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Contributions
#33
Portraits d’entrepreneuses percutantes
RÉSUMÉ > Créatrices d’entreprise dans des secteurs variés, du numérique aux cosmétiques, en passant par la chimie, elles ont en commun leur enthousiasme qu’elles capitalisent avec talent dans leur vie professionnelle, tout en affichant une vie familiale épanouissante. Rencontre avec ces femmes de tête, lauréates 2014 des trophées Les Femmes de l’économie Bretagne.

Michaela Langer-Menke : Des particules pour traquer la radioactivité

     Michaela Langer-Menke, dirigeante de TrisKem International, conjugue son savoir-faire autant que son savoirêtre, pétillant et chaleureux. Le secret de l’entreprise est concentré dans 100 kg de poudre blanche conditionnés chaque année en cartouches de quelques centigrammes : « Une résine de petites billes en plastique sur lesquelles nous greffons des particules sélectives qui retiennent les radioéléments. Ces réactifs chimiques sont utilisés pour la radioprotection et la surveillance environnementale ». Avec 74 % du chiffre d’affaires réalisé à l’international, ce marché de niche intéresse une quarantaine de pays d’Europe, d’Afrique ou du Moyen-Orient.
    « Radiochimiste de formation, pendant ma thèse de doctorat j’ai travaillé avec ce matériau fabriqué par une société américaine, Eichrom. Je suis devenue chef de produit. En 1997, cette société souhaitait s’implanter en Europe, depuis Paris. Je me suis lancée ; mon français n’était pas parfait, gentiment les clients me demandaient de répéter en anglais ! ». En 2003, Michaela et son équipe s’installent à Bruz : « Un environnement économique favorable avec la proximité de l’école nationale de chimie et un bon compromis pour la qualité de vie ». En 2007, la société américaine lui cède le droit à production et les licences. Elle crée TrisKem avec deux associés : Cécile Vignaud, directrice administrative, et Steffen Happel, directeur de recherche. L’équipe compte dix collaborateurs et un distributeur en Chine. Sept autres sur quatre ans devraient être recrutés. TrisKem a rejoint le Biopôle de Rennes Métropole en Recherche et Développement. À terme, les activités de la société seront regroupées dans une nouvelle architecture, à Bruz.
    Michaela se veut positive : « Avec un bon équilibre familial au quotidien, on se sent bien dans son travail. Je ne veux pas créer de stress dans mon équipe : personne ne reste après 18 heures et un système de télétravail facilite la garde d’enfants ». Pour elle, vies familiale et professionnelle forment un heureux mariage. « En 2006, quand j’ai souhaité reprendre la boîte, j’étais enceinte. Cela n’a pas posé de problème. Ma fille est née le 16 février 2007 et le 28, le contrat était signé ! ». Lors d’un récent voyage d’affaires en Chine, la dirigeante était accompagnée de son fils David, collégien. « Une façon pour lui de découvrir mon environnement de travail. En plus, ce grand blond qui parlait chinois avait du succès ! ». Et de conclure : « J’aime ce que je fais. J’ai la chance d’être bien accompagnée, d’avoir une équipe soudée, un mari qui m’a toujours soutenue et une famille super ! ». La recette du succès.

Karen Heitzmann : L’ingénierie informatique en expertise

     « La société Steria fournit aux clients de grands comptes des services d’ingénierie informatique », explique Karen Heitzmann qui dirige, pour le groupe, une structure à double activité basée à Cesson-Sévigné. La première, le centre de profit du marché local décline en Bretagne une offre de développement informatique avec intégration de systèmes et de la maintenance de plateformes. « Nous vendons de la matière grise avec un contrat : telle solution clef en main à telle date pour tel prix… ». Depuis 2010, l’entité cessonnaise développe au plan national un centre de services partagés de test informatique : « Notre métier : tester les applications et formuler une expertise. »
    La jeune dirigeante qui encadre 240 collaborateurs, est aussi un produit maison : « J’ai été développeur, chef de projet, directrice de projet, directrice des opérations et à présent, je dirige une entité ». Avec une double casquette en management Télécoms et en gestion, une immersion en Angleterre, un passage par la région parisienne, la jeune femme obtenait sa mutation à Rennes. « Un environnement local très dynamique qui néanmoins subit le contexte global tendu dans le domaine des Télécoms », constate la dirigeante.
    Aujourd’hui, Karen se bat sur un autre front : « Le métier que j’exerce est certes masculin, mais ouvert à la diversité féminine, pas encore dans les mentalités. Participer aux Femmes de l’économie est une façon de faire naître des vocations et de lever les a priori ». Et de constater : « En tant que femme, je me sens valorisée et je ne sens aucune discrimination négative, mais plutôt positive. Les hommes avec lesquels je travaille, sont jeunes, modernes et loin d’être misogynes ! ». Mère de deux enfants, elle explique le rôle crucial joué par son conjoint. « Sans lui, je ne pourrais pas concilier vie personnelle et vie professionnelle. Il ne travaille pas le mercredi. Il s’occupe des enfants le soir et quand je suis en déplacement. Hélas, ce n’est pas toujours compris dans notre société ! »

Mathilde Thébault : Des bannettes numériques pour Madame Michu

     Océane Consulting est une SSII spécialisée dans la gestion de données et de contenus informatiques pour le compte de grands groupes et entreprises. Des services déclinés dans le Grand Ouest par Océane Consulting Data Management, depuis Cesson-Sévigné et Nantes. Recrutée en février 2014, Mathilde Thébault dirige un nouveau secteur d’activité : l’édition de logiciels. « Le coeur de mon métier consiste à démocratiser des solutions de gestion de données déjà éprouvées, pour des budgets moindres, ceux de petites entreprises artisanales, commerciales… ». À la tête d’une équipe de six développeurs et techniciens, cette e-documentaliste nouvelle génération développe le classement virtuel des e-courriers, e-factures, dématérialisés… « Il s’agit de proposer des concepts de classement les plus simples possibles pour Madame Michu, cette employée d’une cinquantaine d’années qui doit faire face à cette nouvelle façon de travailler. Nous rendons numérique les tâches « papier », avec par exemple la reproduction des bannettes qu’elle utilise ». Cette approche stéréotypée traduirait un constat de terrain : « C’est le profil type des personnes que nous rencontrons dans ces petites entreprises ! ». Avec un premier produit d’appel proposant des fonctionnalités de base, le prochain logiciel sortira début 2015.
    Avec enthousiasme, la jeune femme dit « s’éclater dans son domaine professionnel ». Un parcours singulier qu’elle présente volontiers afin de susciter des vocations chez d’autres femmes. « Après des études universitaires en biochimie cellulaire, avec en poche un master de bio-informatique appliqué à la biologie pour la conception de nouveaux médicaments, j’ai goûté à la gestion documentaire scientifique ». Forte de son expérience au sein d’un groupe pharmaceutique, une étape berlinoise, des compétences en gestion de métadonnées, la jeune femme était recrutée par son nouvel employeur. « J’ai suivi mon conjoint en poste à Nantes. Avec trois jours passés à Rennes et deux jours à Nantes, le transport n’est que du bonheur après avoir vécu en banlieue parisienne ! » Et d’ajouter : « Un tel épanouissement passe par un conjoint compréhensif doté de capacités d’adaptation égales aux miennes. Chercheur au CNRS en géophysique, il est lui-même amené à se déplacer. Nous sommes parents de deux enfants, il est à mes côtés pour gérer la maison. Notre organisation familiale permet à chacun de s’épanouir dans nos domaines professionnels respectifs. C’est pour nous un moteur, pas une contrainte pesante ! ».

Stéphanie Seznec : La cosmétique bretonne fait un tube

     « En vacances sur l’île de Ré, je n’avais trouvé que des cosmétiques de Provence dans ma chambre d’hôtel », raconte Stéphanie Seznec. Un comble pour la Bretonne, qui se décide à mener l’enquête : « Il n’existait aucun produit art de vivre dans l’Ouest, en dehors des gammes marines des établissements de thalasso ». Chimiste dans l’industrie pharmaceutique et cosmétique, avec dans ses bagages la création d’une entreprise malouine de poudre effervescente, pour le compte du groupe Roullier, Stéphanie se jette à l’eau : « Capable de créer une entreprise et de la développer pendant dix ans, je pensais être compétente pour développer mon propre projet ! » Soutenue par la Chambre de Commerce et d’Industrie et par le Réseau Entreprendre, la jeune femme fait ses premières longueurs au sein de la pépinière d’entreprises malouine. Fin 2011, elle lance Britanie : « Une signature cosmétique chic, naturelle et contemporaine qui fait vivre et rêver la Bretagne au quotidien, d’un paysage à l’autre, d’un rivage à l’autre et d’un visage à l’autre. » Au catalogue : cinq gammes de gels douche, shampoings, savons et bougies qui traduisent la subtilité de paysages olfactifs bretons : herbes coupées, menthe citronnée et géranium pour Côte d’Émeraude ; rose et carotte sauvage pour Côte de granit Rose ; pins maritimes et fougères pour Golfe du Morbihan ; orange verte, agrumes et chanvre pour Côte d’Amour, le préféré de Stéphanie… et enfin, le caramel au beurre salé de Pays Bigouden qui ravit Lola, sa fille de cinq ans !
    Les produits naturels à base d’huiles essentielles bretonnes sont certifiés par Ecocert. « En Bretagne, toutes les compétences en cosmétique sont réunies. Nous travaillons avec un laboratoire brestois. Le packaging est fabriqué à Redon. Seules les bougies viennent de Normandie ! » Britanie a pignon sur rue, au coeur de Dinard. Pour les nostalgiques des parfums de vacances, les produits sont disponibles sur Internet, dans deux cents points de vente en France et en Italie, sans oublier un réseau de deux cents chambres d’hôtes. Prochaines étapes : des points de vente en Asie et au Moyen-Orient, créer un nouveau paysage pour une autre gamme et des produits de soins du corps et du visage…

Estelle Bagot & Alain Papazoglou : Le numérique interactif multisupport

     « Eliga ? C’est “agile” à l’envers. » En 2014, Estelle Bagot et son associé Alain Papazoglou créaient la société Eliga, Multi Screen Apps, après une incubation d’un an et demi au sein de la pépinière de Rennes Atalante. Le temps nécessaire pour développer la start-up spécialisée dans les applications web multi-écrans. « Partout autour de nous existent des écrans allumés qui proposent une transmission unilatérale avec lesquels on ne peut ni interagir ni récupérer de l’information. »
    Première étape : le lancement de YouSlide, un service en ligne qui intéresse notamment les organisateurs de séminaires. En un clic, ces derniers peuvent rendent accessible leurs contenus sur le mobile ou la tablette de leur auditoire, en live ou en téléchargement. Ils peuvent aussi lancer en direct un vote ou un quizz ou encore recueillir en temps réel les remarques et questions du public. Pas d’application à charger, juste un QR code à scanner.
    Estelle est développeuse de business. « Une prépa Lettres m’a conduite vers un DESS didactique des langues et environnement numérique ». Ingénieure pédagogique, elle travaille à Paris et rejoint une entreprise de e-learning, avant de revenir à Rennes chez un éditeur de logiciels. Elle rencontre Alain, développeur et futur associé. Avec deux salariés et un commercial, le bilan est prometteur : « Nous avons par exemple accompagné un symposium de médecine à Dubaï ». Selon elle, le temps est l’essence de la réussite : « l’avance sur nos concurrents potentiels est notre temps de développement. Nous devons constamment conserver cette innovation ». L’entreprise se veut pragmatique : « nous mettons immédiatement nos produits dans les mains de nos clients pour bénéficier de retours rapides, même si la forme n’est pas finalisée », confie la créatrice.
    Eliga souligne la force des soutiens reçus dans le cadre de ce projet : Rennes Atalante, la CCI, la Meito, la Boutique de gestion, la Région pour un prêt d’honneur et la Cantine numérique. « Il ne faut pas tomber dans l’écueil de l’entreprise qui ne sort pas chez elle. Il est absolument nécessaire de rencontrer des gens différents », souligne Estelle Bagot, en citant notamment une belle ouverture culturelle avec l’Opéra de Rennes.
    Autre constat : « Être femme est un atout dans un milieu masculin, car notre vision diffère, jusque dans l’approche produit, en particulier sur les couleurs choisies », s’amuse-t-elle. Se présenter aux Femmes de l’économie était un acte militant : « Il y a des femmes compétentes qui hésitent à prendre des responsabilités. Mettre celles qui le font en avant est important. Un tel réseau permet aussi de bénéficier d’une solidarité toute féminine. » Elle ajoute : « Ma profession est importante pour mon équilibre personnel. Une entreprise c’est passionnant, mais chronophage. Savoir organiser son temps est vital. J’ai deux enfants en bas âge. Je travaille le soir ou quand ils font la sieste, mais je sais dire aussi : je ne peux pas être là à 8 heures, car je les conduis à l’école. Une contrainte bien comprise qui permet de briser la glace avec son interlocuteur ! »