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Contributions
#25
RÉSUMÉ > Notre rubrique de flânerie subjective se poursuit au fil des rues. L’oeil exercé de Gilles Cervera capte des détails inattendus au détour des murs, des ponts et des jardins. Des détails qui éclairent la ville d’une lumière sensible.

     À Marseille, c’est une sardine qui en a bouché le port ! À ce qu’il paraît ! C’était le nom d’un navire (le Sartine en fait) et c’est devenu une expression. À Rennes, la sardine s’agrippe au mur. Elle nage en plein air. Saut de carpe ou double salto de poisson volant. L’ichtus est rennais et flotte à fresque au-dessus d’un bras de Vilaine, boulevard Laënnec. Il s’élance, pataud voire foutraque, il rend distinctive une façade, signe de ralliement un peu ésotérique : le dit-on qu’on se retrouve à la sardine ? Elle est ventrue et saute du Pont Laënnec et nous en bouche un coin!

     Déplaçons-nous dans le temps. Pour le cas où ce mur peint disparaîtrait ! Le quartier Gare étant, on le sait, voué à bel avenir. Faisons dans les si : si d’aventure ce mur-là devait, à l’instar d’un Lascaux de courte mémoire, mériter son rang ! Si ce mur interrogeait dans quelques décennies les nostalgiques des enseignes publicitaires, retenons-en sa forme et sa sémiologie. Si un comité de soutien tenait à soutenir ce mur, à ressusciter son souvenir car tant d’enfants auront à son pied hanté le square proche ou tant d’étudiants aux pas rapides l’auront longé à la descente d’un train du dimanche soir ou le vendredi, au saut d’un car, la tête dans le chou, à la gare routière proche. Ah qu’il est doux le bruit de la ville un dimanche soir quand toutes les valises à roulettes résonnent dans le couloir des rues. Certaines crissent, d’autres glissent. Certaines sautent, d’autres tremblent ou cahotent, mal amorties par les mauvais plastiques. Fermons les yeux, c’est un concert unique. La ville est étudiante et les roulettes des valises sont sa musique !

     La ville a ses formes, ses variations, entre aigu et grave. Ainsi ses toits forment un flux, une vague assez douce que l’étrave des yeux embarque doucement. Ou des toits comme des pointes, des dents acérées de scie, et le regard alors s’y heurte au plus coupant. La ville a tant de muscles! Redoutons l’uniformité et qu’aujourd’hui n’y débarquent que des cubes jetés en ligne le long des rues. Préférons l’urbanisme Mallarméen avec ses courbes et ses aléas aux répétitions d’angles droits!

     Quelle est guillerette cette âme ! Qu’elle file avec le pas léger, et bien roulée dans ses bandelettes ! Est-ce un retour de l’âme invisible ? Assistons-nous à un petit revival coloré du vieux feuilleton des télés? Suffit-il de dérouler le cataplasme afin de trouver derrière l’ectoplasme ? Cette momie qui a si fière allure court auprès de l’Ille, enjambe les Tanneurs, monte vers la ville. En retard ? En avance ? À l’heure ? Est-ce un homme voilé ? Ou une métaphore bleue des urbains d’aujourd’hui dont l’identité est masquée, diffractée ou tarie ? Les murs sont une langue. Les mots parlent aux mots. S’adressent aux promeneurs. La ville est un vaste lexique juxtaposé ! Nous le traversons, frôlons ses enduits. Nous passons dedans, n’en déduisant que l’infime.

     Roulette pas très russe avec le silence de la nuit et le sommeil de la ville. Avez-vous vu, depuis le TGV ou le TER en direction de Vitré, ce long graffiti noir visible, sur un entrepôt interlope des triages : c’est écrit en gros, en gras, en immensément sombre et en majuscule : « quand la ville dort » ! La preuve qu’elle ne dort jamais tout à fait !

     Les arbres comme signes extérieurs de richesse ! Les séquoias, les cèdres étaient arborés pour arborer les alentours des belles propriétés. Graines exotiques prouvant que le monde, dans ces maisons d’ici, le monde colonial souvent, venait avec ces graines rapprocher le lointain et le proche, l’exogène et l’endogène. Les immeubles sont dominés, rue de Fougères, par la frondaison majestueuse de ce séquoia sempervirens!

     Le Pont des Arts à Paris quand le soleil se lève ou se couche a pris depuis quelques décennies mille éclats. Pas un millimètre de ses rambardes où ne se soit refermé un cadenas amoureux. Les amoureux repartent, serments et clé en poche, se jurant l’éternité, le cadenas pour preuve ! Certains rouillent comme d’anciennes aiguilles disant qu’il y a eu cette heure juste et belle. À Rennes, rue Dupont des Loges, il y a, au moment de ce point de détail, trois cadenas accrochés à la balustrade. Trois pactes dont le remous des Moulins proches fut témoin ! Quartier Californie, le joliment nommé. Où s’encadenassent les promesses.