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Dossier
#21
Pour atténuer les inégalités : des tarifs modulés
RÉSUMÉ > Réduire les inégalités cela peut passer par une politique locale d’adaptation des tarifs publics aux revenus de chacun. Il s’agit d’une forme de redistribution puisque c’est l’impôt qui au bout du compte se charge d’aider les personnes aux revenus modestes. À Rennes, la collectivité a fait depuis plusieurs décennies des choix affirmés dans ce sens. À titre d’exemple nous présentons ici quatre de ces initiatives rennaises de politique tarifaire des services publics.

     Retenons d’abord l’exemple des activités périscolaires. Ce domaine est significatif et d’actualité. Le projet de passer à la semaine de quatre jours et demi de présence suscite l’inquiétude des maires de France qui redoutent que a nécessité d’assurer de nouvelles activités périscolaires ne fasse peser une charge supplémentaire pour les budgets des collectivités.
     L’examen des services qu’une municipalité a ou non décidé de mettre en place est un premier critère de son engagement. Ainsi, les Rennais peuvent être surpris de voir des parents d’élèves manifester à Marseille pour obtenir une garderie pour leurs enfants après la fermeture de l’école à 16 h 30. Ici, en effet la population bénéficie de ce service depuis les années de la municipalité Fréville.
     Les tarifs d’accès à ces services sont un second critère d’évaluation. Tout récemment, pour la rentrée scolaire 2012, la grille tarifaire des restaurants scolaires a été réaménagée par un passage de 10 à 13 tranches de revenu pour assurer une progressivité plus juste tout en conservant des recettes globales constantes.
     Sébastien Semeril, adjoint aux Sports de Rennes, explique de même les choix effectués en 2011 par le conseil municipal concernant l’accès aux Centres d’initiation sportive (CIS). Ces centres créés dès 1964, sont au nombre de 58 aujourd’hui et accueillent 2 500 enfants des écoles rennaises qui peuvent y découvrir une cinquantaine de sports. Jusqu’en 2011, chaque famille devait acquitter le tarif unique de 17 euros par enfant et par an mais les chiffres de fréquentation faisaient ressortir des différences importantes entre les écoles : ainsi 78% des enfants de l’école Jean-Zay au centre-ville y participaient alors qu’ils n’étaient que 2% à l’école Trégain à Maurepas. Le coût était un frein au libre accès. «Nous avons décidé de favoriser les familles aux revenus modestes en mettant en place une grille assurant un premier tarif à cinq euros pour les familles aux revenus faibles, avec une augmentation progressive, jusqu’à 45 euros pour les familles plus aisées. » Sébastien Sémeril souligne « la volonté unanime du conseil municipal de rechercher une véritable équité - qui n’est pas toujours la stricte égalité - pour une politique sociale de tarification adaptée aux niveaux de revenus. »

     En 2011, il y eut à Rennes Métropole 32 481 personnes à bénéficier des transports gratuits. 82% habitaient la ville de Rennes. On peut estimer à 25% environ le nombre de voyages gratuits effectués sur le réseau Star. Le coût d’un titre mensuel étant de 21,96 euros, le coût total du « dispositif gratuité » s’est élevé cette année-là à 7,7 millions d’euros à la charge de Rennes Métropole.
     Cette gratuité est évidemment accordée sur de strictes conditions de ressources. Dans les années 90 pour une question de justice sociale la référence systématique à l’âge (avec, par exemple, la gratuité accordée à tous les seniors) a été supprimée. De même pour les étudiants, le droit à la gratuité s’apprécie au regard du revenu des parents. L’objectif est de favoriser l’accessibilité et la mobilité de tous, la mixité et la cohésion sociale et pour éviter toute stigmatisation, le bénéficiaire de cette gratuité utilise la même carte Korrigo que les autres usagers.
     La question qui se trouve au coeur de ce débat est celle de l’arbitrage entre la participation de l’usager et celle du contribuable. En ce qui concerne le transport à Rennes Métropole, la participation de l’usager (ne bénéficiant pas de la gratuité) ne représente qu’un tiers du coût réel du service. Les élus rennais ont par contre toujours fermement refusé le système de gratuité totale pour tous pratiqué dans certaines villes comme Vitré où finalement la totalité du financement transport est pris en charge par le contribuable.

L’aide directe aux personnes en difficulté

     La plupart des centres communaux d’action sociale (Ccas) disposent de budgets très variables d’aides aux personnes sans ressources. Mais elles sont très variables, ces aides dites « facultatives » pour bien désigner leur caractère d’aide extra-légale, dépendant des choix locaux. Que nous dit l’examen du budget de la Ville de Rennes dans ce domaine ?
     Notons d’abord que la participation des collectivités a été nettement réajustée depuis l’arrivée du revenu minimum d’insertion (Rmi) en décembre 1988, devenu revenu de solidarité active (Rsa), qui est pris en charge par l’État. Jusqu’à cette date, c’est le Ccas de la ville de Rennes qui assurait dans les faits un revenu minimum rennais garanti.
     L’État ayant pris le relais, le Ccas aujourd’hui répond de manière subsidiaire, beaucoup plus personnalisée et dans chaque quartier au plus proche des besoins liés à la pauvreté monétaire comme à la pauvreté matérielle. Pour l’année 2011, 4 760 aides ont été accordées pour un montant total de 579 770 euros. Le plafond de ressources pour bénéficier de ces aides est fixé à 949 euros pour une personne seule et à 1 424 euros pour un couple.
     Une expérimentation innovante a été mise en oeuvre depuis septembre 2011 ; il s’agit du micro crédit personnel garanti. Ce dispositif permet, avec l’aide de la Caisse des dépôts et du Crédit municipal de Nantes, d’apporter une réponse temporaire adaptée aux besoins de publics fragilisés en participant notamment à la réduction de l’exclusion bancaire. Des situations parfois graves d’endettement sont revisitées et la participation du Ccas agit comme un levier de confiance. Après dix mois de fonctionnement, 52 crédits personnels ont été ainsi accordés pour un montant moyen de 2 026 euros et sur une durée moyenne de remboursement de 31,8 mois. Un accompagnement personnalisé et « responsabilisant » des bénéficiaires est assuré jusqu’au remboursement du prêt.

     Naguère, un premier dispositif expérimental s’était mis en place à Rennes ville sous forme d’un « Passeport loisirs Culture ». Il s’agissait avec cette mesure destinée aux personnes et familles à ressources faibles d’articuler dans une même démarche, une aide financière, un accompagnement et une médiation culturelles. En janvier 2010, « Sortir» a pris le relais en développant et en élargissant le système. Il s’agit de permettre aux personnes bénéficiaires et cela en fonction de leurs revenus de pouvoir pratiquer des activités sportives, culturelles et de loisirs.
     Deux modalités sont possibles. Dans le premier cas, la carte « Sortir » permet de participer à prix réduit à des activités ponctuelles: spectacle, visite, cinéma, piscine, sorties familiales… Dans le second cas, le fonds « Sortir » permet de prendre en charge de 50 à 70% du coût annuel d’une activité.
     Les chiffres 2011 du dispositif sont éloquents: plus de 22 000 cartes attribuées, près de 500 structures de loisirs adhérentes (associations, festivals, sport, salles de cinéma…), 17 communes de la Métropole inscrites… Au total, le coût pour la collectivité s’élève à 848 000 euros.
     Philippe Le Saux, directeur de l’association Apras qui porte le projet, reconnaît que même s’il reste encore du chemin à parcourir », il se félicite au terme de deux années de fonctionnement qu’ « une dynamique territoriale globale existe » au point que cette dernière « retient l’attention d’un certain nombre de villes intéressées par l’expérience rennaise. »
     Pour conclure concernant les choix qui sous-tendent ces initiatives de justice sociale, il convient de rappeler qu’elles ne datent pas d’hier et que les municipalités socialistes se sont inscrites sur ce point dans le sillage des élus démocrates-chrétiens. Il s’agit toujours d’attribuer les aides en fonction des ressources des administrés tout en évitant de se limiter à la simple gestion des services et à la simple distribution d’aides financières. Au contraire, on développe des aides remboursables ou bien l’on affecte ces aides à des offres précises. Jamais terminée, cette politique de justice sociale reste toujours à réinventer pour peu, comme c’est le cas ici, qu’on ne veuille pas la limiter à une seule distribution de secours d’aide sociale.