<
>
Contributions
#23
RÉSUMÉ > Suite de notre rubrique de flânerie subjective à travers les rues de Rennes. En se baladant, nez au vent, Gilles Cervera capte les détails. Des détails qui n’en sont peut-être pas…

     Les services techniques, à moins qu’il s’agisse d’un artisan, ont des ressources! La question qui se pose à celui qui emprunte la rue est simple comme “j’y vais ou j’y vais pas? Je dévie ou je ne dévie pas?” Sûr qu’en certaines régions d’Europe, il y a peu, plus au Sud ou carrément à l’Est, seul un seau retourné, un brasero allumé, une fourche à l’envers ou un vague fanion servaient d’indices pour un rétrécissement de chaussée ou un déroutement de chantier. Ici, à Rennes, on ruse autrement! Les panneaux font deux en un, côté face, vous ne le saurez pas et côté pile, les flèches sont éloquentes et l’ordre sûr!  

Le fest-noz au patrimoine universel! Des nuits de diaspora à scander de New York à Roazhon, danse et contre-danse, chant et contre-chant jusqu’à déraison! Incroyable! Au classement mondial en tant que patrimoine immatériel de l’humanité, nos transes rondes ou en files, bras dessus bras dessous ou le doigt en l’air crochant le doigt de l’autre! Sent-on tout ce que ces mots veulent dire: patrimoine immatériel de l’humanité ? J’avais apprécié aussi que la place Jemaa el-Fna à Marrakech le devienne! Son côté moche et de guingois, sublime quand lesMarrakchis montent vers elle comme une marée rituelle depuis les mille et une nuits des temps ! Voilà fest-noz et Jemaa el-Fna (littéralement les trépassés!) rangés dans le même dossier de l’Unesco! Ces deux sonneurs de l’avenue Janvier témoignent à la fois du folklore et de ce que devient le monde! D’une enseigne l’autre, les sonneurs en bragou braz et ceux d’Anatolie – où les crêpes ne sont pas si mauvaises, voisinent !

Est-ce que les arbres souffrent ? Ou au contraire, prennent-ils à leur compte ces marques amoureuses ? Les bouleaux ne nous répondent pas, ni les peupliers des parcs ou ceux des bords de l’eau. Peut-être est-ce là qu’elle réside la loi du mariage pour tous, dans ces scarifications devant témoins ! Là que des cérémonies ont lieu ayant pour seul magistrat l’arbre, dont la valeur n’est pas moins instituante qu’une autre! Tel est le récit de l’écorce scarifiée de prénoms et de signes. Que d’aveux amoureux dont l’arbre témoigne bien après qu’Abélard et Héloïse soient morts ou que d’autres, moins sublimes, aient cassé! L’arbre tient et ne rompt point !

Reliquat d’un dimanche de manifestation anti mariage pour tous ? Une rue de Rennes devient « identitaire ». Deux drapeaux sur le manche: un gwen ha du, pauvre Bretagne mise à toutes les sauces, et cette croix fine et blanche sur fond rouge entourée de rayons ! Certains habitants s’affichent désormais aux fenêtres. Aux croisées, les croisés! Heureusement que chaque huis ne porte pas sa hampe! Une guerre civile se jouerait alors à bas bruit ! Une guerre de drapeaux! Ici, nous n’avons pas cette habitude de confondre l’espace privé de la fenêtre et public du trottoir : dans le quartier gay de San Francisco, je me souviens des drapeaux arc-en-ciel arborés aux fenêtres des bow windows. Et dans le reste de l’État, les drapeaux américains comme signe de ralliement patriotique! American style! En Bretagne, les bannières ne prenaient l’air qu’une fois par an, lors des pardons! Plaise au ciel que la rue laisse libres les regards qui flottent et ne se drape point d’appel aux guerres.

Qui, de cette cabine, a téléphoné en dernier? Facile de nommer le dernier à avoir passé un coup de fil dans la cabine de la Barre Saint-Just. Vous trouvez? Celui qui en a fait son image de marque internationale! Mille rétrospectives, cent catalogues raisonnés ! Eh bien oui, c’est signé: Jackson Pollock, ou plutôt son fantôme! Sûr qu’il est passé un soir par Rennes! Un simple coup de fil vers l’au-delà à cause de son retard pris dans un bar de la rue Hoche! Pollock n’a pas emporté le portable au paradis, forcé de choisir cette cabine du boulevard. D’un pot de peinture blanche en sa sauvage incandescence! Plus « pouring » (déversement) que « dripping » (égouttement), finalement !

samedi 2 février. Douceur de l’air et crêpes à l’envers. Je quitte Rennes vers l’ouest! À l’autoradio, notre Président est en gloire au Mali. Ceci n’ayant rien à voir avec cela. Passé Pont-Lagot et avant Pacé, au travers des halliers, une colonne de gilets fluo avance, fusil cassé sur l’épaule. Ils ont une manière d’avancer de biais comme au rugby ! À portée de Villejean et tout près du nouveau barreau, les chasseurs chassent en ligne et en fluo. Les lapins qui ont, c’est bien connu, des problèmes de vue, s’en réjouissent.