et après ?
Depuis la Révolution française, le « trop grand » nombre des communes est constitué comme « problème » au sein de cercles réformateurs. Souvent convoquée dans la compréhension du développement de l’intercommunalité, cette situation française de morcellement extrême du gouvernement municipal doit être relativisée si nous considérons que la presque totalité des pays européens ont adopté et mis en œuvre des outils de coopération tant au niveau municipal qu’infra-régional et régional. En dépit des fortes disparités entre les politiques territoriales des États, les frontières politico-administratives héritées ne pouvaient en effet constituer l’unique base de rayonnement de l’action publique locale. Ceci se vérifie tout particulièrement dans le cas des villes européennes dont la croissance s’est d’abord réalisée par étalement.
Les agglomérations voient leur intégration avant tout fondée sur des flux spatiaux, des relations d’échange économique, social et politique. Afin de mieux répondre à la dynamique spatiale des problèmes, la plupart des pays du monde occidental se sont ainsi lancés depuis la seconde moitié du 20e siècle dans des réformes de leur système institutionnel territorial avec toujours le souci de combler le fossé séparant les échelles fonctionnelles (celles de problèmes, des impératifs de gestion, des mobilités, etc.) et les échelles institutionnelles.
Dans le cas de l’agglomération rennaise, l’intégration intercommunale a d’abord emprunté à la solution districale, faute d’un consensus politique local en faveur de l’établissement d’une communauté urbaine, statut apparu avec la loi du 31 décembre 1966. L’ordonnance du 5 janvier 1959, créant les districts, visait à résoudre les problèmes nés des frontières artificielles entre différentes communes au sein d’un tissu urbain continu, confiait aux districts des compétences obligatoires (logement, centres d’incendie et de secours) à côté des compétences volontairement déléguées.
C’est la multiplication de ces compétences qui explique, dans le cas rennais, comment un « simple » district, moins intégré que la communauté urbaine sur le plan du droit, peut aboutir dans les faits à une très forte intégration des compétences. Créé en 1970 pour permettre aux communes de l’agglomération de s’organiser en vue de recevoir un certain nombre de décentralisations universitaires, le District rennais va ainsi hériter de nombreuses compétences stratégiques, en même temps que se consolide graduellement la conscience qu’ont les acteurs des interdépendances qui les relient.
Au cours des années 1990, la communautarisation des compétences s’est accompagnée d’une intégration fiscale accrue, le District rennais se saisissant de la nouvelle opportunité offerte par la loi ATR (1992), créant la taxe professionnelle unique (TPU), pour concrétiser un projet déjà présent dans les esprits : partager la fiscalité économique. Sa mise en oeuvre dès le 1er janvier 1993 faisait du District rennais un précurseur sur le territoire national. Ce transfèrement de la fiscalité économique à l’échelle intercommunale, qui intervient en échange de reversements aux communes (attribution de compensation, dotation de solidarité communautaire), contribue alors à établir un territoire aggloméré plus solidaire: au partage de la fiscalité se surajoute une réduction de la concurrence fiscale que se livrent traditionnellement les communes pour attirer les entreprises.
La diversification étant une forme d’assurance économique, a fortiori dans un contexte où planaient des doutes sur la pérennité de la TPU, l’agglomération a ensuite franchi le pas de la fiscalité mixte, complétant la fiscalité économique et spécialisée par un recours (certes minoritaire) à la fiscalité ménages (taxe d’habitation, foncier bâti).
La solidarité communautaire s’est également manifesté avec la signature en 2005 du programme local de l’habitat : toutes les communes, à l’exception de Saint- Grégoire, s’engagent alors à participer à l’effort de construction des logements en général, et des logements sociaux en particulier. Entre-temps, le District s’était transformé en communauté d’agglomération dans le sillage de la loi Chevènement (1999) exigeant des EPCI qu’ils optent pour l’une des trois catégories de groupements (communautés de communes, communautés d’agglomération et communautés urbaines). La communauté, qui héritait alors de nouvelles compétences (équipements culturels et sportifs, voiries et parcs de stationnement d’intérêt communautaire), prenait au passage le nom de « Rennes Métropole ».
Rennes Métropole aurait pu devenir davantage qu’un nom, à savoir un statut, à la suite du lancement d’une nouvelle réforme territoriale par Nicolas Sarkozy, dont la loi du 16 décembre 2010 constitue l’aboutissement. En effet, si la Métropole est moins un territoire qu’un statut pour le droit, le Comité Balladur chargé de faire des propositions avait décidé d’introduire ce nouveau statut dans une perspective quasi-utopique de remodelage du territoire. Il proposait une sorte d’inversion juridique au terme de laquelle la Métropole deviendrait une authentique collectivité territoriale, une super-commune, dotée de la clause générale de compétences, alors que les communes, désormais privées de ladite clause, se verraient reléguées au rang de simples composantes.
La Métropole ressortait par ailleurs renforcée par le haut en se voyant transférer, à l’image de la ville de Paris, l’exercice sur son territoire de l’ensemble des compétences départementales. Partisan convaincu de l’intercommunalité, Daniel Delaveau, maire de Rennes, président de Rennes Métropole, mais aussi président de l’Association des communautés de France, souhaite alors saisir l’occasion de faire accéder l’agglomération rennaise à ce nouveau rang de Métropole. Une métropole étant ce que le droit désigne comme telle, son seuil de déclenchement est purement conventionnel : le législateur fait fluctuer les chiffres à partir desquels tel ensemble se retrouve éligible.
Alors que les députés fixèrent le seuil à 450 000 habitants, le Sénat allait le relever à 500 000 habitants par le biais d’un amendement du sénateur UMP d’Ille-et-Vilaine Dominique de Legge. Le saut démographique est alors trop important à franchir pour Rennes Métropole, dont le président pourra trouver matière à consolation dans le détricotage minutieux du texte au fil du travail parlementaire. La loi maintiendra finalement la Métropole au rang de « simple » établissement public, bénéficiant de transferts de compétences sur une base essentiellement conventionnelle (et non obligatoire).
Mais les consultations au sein et autour de Rennes Métropole, pour réfléchir à l’intégration de nouvelles communes ou communautés de communes voisines, sont déjà lancées. Le financement conjoint par l’État et l’agglomération d’une étude confiée à l’Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise (Audiar), réfléchissant à cette question des périmètres, traduit alors la convergence entre majorité métropolitaine et services de l’État. Visant à remodeler un paysage intercommunal français dont les mailles apparaissaient trop serrées (taille géographique, démographique et institutionnelle moyenne des EPCI jugée insuffisante), la réforme du 16 décembre 2010 a relancé les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI), inaugurés en 1992 et supprimés en 1999.
La première génération avait révélé une certaine frilosité du côté de l’État : les propositions préfectorales reprenaient le plus souvent à leur compte les propositions émanant des élus locaux. Avec cette « nouvelle génération », l’État cherche à davantage asseoir sa vision et imposer des regroupements. Or l’Ille-et-Vilaine témoigne de la difficulté récurrente de passer outre l’opposition des élus locaux en matière d’intercommunalité. Cristallisant de fortes tensions politiques locales, indépendantes des clivages partisans traditionnels, l’esquisse préfectorale de réduction drastique du nombre de communautés en Ille-et-Vilaine s’altère au fil des interactions avec les élus locaux.
Le projet d’extension de Rennes Métropole, soutenu de concert par le préfet et Daniel Delaveau, échoue devant un front politique du refus, porté par des élus de diverses sensibilités politiques. Celui-ci a finalement raison du projet d’amarrer quatre communautés de communes (Val-d’Ille, Chateaugiron, Liffré et Pays d’Aubigné) à Rennes métropole. Un scénario qui est dénoncé tantôt comme une forme d’annexion autoritaire, tantôt comme anti-écologique, tantôt comme un projet précipité. Ces résistances périphériques reçoivent le soutien des élus de la minorité de Rennes Métropole expliquant « pourquoi Rennes Métropole fait peur aux autres intercommunalités » 2. C’est donc à titre individuel que certaines communes vont faire le choix de quitter leur communauté de communes pour rejoindre Rennes Métropole: entrée des communes de Laillé (depuis le 1er juillet 2012), de Bécherel, Miniac-sous-Bécherel, La Chapelle- Chaussée, Romillé et Langan (à partir de 2014).
L’Acte III de la décentralisation, inauguré au lendemain de l’alternance politique de 2012 mais toujours en discussion en raison des interminables concertations avec les élus, devrait apporter des changements pour Rennes Métropole, non pas tant sur son périmètre que son statut et des compétences. Dans le projet de loi en cours, la métropole disparaît pour laisser place… à la métropole (exit la distinction entre « communauté métropolitaine » et « métropole » des premiers avant-projets de loi). Alors que le gouvernement a d’abord évoqué des conditions d’attractivité (présence d’un pôle universitaire de renom, d’infrastructures de transport conséquentes et de sièges sociaux de grandes entreprises) pour décrocher ce statut, le texte devrait finalement s’arrêter sur le seuil démographique de 400 000 habitants comme critère. Dans une note gouvernementale, que la Gazette des communes s’est procurée, le gouvernement semble même disposé à aller plus loin en transformant par décret « les EPCI à fiscalité propre qui formeront un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine de plus de 500 000 habitants » en métropoles. Marylise Lebranchu, ministre en charge de la Décentralisation, devait souligner: « Eu égard à leurs fonctions, je crois donc nécessaire de conférer à ces métropoles des statuts renouvelés, plus intégrés, plus puissants… ».
Si Rennes Métropole semble ainsi conduite à endosser un nouveau statut, que pouvons-nous concrètement en attendre? À ce stade, il est difficile d’y voir clair tant la distribution des compétences semble peu stabilisée. Des indiscrétions évoquent le fait que les décisions des métropoles pourraient s’imposer aux régions en matière de développement économique. En attendant, la communautarisation continue de progresser à travers un nouveau chantier prioritaire: la mutualisation des services. Adossée à une logique comptable (dégager des économies et répondre ainsi aux critiques sur le coût de l’intercommunalité), mais susceptible de nourrir une logique de projet, la mutualisation peut correspondre à la mise à disposition d’un service communal au profit de l’EPCI (mutualisation ascendante) ou inversement, au travail d’un service communautaire pour le compte d’une commune membre (mutualisation descendante).
Dans le cas rennais, c’est la forme la plus intégrée de mutualisation qui a été privilégiée avec la constitution d’entités administratives communes à la ville et la communauté d’agglomération: direction des ressources humaines, direction de l’urbanisme.
En tout état de cause, ce renforcement continu de l’intercommunalité (compétences, ressources financières et ressources humaines) repose la question de la démocratie intercommunale, volet sur lequel la réforme territoriale en cours fait preuve d’un quasi-mutisme, laissant intacte la solution adoptée par la loi du 16 décembre 2010 du fléchage des candidats, à partir des municipales de 2014. Ce moyen terme acceptable entre le statu quo et l’élection au suffrage universel direct permettra aux électeurs de choisir leurs conseillers communautaires (fléchés) en même temps qu’ils désigneront leurs conseils municipaux. Mais ce scrutin direct (sur le plan du droit) ne devrait pas suffire à mettre l’intercommunalité à portée de bulletin dans les faits. Les communes demeureront en effet l’intermédiaire obligé entre la base citoyenne et l’échelle intercommunale. Tout au plus peut-on espérer que ce fléchage créé les conditions d’un débat autour des questions métropolitaines dans une campagne jusqu’ici indexée à l’horizon municipal.