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Contributions
#33
La métropolisation rennaise : quels changements ?
RÉSUMÉ > Depuis le 1er janvier 2015, Rennes fait partie des neuf métropoles créées par la loi de modernisation de l’action publique et de l’affirmation des métropoles. Quels sont les enjeux de ce nouveau statut ? Quels changements entraîne-t-il en matière d’organisation territoriale ? Spécialiste de l’analyse des pouvoirs territoriaux, l’universitaire rennais Thomas Frinault décrypte les conséquences de ce qui apparaît en premier lieu comme un « rattrapage historique ».

     Troisième grande évolution de l’histoire de l’intercommunalité rennaise (après la création du district et sa transformation en communauté d’agglomération), le passage en métropole fut approuvé à une assez large majorité communautaire lors d’un vote organisé en septembre 20141. Au 1er janvier 2015, la communauté d’agglomération rennaise devient l’une des neuf métropoles françaises de droit commun en application de la loi de Modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 (dite loi Maptam), à côté des trois métropoles spécifiques de Lyon (au 1er janvier 2015), Paris et Aix- Marseille-Provence (au 1er janvier 2016). En arrêtant une liste de neuf agglomérations satisfaisant les critères démographiques2, auxquelles peuvent se joindre sur une base facultative Brest3 et Montpellier4, le législateur a en quelque sorte innové. Il faut en effet remonter à la loi du 31 décembre 1966, fondant les communautés urbaines, pour voir le législateur imposer la création de nouvelles entités intercommunales (il s’agit des communautés « historiques » de Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg). Pour le reste, le législateur a toujours préféré proposer des cadres de coopération, tout en laissant le soin aux acteurs locaux de s’en emparer (même si l’accession à tel ou tel statut intercommunal doit en revanche satisfaire des critères démographiques).

     Cette figure imposée, sur le plan du droit, répond sur le plan politique aux attentes de la majorité métropolitaine rennaise. Jusqu’ici, l’agglomération n’avait jamais su ou pu accéder au statut de coopération le plus intégré. Alors que l’agglomération brestoise avait librement fait le choix de devenir une communauté urbaine (1974), l’agglomération rennaise avait plus modestement revêtu les habits du district (créé le 9 juillet 1970), faute de consensus politique local autour du projet jugé trop ambitieux d’Henri Fréville (maire de Rennes de 1953 à 1977) de devenir communauté urbaine. Ce « simple » statut districal n’empêchera pas les communes membres de coopérer toujours plus étroitement au fil des années. La mise en oeuvre de la loi Chevènement (1999) obligea par la suite l’agglomération à se départir de son statut districal (condamnée à disparaître) sans pouvoir devenir communauté urbaine (le seuil de création étant alors porté à 500 000 habitants). Elle devenait ainsi une communauté d’agglomération (statut réservé aux agglomérations de plus de 50 000 habitants). En fixant le seuil de création des nouvelles Métropoles à 500 000 habitants, la loi du 16 décembre 2010 condamnait à son tour l’agglomération rennaise au statu quo. La métropolisation permise par la loi Maptam de 2014 peut ainsi être considérée comme une forme de « rattrapage ». Mais encore faut-il préciser ce qu’il engendre concrètement.

     Si la Métropole apparaît comme la forme la plus intégrée des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), elle le doit pour l’essentiel à l’étendue des compétences qui s’imposent légalement à elle. Alors que les Métropoles exercent des compétences renforcées par rapport aux intercommunalités classiques, ce renforcement est d’autant plus remarquable dans l’exemple rennais que le passage se fait directement entre la communauté d’agglomération et la Métropole, sans être passé par la case communauté urbaine. Ainsi, la future métropole rennaise hérite de la gestion des services collectifs dont les Communautés urbaines (comme Brest) étaient déjà dotées : l’eau, l’assainissement, la voirie, la signalisation, les abris des voyageurs, les parcs de stationnement, les réseaux de chaleur ou de froid, la concession de la distribution d’électricité et de gaz. Certains transferts pourront se faire de manière graduée. Ainsi, si la voirie communale et l’éclairage public passent dans le giron juridique de la métropole, l’entretien, la sécurité des voiries resteront organisées par les communes, par convention (et cadrage budgétaire) jusqu’en 2017. Il pourrait alors se décider un nouveau transfert vers les métropoles de tout ou partie des voiries départementales. Concernant l’eau et l’assainissement, la prise de compétence suppose au préalable un travail de clarification du paysage des syndicats intercommunaux d’approvisionnement d’eau aux périmètres variables. Par ailleurs, des compétences déjà exercées par Rennes Métropole (zones d’activités, plan local de l’urbanisme, politique de la ville….) pourraient être renforcées en raison d’une définition évolutive de l’intérêt communautaire, c’est-à-dire la ligne de partage, au sein d’une même compétence, entre ce qui revient au groupement communautaire, et ce qui continue de relever de la compétence des communes membres.
    La métropolisation se traduit ensuite par la prise de compétences nouvelles et propres aux Métropoles : participation au copilotage des pôles de compétitivité et au capital des sociétés d’accélération du transfert de technologie, participation à la gouvernance et à l’aménagement des gares, contribution à la transition énergétique, soutien aux actions de maîtrise de la demande d’énergie, gestion des milieux aquatiques.
    Enfin, et là réside l’une des principales innovations, la métropolisation s’appuie sur un possible renforcement des compétences de type descendant. Jusqu’ici, le renforcement des intercommunalités obéissait en effet au schéma ascendant : les communes étaient conduites à transférer de nouvelles responsabilités aux institutions intercommunales. Désormais, en complément des compétences transférées par les communes, les Métropoles pourront bénéficier d’une capacité d’appel de compétence auprès de l’État, des Régions et des Départements. L’hypothèse de transferts automatiques, un moment imaginée, a ainsi pratiquement disparu à l’exception notable du domaine public routier départemental transféré de droit, à défaut de convention avec le département avant le 1er janvier 2017. Alors que ces appels de compétences concerneront principalement les questions de logement et d’hébergement (pour l’État), les lycées et le développement économique (pour la Région), ils ressortent bien plus ouverts du côté départemental : fonds de solidarité pour le logement, insertion, jeunes en difficulté, transport scolaire, promotion à l’étranger, collèges, tourisme, développement économique, musées, équipements sportifs, personnes âgées.

Démocratisation et gouvernance de la Métropole

     La loi Maptam a prévu la création, dans chaque territoire concerné, d’une conférence métropolitaine présidée de droit par le président du conseil de la métropole et composée de l’ensemble des maires des communes membres. Instance de coordination entre la métropole et les communes membres, elle sert à débattre des sujets d’intérêt métropolitain ou relatifs à l’harmonisation de l’action de ces collectivités. Cet outil obligatoire de gouvernance est en réalité déjà en place à Rennes Métropole, avec la Conférence des maires, de sorte que la loi n’entraîne pas de véritable nouveauté, contrairement à l’introduction des comités de secteurs décidée localement. Historiquement, l’une des critiques adressées au modèle du gouvernement métropolitain (porté par l’École des Réformateurs emmenée par Philipp Wood à la fin des années 1950), était son caractère trop peu démocratique. Ce déficit peut tenir à l’absence d’élection directe, comme dans l’exemple des intercommunalités françaises. L’introduction d’un scrutin fléché expérimenté lors des élections municipales de mars 2014 est un leurre. En indiquant à l’avance aux électeurs les élus municipaux ayant vocation à devenir conseillers communautaires, ce système continue à ériger les communes comme les intermédiaires obligés entre l’intercommunalité et la base citoyenne, et ne met pas l’intercommunalité à portée de bulletin. Cependant, l’article 54 de la loi Maptam dispose que les conseillers métropolitains (et non ceux des autres intercommunalités) seront élus au suffrage universel direct suivant des modalités particulières fixées par une loi électorale avant le 1er janvier 2017. Le Gouvernement doit présenter au Parlement, avant le 30 juin 2015, un rapport détaillant les solutions envisageables. S’il est raisonnable d’envisager le dépassement du système de fléchage, il n’est pas acquis que la solution retenue soit une élection propre (distincte des élections municipales) faisant de la Métropole la circonscription électorale unique.

     Parallèlement à l’élection stricto sensu, le caractère trop peu démocratique du gouvernement métropolitain peut résider dans l’éloignement même de l’institution par rapport aux citoyens. Ce qui rend plus difficilement praticable toute idée de contrôle, ainsi que toute activité visant à rendre des comptes au public en général. Notons au passage que les médias locaux eux-mêmes accèdent difficilement aux processus décisionnels. Bien que cette question conserve toute son actualité, le débat politique rennais s’est davantage intéressé à l’articulation entre la Métropole et les communes membres. Si l’objectif de la loi Maptam était de renforcer les capacités métropolitaines d’action sur les enjeux stratégiques, les élus de Rennes Métropole ont en effet souhaité renforcer la gouvernance de proximité. La question est d’autant plus cruciale que la superficie de Rennes métropole est l’une des plus étendues, regroupant en son sein pas moins de 43 communes (contre seulement huit dans le cas de Brest Métropole Océane). Afin de gérer ces différences scalaires, et de ne pas négliger la gouvernance de proximité, il est prévu d’introduire un échelon intermédiaire, les comités de secteurs. Il s’agit d’imaginer des espaces de coopération entre les communes proches afin d’aborder ensemble des projets de création d’équipement mutualisé ou d’application locale des politiques métropolitaines. Chaque comité verra siéger deux représentants par commune (le maire plus un conseiller communautaire ou adjoint), et abritrera une présidence tournante (un maire devant assurer à tour de rôle l’animation pour un ou deux ans). Le 18 décembre 2014, le conseil communautaire a adopté à l'unanimité des élus présents (119 sur 122) une nouvelle charte de gouvernance qui répartit les 43 communes de l'agglomération en huit comités de secteurs.
    Trois mois plus tôt, toutefois, le vote d’une délibération des conseillers communautaires avait permis de prendre acte du dissensus séparant les convaincus, les réservés et les opposants sur ce sujet. Si les élus appartenant à la majorité métropolitaine de gauche se sont rangés derrière cette proposition, combinant « rayonnement et proximité », selon les mots du président (PS) de Rennes Métropole Emmanuel Couet, Grégoire Le Blond, maire centre-droit de Chantepie avait exprimé ses réserves, en souhaitant « ne pas acter l’organisation des secteurs ». De son côté, Gilles de Bel Air, maire divers droite de Noyal-Châtillon-sur-Seiche, faisait part de son opposition, craignant que les comités de secteurs entraînent une lourdeur supplémentaire à court terme, et se transforment en arrondissements de la Métropole à plus long terme (avec un risque de disparition des conseils municipaux).

     Sous les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, les projets de réforme territoriale ont ceci de commun qu’ils ne font que modestement avancer la décentralisation (soit organiser de nouveaux transferts de responsabilité par l’État, combinant compétences et autonomie accrue), mais cherchent d’avantage à réorganiser les pouvoirs locaux au profit des intercommunalités et des Régions. La métropolisation participe d’une telle intention. Le renforcement des capacités d’auto-gouvernement des sociétés urbaines peut se lire comme la volonté politique (et transpartisane) d’accompagner et de consolider sur le plan institutionnel des logiques de métropolisation déjà induites par des dynamiques démographiques, sociales et économiques. Dans un environnement ouvert et concurrentiel, ces aires urbaines sont appréhendées comme les principales locomotives du développement censées exercer des effets d’entraînement sur le reste du territoire : « La Loi Maptam crée le statut de métropole afin d'affirmer le rôle des grandes agglomérations comme moteurs de la croissance économique et de l'attractivité du territoire », pouvait ainsi revendiquer le site internet de Rennes Métropole.
    Cette métropolisation ne manque pas de susciter des craintes dans nombre de territoires moins densément urbains, où les sentiments de déclassement et de fracture territoriale aggravée s’entremêlent. C’est alors aux Départements et aux Régions de jouer pleinement leur rôle de cohésion sociale sur leurs territoires respectifs. Mais autant la Région semble devoir (enfin ?) être promue dans l’actuelle réforme territoriale, autant les Départements concernés par la métropolisation (comme celui de l’Ille-et-Vilaine, du Finistère et de la Loire atlantique dans l’Ouest) peuvent y voir une source supplémentaire de fragilisation de leur pouvoir. Déjà menacé de perdre certaines compétences au profit de la Région, le Département devrait en outre gérer les éventuels appétits métropolitains, qu’il reste à connaître plus précisément.
    En tout état de cause, la métropolisation pousse toujours plus loin l’évidement des communes du point de vue de l’action publique, même si elles demeurent les territoires de construction des identités politiques. Ce « déménagement » de l’action publique locale n’entame pas tant le pouvoir des maires qu’il le recompose : moins souverains dans leurs décisions, les maires se voient placés en situation de porte-parole et de négociateurs des intérêts communaux, oeuvrant au sein d’instances intergouvernementales (à l’image des chefs d’État, de gouvernement ou ministres lorsqu’ils portent la vision et les intérêts français à Bruxelles). En revanche, l’institution parlementaire qu’est le conseil municipal, traditionnellement faible dans le système français du présidentialisme municipal, voit sa capacité d’actions encore un peu plus réduite par ces dynamiques intercommunales.