PLACE PUBLIQUE > En tant que président du Ciss, vous êtes la voix des patients ?
CHRISTIAN SAOUT> Non, je dirais plutôt, la voix des usagers. Nuance. Il faut savoir que la loi Kouchner de mars 2002 a prévu la reconnaissance des associations d’usagers du système de santé, mais qu’elle n’a pas reconnu les associations de patients telles qu’elles peuvent exister en Angleterre ou aux États-Unis.
PLACE PUBLIQUE > Comment ce Collectif inter-associatif est-il né ?
CHRISTIAN SAOUT > Il est né en réaction aux ordonnances Juppé de 1995 sur la Sécurité sociale. Nous considérions que les sujets de santé devaient être débattus sur la place publique et pas seulement dans le cercle clos des experts. Le Ciss fédère aujourd’hui quarante associations venant de tous horizons : des patients, des familles, des consommateurs, des handicapés, des personnes âgées… Des très grosses associations comme la Ligue contre le cancer ou comme l’Union nationale des associations familiales. Mais aussi de nombreuses petites associations.
PLACE PUBLIQUE > Ces associations sont plutôt catégorielles, centrées sur des pathologies particulières, avec une tentation pour chacune de défendre son pré carré?
CHRISTIAN SAOUT > Justement, ce qui nous a poussés à nous réunir, c’était l’idée de ne pas rester chacun dans son pré carré mais de s’exprimer d’une manière générale pour défendre l’intérêt de l’ensemble des usagers. Ces associations sont convaincues qu’elles ont un intérêt commun.
PLACE PUBLIQUE > Vous témoignez, vous analysez, vous agissez…
CHRISTIAN SAOUT > Oui, nous témoignons, même si notre époque préfère le chiffre au témoignage. Nous agrégeons des expériences individuelles pour proposer des expertises collectives. On nous qualifie parfois d’« experts profanes ». Nous proposons aussi des voies de changement. Par exemple, en ce moment, nous nous battons beaucoup pour que l’on instaure en France des parcours de soins, pour que les patients aient à leur côté des personnes chargées du suivi des différentes étapes de ce parcours. C’est l’un de nos chevaux de bataille actuellement.
PLACE PUBLIQUE > Êtes-vous écoutés et suivis par les pouvoirs publics ?
CHRISTIAN SAOUT > C’est selon le moment, je ne dirais même pas que c’est selon la couleur politique. Mais plutôt en fonction de la volonté ou non de faire participer la société civile. Avec Bernard Kouchner, c’était facile de travailler, on ne peut pas dire que c’était la même chose avec Xavier Bertrand. En revanche, on a plutôt bien travaillé avec Roselyne Bachelot. Au fond, c’est une question de compréhension sociétale de la part des ministres. Quant à la ministre actuelle, disons que… c’est en rodage.
PLACE PUBLIQUE > Les inégalités face à la santé sont une de vos préoccupations. Vous avez publié en décembre 2011 un rapport intitulé « Égaux devant la santé : une illusion ? » où vous détaillez les différents types d’inégalités…
CHRISTIAN SAOUT > Des rapports publics et officiels dénoncent déjà depuis longtemps le fait que le système de santé français a une capacité à produire des inégalités sociales. Il y a deux ans, le rapport du Haut conseil de santé publique proposait une nouvelle stratégie pour attaquer ces inégalités. En France, malgré la quantité d’argent investie, la ségrégation reste très forte. Il faut donc lutter contre elle, tout en sachant que le système de santé n’est pas seul responsable des inégalités. La crise pèse énormément. Il y a aussi l’environnement qui joue un rôle important sur la qualité de santé. Enfin, il y a l’éducation car une partie des questions de santé a à voir avec la connaissance.
PLACE PUBLIQUE > Parmi les facteurs d’inégalités, quels sont les plus flagrants?
CHRISTIAN SAOUT > Le plus grave, ce sont les déserts médicaux, ces endroits où l’on n’a plus de professionnels de santé. Le géographe Emmanuel Vigneron montre très bien ces inégalités de territoire. En plus, ces déserts médicaux ne sont pas seulement ruraux, mais existent en ville. J’ai connu à Nantes un médecin de centre-ville qui ne trouvait pas de remplaçant. Cela vient du fait que les médecins généralistes ne veulent plus exercer seuls et que, quand il n’y a pas de possibilité de regroupement, ils ont du mal à s’installer. Et la situation va s’aggraver du fait que la ressource médicale va devenir de plus en plus rare à cause du vieillissement des médecins et du manque de générations nouvelles pour les remplacer. On n’a pas pris les devants et l’on se retrouve dans une situation difficile à rattraper car les médecins vont partir en masse à la retraite dans les cinq ans qui viennent alors qu’il faut au minimum dix ans pour fabriquer un médecin remplaçant, donc on aura cinq années extrêmement difficile.
PLACE PUBLIQUE > Pour résoudre ce problème de démographie médicale, quelles propositions faites-vous ?
CHRISTIAN SAOUT > La solution, c’est de rendre les territoires plus attractifs, notamment sur le plan financier. Il faut des organisations de santé territorialisées et organisées un peu comme en Grande-Bretagne ou en Catalogne, à savoir en fonction des bassins de santé, même pas en fonction des régions car c’est trop loin du citoyen. Un bassin, c’est en gros une communauté de communes. Pour cela il faut mobiliser les collectivités locales. On n’arrivera pas à installer des solutions uniquement avec l’assurance maladie et l’État. Nous pensons aussi qu’il faut affecter des dotations financières différentes d’un territoire à un autre. Aujourd’hui, on a des outils financiers qui sont les mêmes, quelles que soient les difficultés des territoires. On a autant d’argent à mettre sur un endroit où il y a beaucoup de médecins que sur un endroit où il n’y en a pas. C’est anormal.
PLACE PUBLIQUE > Il existe pourtant en France des expériences de Maisons de santé, à l’échelon d’un territoire donné ?
CHRISTIAN SAOUT > Oui, mais ce sont des expérience trop timides. Le problème des Maisons de santé, c’est que l’on regroupe les médecins et que du coup on les éloigne de la population. Il faudrait mettre en oeuvre un système où les citoyens aient une réponse sanitaire, même s’il n’y a peu de médecins. C’est un nouveau rôle pour les médecins, un nouveau rôle pour les infirmières et toutes les professions médicales.
PLACE PUBLIQUE > Vous êtes opposés aux incitations financières individuelles destinées à favoriser l’installation de médecins dans ces déserts ?
CHRISTIAN SAOUT > On a fait cela depuis des années et cela ne donne rien. Résultat, il y a autant de déserts sinon plus qu’avant. Si c’était la solution, cela se saurait.
PLACE PUBLIQUE > Les déserts médicaux ne sont pas les seules causes d’inégalités face à la santé ?
CHRISTIAN SAOUT > Vous avez les inégalités financières pour l’accès aux soins, liées au revenu des gens, à l’absence de couverture sociale. Vous avez de plus en plus de personnes qui ne peuvent pas souscrire une complémentaire santé, les étudiants par exemple. Du coup comme en France les soins dentaires sont garantis par des complémentaires, on renvoie les soins à plus tard. Il y a un troisième groupe d’inégalités, ce sont celles qui dépendent du comportement du système de santé. Une anthropologue, Caroline Després, montre que chez les 15% de personnes qui renoncent aux soins, la moitié y renonce pour des raisons financières mais l’autre moitié à cause de l’expérience négative qu’elles ont vécue au contact du système de soins. Le fait par exemple que l’on n’a pas été écouté, que l’on n’a pas pris en charge la douleur. Tant et si bien que 7% des patients ont des difficultés à renouer avec le système de soins.
PLACE PUBLIQUE > Ce n’est donc pas qu’une question d’argent…
CHRISTIAN SAOUT > Cela vient de l’organisation des soins, du comportement des soignants. Comme l’avait dit Martine Aubry, on manque de care. En France, on est très très bon sur le « cure », mais pas très bon sur le « care » ! C’est cela qui manque dans le système de santé français.
PLACE PUBLIQUE > Quel autre combat menez vous ?
CHRISTIAN SAOUT > Celui de l’éducation à la santé. Par exemple, la Norvège a décidé qu’elle mettrait le paquet sur la petite enfance de 0 à 3 ans. Cela veut dire que dans toutes les structures d’accueil, dès le plus jeune âge on apprend aux enfants à avoir conscience de leur santé, à admettre que leur santé est à la fois un patrimoine personnel et un patrimoine collectif. Contrairement à ces pays, nous n’avons en France aucune tradition dans ce domaine de l’éducation à la santé. On a une politique vaccinale assez bien identifiée, mais c’est tout. À l’école vous voyez bien, il y a une infirmière scolaire, un médecin scolaire mais pas d’action de santé publique. On identifie les pathologies et on les traite, mais il n’y a pas d’action de promotion de la santé des personnes. Même chose pour la médecine du travail. C’est un déficit français important. Il n’est pas conceptuel, il est ancré culturellement en nous. C’est cela qu’il faut changer et c’est évidemment très difficile. Souvent on entend dire que si l’on fait de la prévention, on n’aura plus d’argent pour faire du soin. Alors qu’il faut faire les deux.
PLACE PUBLIQUE > Quand vous défendez cette nécessité de la prévention, que vous répond-on ?
CHRISTIAN SAOUT > Tout le monde est bien conscient du problème, tous les rapports publics disent depuis vingt ans qu’il faut faire les deux : guérir et prévenir. Mais dans le même temps, le budget prévention reste très faible : moins de 10% des dépenses de santé.
PLACE PUBLIQUE > Parmi les combats menés par votre Collectif, quel est le plus central ?
CHRISTIAN SAOUT > Le problème clef me semble être l’implication des citoyens dans les décisions de santé. La santé est un domaine où les gens sont moins impliqués que dans d’autres. Regardez, pour l’environnement, la consommation, des choses sont faites en lien avec la société civile, alors que pour la santé, non. Notre système de santé a encore du mal avec la société civile, avec cette « expertise profane » dont je parlais tout à l’heure.