avec enfants, les jeunes ménages actifs. »
« Entre 1999 et 2005, la métropole a construit chaque année environ 2 200 logements, juste assez pour ne pas perdre de population : c’est que la décohabitation consomme à elle seule 1 300 logements par an ! L’ambition du Programme local de l’habitat, adopté définitivement en juin 2006, était d’en produire le double, soit 4 500 logements par an, ce qui faisait un total de 36 000 logements entre 2005 et 2012, au moins 8 000 en ville de Rennes et 28 000 dans les communes périphériques. Parmi ces logements, au moins la moitié bénéficierait d’aides publiques. Parmi ceux-ci, la moitié serait des logements locatifs sociaux et l’autre moitié des logements locatifs à prix intermédiaires ou en accession aidée.
De plus, il était prévu que la moitié au moins des logements neufs serait des logements collectifs ou semi-collectifs. Seulement un logement sur cinq pourrait être construit sur des lots supérieurs à 350 m2. Enfin cette ambition collective se traduisait par un engagement de chaque commune d’augmenter de 6 % en moyenne chaque année son parc de résidences principales par rapport au parc recensé en 2003. »
« Pendant la durée du programme, jusqu’en 2012, Rennes Métropole aiderait par contrat chaque commune qui accepterait ces conditions : aide au portage foncier, aide à la surcharge foncière, à la diversité de l’habitat, financement d’études, maîtrise foncière, assistance opérationnelle… Seules les communes de Rennes, Chartres-de-Bretagne et de Montgermont qui manquent de terrains, échappaient à ces contraintes. Elles s’engageaient tout de même à mener des opérations de renouvellement de l’habitat.
À l’époque, seule une commune n’a pas signé, Saint-Grégoire. Elle n’a de ce fait pas eu accès aux aides de Rennes Métropole. Mais elle a été tenue de respecter les règles – moins contraignantes – du Schéma de cohérence territoriale. Des contrats ont également été signés avec chaque promoteur, chaque financeur : il ne suffit pas en effet d’être d’accord tous ensemble, il faut que chacun le soit individuellement. Nous étions attachés à ce que le dispositif mette tout le monde en route.
« En matière de logements sociaux, notre politique est déterminée par notre évaluation des besoins à satisfaire. Elle n’est pas liée aux montants des aides directes de l’État. Ces aides sont erratiques et ne cessent (sauf plan de relance) de diminuer : elles étaient de 8 100 € par logement en 2001 ; on n’annonce plus que 1 000 € pour 2010. Pour sa part, en fonction de l’évolution des prix de revient des opérations, Rennes-Métropole est amenée à apporter de 25 000 à 30 000 € par logement, au titre de l’aide à la surcharge foncière et aux équilibres financiers d’opérations. Ce volontarisme est une sécurité pour ceux que nous voulons loger, pour les promoteurs et pour les entreprises. Grâce à quoi, nous avons construit aujourd’hui les logements sociaux prévus.
Pourquoi, malgré la crise, avons-nous atteint nos objectifs ? Dès 2008, nous nous sommes inscrits dans les processus de relance et nous avons saisi l’opportunité du Pass’foncier2, qui permet de payer d’abord la maison et ensuite le terrain. C’est sur le plan opérationnel une véritable usine à gaz mais qui a le mérite de resolvabiliser les familles modestes avec enfants, de ne pas les obliger à sortir de Rennes Métropole pour pouvoir se loger. Nous avons ainsi commercialisé l’an dernier 524 Pass’fonciers sur les 7 500 commercialisés en France. Nous avons représenté 7 % des Pass’fonciers alors que notre population représente moins de 0,7 % de la population française.
Si nous avons pu le faire, c’est qu’il y avait des opérations disponibles : on a transformé en accession sociale de l’accession privée qui ne trouvait pas de clients. Ce qui a permis de faire tourner les entreprises, et aux promoteurs de ne pas garder sur les bras une partie de leur production… Pour le logement locatif à prix intermédiaires, on s’est saisi de l’opportunité de la loi Scellier3. Au total, nous avons eu un niveau de ventes équivalent à celui d’avant la crise. Sauf que c’est quand même une production spécialisée.
Il faut faire attention à ne pas produire que du logement social. Il faut préserver l’équilibre social des zones d’aménagement ou des quartiers en développement.
Les meilleures intentions pouvant avoir des effets pervers, on s’était donné l’obligation de faire le point en 2009. De toute manière, l’exercice se serait imposé de lui-même compte tenu de la crise, de ses effets sur l’immobilier. Entre-temps, ont eu lieu aussi les élections municipales avec un fort renouvellement des équipes. La révision a permis aux nouvelles équipes de se réapproprier le Programme local de l’habitat. Malgré un an et demi de crise, nous atteindrons entre 85 et 90 % de l’objectif de cette première période : nous avons construit 18 500 logements alors que l’objectif était de 20 900 ».
« Mais, actuellement, l’accession privée classique est toujours en panne. Elle nécessite souvent la revente préalable d’un bien, ce qui se fait difficilement ; de plus les promoteurs privés manquent de visibilité au-delà du plan de relance. Les opérateurs et leurs banquiers manquent de confiance pour engager des opérations dont ils ne savent pas comment ils pourront les commercialiser. De ce fait, les dépôts de permis de construire sont beaucoup moins nombreux. Le Pass’foncier va lui aussi devenir moins intéressant après juin 2010. Soyons réalistes, dans ce contexte il nous manquera une partie importante du marché pour les trois dernières années (2010-2012) du programme. On se donne donc deux ans de plus, c’est-à-dire jusqu’en 2014, pour atteindre nos objectifs initiaux. Il s’agit de prendre en compte cette part du marché qui n’est pas au rendez-vous, et que nous ne pouvons pas créer. Elle dépend de la reprise de l’activité économique, de la confiance des gens dans leur avenir, de la remontée des prix dans l’ancien… »
« Nous profitons aussi de cette analyse à mi-parcours pour mieux prendre en compte les particularités des territoires. Nous avons construit beaucoup de logements collectifs. Le PLH fixait un objectif minimum de 50 % de logements collectifs. En réalité, il en a été produit 74 %. Si cela a du sens de faire surtout du collectif à Rennes ou dans le noyau urbain, il est sans doute beaucoup moins pertinent d’en faire autant dans toutes les communes. Nous revenons donc aux règles du Scot qui s’expriment seulement en termes de densité. Nous disons : ce qui nous importe, c’est de dépenser le moins de terrain possible. Mais ça peut être de l’individuel dense ou du logement intermédiaire. Le collectif n’est pas un dogme. Il faut dire qu’au début des années 2000, comme tout se vendait, cela n’a pas poussé les promoteurs à être inventifs et à diversifier leurs offres. Ce que les gens demandent, c’est un peu d’intimité, pas forcément une maison et un grand jardin. On rêve d’un terrain de 5 000 m2 quand on ne l’a pas. Mais quand on l’a, ça peut devenir très lourd ! »
Enfin, troisième modification, l’évolution des normes énergétiques et d’accessibilité, dans un contexte économique, social et politique tendu (désengagement progressif de l’État, modifications de la fiscalité locale, perte d’autonomie financière des collectivités territoriales…) vont nous obliger à revisiter l’ensemble de nos procédures. Il nous faut à la fois anticiper les ambitions en termes de développement durable et être encore plus efficients sur nos objectifs sociaux. Veiller à la solvabilisation des ménages les plus modestes pour continuer à faire vivre et à faire progresser le «droit au logement« et le «droit à l’agglomération» pour tous.
C’est l’objet de la période de concertation qui s’engage avec l’ensemble des acteurs du PLH, communes, aménageurs, architectes, opérateurs, financeurs… »
« Penser l’habitat, ce n’est pas seulement raisonner sur des chiffres et des densités. Il faut partir des modes de vie Je crois que la sociologie peut nous aider. Par exemple, il y a moins de moins en moins de personnes par ménage… Deux tiers des ménages sont constitués d’une ou deux personnes. La famille classique, parents plus enfants, représente un tiers des ménages.… Autrefois, on mourrait deux à cinq ans après sa retraite maintenant, on peut vivre encore vingt ans, d’où les divorces des personnes de soixante ans et plus qui n’ont pas entretenu leur vie de couple… Aborder comme cela la question du logement, c’est voir les choses de la même manière que les gens, c’est créer avec eux une culture commune, une empathie. Parce que chacun a dans sa famille, parmi ses connaissances, des gens qui ressemblent à ces situations. Du coup, ils ne sont plus dans la même attitude. »
« J’aime bien montrer comment les problèmes ont été résolus. Nous avons avec Bernard Poirier, président du pays de Rennes, amené une quarantaine d’élus pendant deux jours dans la métropole bordelaise pour visiter des opérations urbaines. L’une d’elles, à Blanquefort, signée Alexandre Chemetoff, a retenu l’attention des élus : 40 logements à l’hectare, en deuxième couronne ! Une sacrée densité ! Eh bien ! Les élus se sont dit qu’ils auraient envie d’y habiter et peu importe la densité. C’est de l’architecture contemporaine ? Ah, bon. Moi, ce que je veux c’est être bien logé, dans un logement bien conçu. Alors, savoir que l’architecte se raccroche à tel mouvement, je n’en ai rien à faire. Celui qui a envie de connaître l’architecture, c‘est autre chose, il peut le faire. Mais la plupart des gens veulent être bien logés, même si c’est dense, comme à Blanquefort. »
« Quand on fait du collectif en première ou deuxième couronne, il ne faut pas que ce soit la même chose qu’à Rennes, ni au même prix. C’est là que le qualitatif entre en jeu. Le 5 novembre dernier, on a organisé un forum à Rennes Métropole avec le pays de Rennes sur «Envie d’habiter« pour montrer des opérations denses qui respectent l’intimité… La deuxième chose qu’il faut que nous arrivions à obtenir, c’est de faire varier selon les communes l’obligation de construire chaque année 6 % du parc de logements existant. Pour certaines communes, 6 % c’est trop, mais d’autres peuvent aller plus loin. »
« Quand tu es jeune, tu veux sortir le soir. Mais le jour où tu te mets en ménage, que tu as un gamin… ta vie change. L’aspect qualitatif entre en jeu. Quand tu acceptes d’aller à 25 ou 30 km, il faut que tu aies le mode de vie qui va avec. L’intérêt de la ville-archipel, c’est qu’elle offre une grande diversité de solutions. Il y a des gens qui malheureusement choisissent un logement sans tenir compte de leur mode de vie. J’ai un jour demandé à des Rennais : «Mais pourquoi habitez-vous au centre-ville ? Tout ce que vous me dîtes démontre que vous devriez habiter dans un quartier périphérique ou à la campagne. Vous n’aimez pas le bruit, vous ne fréquentez pas les services, vous ne sortez pas. Je ne critique pas votre mode de vie, mais ce n’est pas un mode de vie de centre-ville. Alors, vous y êtes malheureux» » Une autre fois, je fais une réunion aux Longchamps. On commence à me dire : «Ici, c’est résidentiel. On n’aime pas trop qu’on vienne nous déranger». Je leur réponds : «Bon, on va se mettre ensemble et on va dessiner le mur que vous voulez autour de votre quartier. « Il ne faut pas avoir peur d’être ferme dans le dialogue avec nos concitoyens… ferme et pédagogue… Autre chose, la critique des lotissements, n’est pas la critique de la maison individuelle mais du fait que les gens sont tous du même âge. Ils ont acheté au même moment, quand ils avaient environ trente-cinq ans (couple bi-actif avec jeunes enfants). Ils ont tous le même point de vue. Et tout le monde vieillit en même temps. C’est terrible ! La ville doit promouvoir la mixité intergénérationnelle. Quand tu poses d’abord ces choses-là, le débat sur la ville est très différent. »
« La ville a été conçue depuis trente ans avec la mobilité, en oubliant la proximité, c’est-à-dire l’intensité urbaine. Aujourd’hui, il faut traiter les deux en même temps. La mobilité entraîne des comportements un peu contradictoires. Au centre-ville, il y avait autrefois un commerce alimentaire sous les Dames de France, rue Le Bastard. Le commerce ferme. Protestations ! Je vais voir la responsable du magasin. Elle me dit : «On est obligé de fermer. On ne gagne pas notre vie». Forcément, les gens ne venaient la voir que le jour où ils avaient oublié quelque chose… La thèse que je défends est qu’il faut des services quotidiens près de chez soi. Ça fait vivre la citoyenneté communale ou de quartier. Pour les services qui font vivre la citoyenneté métropolitaine, on peut faire un effort et se déplacer un peu plus loin. »
« Il va falloir que l’on retrouve des formes de vie collective… Comment faire société. L’idéal républicain, universel, bien sûr… Mais en même temps, il faut que l’on puisse se retrouver entre gens qui se ressemblent. Que place du Parlement, on fasse une cage d’escaliers d’ouvriers, une cage de bourgeois, ça n’a pas de sens. Ce qui est fondamental, c’est que l’accès à tous les grands équipements soit le même pour tout le monde, que l’on ait dans chaque commune des mélanges de financement de logement. Mais que dans des endroits où des gens veulent se retrouver ensemble, ils soient bien entre eux… Il ne faut pas croire que la mixité sociale absolue résout tous les problèmes comme par miracle et que la non-mixité absolue les aggrave systématiquement. Sous l’Ancien régime, place des Vosges à Paris, tout le monde vivait ensemble, par obligation puisqu’il n’y avait aucune mobilité. Mais il n’y avait pas du tout de mélange social. La ségrégation était verticale. Il faut arrêter de rêver… Ce qui important, c’est qu’un jeune plongeur dans un restaurant ait un salaire décent, un logement décent, assez d’argent pour avoir les loisirs qu’il veut avoir, qu’il écoute de la musique, qu’il puisse aller dîner ou boire un coup avec ses copains, fonder une famille. Au leu de ça, les jeunes sont mal payés, on ne les respecte pas dans leur boulot, ils ont juste de quoi survivre… Qu’un jeune diplômé ne trouve pas de boulot parce qu’il est maghrébin, ça pose problème quand même. Il faut faire très gaffe ! Une démocratie qui fonctionne comme ça, ça peut exploser »
1 La situation est en passe de se régulariser puisque Saint-Grégoire vient de participer au vote unanime du Conseil de Rennes-Métropole le diagnostic à mi parcours et la délibération d’orientation de la seconde phase du Programme Local de l’Habitat.
2 Le Pass-foncier permet à des ménages à revenus modestes qui accèdent pour la première fois à la propriété de reporter le paiement du terrain après celui du logement qui y est construit.
3 La loi Scellier permet à tous les contribuables qui achètent un logement répondant à certaines conditions de bénéficier d’une réduction d’impôt à condition de le louer pendant neuf ans