<
>
Contributions
#31
RÉSUMÉ > Délaissant quelques instants les rues rennaises, la flânerie subjective de Gilles Cervera se déroule ce mois-ci au pied des remparts de Saint-Malo, thème de notre dossier oblige ! Notre collaborateur saisit dans l’air iodé des détails inattendus, des souvenirs nostalgiques et des ambiances corsaires.

     La piscine de Saint-Malo. Son plongeoir à géométrie variable. Par moment disparu et puis il revient, comme la toise en ciment des eaux. Les poissons et les crabes vivent en dessous et par moment des enfants y rêvent. Surtout l’hiver, de piqués, de saltos doubles ou triples, de voltiges au-dessus du miroir océanique. Le plongeoir, conceptuel assez, considérons-le comme du land art.

     Les mâts de Cocagne et ceux des navires se confondent. Les grues énormes sortent de la forêt des manèges. Les forains sous les remparts envoient à fond leurs cacophonies. En haut des remparts s’enroulent les rumeurs d’enfants, les cris de joie ou de peur dans les trains fantômes et le sucre des barbes à papa ruissellent sous les Portes de ville. Sainte Ouine est une sainte attendue, Luna Park et Magic Mirror poursuivent de la Cité ses caves comblées de débris et ses oubliettes à fantômes.

     L’humour est-il malouin ? Le minuscule bout de trottoir porte à peine l’ardoise et la demie-chaise de la demie-table du quart de consommateur. Lesquels s’agglutinent, désormais plus dehors que dedans. Les fumeurs fument et les verres sortent, les volutes montent, de bière aussi. La ville se souvient des nuits qui durent et des prolongations d’après la pêche. Terre-Neuve était fatigant, la campagne longue et pour s’en remettre, la surface de zinc n’était pas proportionnelle au temps que les hommes y venaient rattraper.

     La ville eut un autre nom. Une autre histoire. Tout ne commence pas avec un bombardement d’août 1944. Ni par des canonnières en rang ou des mortiers en batterie. Ni des bétons murant l’Atlantique. La ville est gallo-romaine et contemple deux millénaires. Entre Servan et Mach Low, il y a le vieux rempart d’Alet avec ses pierres venues de loin. Histoire stratifiée d’une actualité brûlante : entre les Coriosolites, les Alains ou les Normands, entre Anglois ou Germains, entre les cars de touristes et les ferries débordant, tant d’envahisseurs ont poussé le Malouin à conquérir ailleurs. Qui pousse qui ? Qui prend le fer contre qui ? Qui découvre quoi ?

     La jetée du port, celle qui protège, brise les lames, permet d’entrer, fait signe, c’est aussi ce trait d’homme lancé dans le vertige. Ici, la nature est omniprésente. Les éléments, comme on dit. Leur imposer notre ordre d’humain est un ouvrage constant, une volonté de puissance, un rapport de force que la jetée raconte. Les niveaux de la mer montent, ceux d’Alet s’en souviennent. Que se passera-t-il demain ?

     La tempête habite ici autant que les Malouins. Les fenêtres sont doublées depuis longtemps et on met sa façade plutôt dos aux vents dominants. Le panneau est éloquent. Gaffe les gars, le vent vient ! Les touristes souvent n’y croient pas. Romantiques, ils viennent tablette en avant, ils ont regardé la météo ! Ceux d’ici ferment leurs volets et eux accourent, prennent le train pour une tempête du siècle. Show must go on. Victor Hugo s’efface des mémoires : Ah ! cette mer est méchante, /Et l’affreux vent d’ouest qui chante/ En troublant l’eau, /Tout en sonnant sa fanfare, /Souffle souvent sur le phare/ De Saint-Malo.

     Celui qui n’est pas d’ici se demande toujours quels noms ils portent et où leurs yeux regardent. Si c’est nous qui, sillonnant le Sillon, ils scrutent ou si c’est un poisson, là-bas, qu’ils lorgnent ou le reste d’un cornet dégringolé d’un sac de plage. Les oiseaux de mer chantent Hugo dans le texte et nous croyons qu’ils jacassent: Et les écueils centenaires/ Rendent des bruits de tonnerres/ Dans l’ouragan ; /Il semble en ces nuits d’automne /Qu’un canon monstrueux tonne /Sur l’océan.