<
>
Initiatives urbaines
#35
RÉSUMÉ > Marc Dumont est professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’Université Lille 1 - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.

     À Saint-Brieuc, le secteur à fort potentiel du port du Légué s’est pourtant vu relégué au fil des décennies, à l’écart de la dynamique locale. Depuis quelques années, l’agglomération briochine s’était penchée sur son devenir et elle avait transformé l’un de ses anciens bâtiments industriels en centre culturel dédié aux expositions, séminaire et rencontres, le Carré Rosengart. Comme une verrue, à proximité, et un peu en hauteur, la friche de l’ancienne usine Gaz de France, fermée depuis le tout début des années 1980, héberge toujours un vaste espace hétéroclite d’anciens bâtiments, gazomètres, le tout en ruine et d’allure plutôt peu amène. De nombreux projets s’y sont succédé sans voir le jour, comme l’accueil d’une école de musique, la réalisation de programme d’immobilier tertiaire… Le principal obstacle à leur concrétisation — la pollution des sols — serait en passe d’être résorbé, GDF Suez ayant accepté un accord de dépollution avec la municipalité. Celle-ci vient donc de lancer une réflexion globale sous la forme d’un concours d’idées via le programme et concours européen d’idées en architecture Europan. De quoi revitaliser cette zone, mais aussi une occasion unique de faire basculer l’axe d’urbanisation de Saint-Brieuc vers la mer à laquelle la ville tourne le dos !
    Un projet assez similaire va être engagé sur certains secteurs délaissés sur le boulevard périphérique, à Paris. La rocade, lieu majeur des flux quotidiens de la capitale, a vu s’accumuler tout un ensemble d’angles morts. En son contrebas, des friches invisibles, des franchissements souterrains obscurs ou encore des immeubles éventrés, constituent la face inversée de l’intensité des flux automobiles qui les surplombent. Plusieurs travaux menés par des étudiants en master d’architecture ont alors joué il y a deux ans le rôle de déclencheur, donnant lieu à une solide proposition récente du Pôle de recherche et d’expérimentation des arts et de la ville de Paris. Deux axes de travail y ont été dégagés : revaloriser par l’animation d’espaces abandonnés à partir d’intervention artistiques temporaires ; réhabiliter, par des formes de végétalisation surtout, passage et espaces de friches. L’ensemble a été soumis au vote des Parisiens des secteurs concernés : le projet, largement plébiscité, sera financé dans les prochains mois par un budget participatif et l’intervention de mécènes.

     L’actuel contexte économique difficile ne semble pas décourager les mégaprojets. À Hambourg, l’Überseequartier porté par le groupe Unibail-Rodamco, principal détenteur des plus grands centres commerciaux français, impressionne par son envergure. Ce vaste programme vise à réaliser en 2021 un ensemble urbain de 190 boutiques, une tour de grande hauteur, un terminal de croisière, des restaurants, et des opérations d’immobilier tertiaire et résidentielle. Clou du projet : intégrer la réalisation d’un parking de près de 3 000 places ainsi que d’une station de métro, le tout porté par l’opérateur privé. Seule la programmation de logements fera l’objet d’une association avec la Foncière des régions qui réalisera plus de 2 000 logements. Derrière cette ampleur, on retrouve aussi toute la philosophie du projet HafenCity qui réussit à fortement mobiliser les opérateurs privés tout en leur imposant des contributions significatives aux équipements ou espaces publics, permettant ainsi à Hambourg de se doter d’un centre agrandi de 40 %.
    Quant au Caire, ce n’est rien moins qu’une nouvelle « cité idéale du 21e siècle » que préfigurent actuellement les autorités nationales. Une ville nouvelle, mythe décidément toujours actif, sera censée libérer la capitale égyptienne d’une grande partie de ses activités administratives et tertiaires, afin de permettre d’alléger les trafics automobiles et la fréquentation des transports en communs qui atteignent des seuils ingérables. La nouvelle ville pharaonique, qui n’a pas encore de nom, anticipe le doublement de la population d’ici 2050. Elle accueillera en plein désert (entre Le Caire et Suez) 5 millions d’habitants sur 700 km² dans des gratte-ciel peu énergivores, et les nouveaux sièges de l’administration. L’analyse du projet laisse songeur : une ville internationale avec des espaces verts pour tous les habitants et une circulation automobile limitée, le plus grand aéroport du monde, un parc d’attractions 4 fois plus grand que Disneyland… à priori irréaliste financièrement, le projet pourrait bénéficier des fonds de soutien des Émirats.

De l’urbanisme temporaire et flexible

     La ville de Calais met en oeuvre un objet inédit de diffusion de la culture : l’Ideas Box ou médiathèque itinérante et déployable en 20 minutes. L’origine de l’idée est fort intéressante : elle est issue des bibliothèques sous tente mises en place à Haïti après les tremblements de terre dévastateurs, posant des bases pour un urbanisme temporaire. En s’associant au designer Philippe Starck, l’Ideas Box du réseau Bibliothèques sans frontière formalisait un principe plus commercial de médiathèque temporaire et adaptable rapidement à tout public, permettant de desservir des zones rurales de faible densité. Elle repose sur une astucieuse combinaison de médias numériques (films, tablettes et livres numériques) avec des ouvrages au format papier en moindre nombre ainsi que des outils numériques comme des caméras HD permettant de réaliser des reportages ou des GPS pour de la cartographie participative. Cette solution légère et très réactive permet d’envisager d’autres formes de diffusion de la culture dans les territoires moins accessibles ou qui n’ont pas les moyens de financer et entretenir des équipements culturels classiques. Une initiative qui rejoint celle de la ville de Villeurbanne où des centaines de livres ont été dispersées dans la ville à l’occasion des Journées internationales du livre voyageur. Le jeu de piste organisé à cette occasion permettait à tous de partager un ouvrage que l’on souhaite faire découvrir, après l’avoir étiqueté et en avoir déposé la photo sur un site dédié à l’événement.
    Autre initiative, celle de ces coins-siestes qui viennent d’être aménagés et ouverts à l’Université d’East Anglia à Norwich (Angleterre). On sait la manière dont ces espaces dédiés au repos font cogiter en ce moment les entreprises soucieuses de rendement au travail, sensibles au pouvoir des siestes-flash, mais encore peu enclines à accepter d’y dédier des espaces concrets. L’initiative est née d’une association étudiante qui gère cette salle dédiée en accord avec les directions de l’établissement. Un pas de plus, pour aller vers des campus plus urbains et en phase avec les modes de vie !
    Les fermes seraient-elles la nouvelle tendance à la mode en urbanisme ? L’étonnant projet primé au prestigieux Marché international des professionnels de l’immobilier (MIPIM) à Cannes le laisserait bien penser. La ferme Buzzbuilding à Stockholm est un projet d’une ferme de 10 000 m² imaginé par le cabinet d’architectes Belatchew Arkitekter, conçu pour y élever des criquets, une source alternative intéressante de protéines pour les urbains. L’argumentaire est simple : pour produire 1 kg de boeuf, il faut 10 kg de nourriture alors que l’équivalent permettrait d’obtenir 9 kg de criquets ! Le projet cumule des avantages dont celui d’occuper une place réduite, de consommer peu d’eau et peu de céréales. Le principal obstacle reste culturel, la consommation de ces petits animaux grillés n’étant appréciée que dans certains pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud.
    Plus raisonnable peut-être sur ce plan-là, Vertical Harvest, la ferme futuriste à Jackson aux États-Unis doit permettre de produire 17 tonnes de salades et 20 tonnes de tomates par an. Bâtie sur trois étages, elle est basée sur le principe d’une culture hors-sol dite hydroponique, exploitant des matériaux neutres pour recréer artificiellement les conditions d’un environnement extérieur. À la clé, une économie d’eau de 90 %. Combiner artificiel et durable, ce serait donc possible !
    Là encore dans un registre agricole, le projet immobilier Lugdunum dans le quartier de Fourvières à Lyon présente de belles perspectives d’intégration de la nature en ville. Le groupe de promotion LEM, associé au paysagiste Cédric Chardon, va y réaliser un projet paysager intégrant un verger ancien qui sera conservé et dans lequel pourront s’égayer des abeilles et des moutons d’Ouessant, dans un parc de deux hectares, abritant 56 logements de grand standing. De quoi pouvoir habiter vraiment à la campagne en ville !

La ville mobile, dans les gares et sur les routes

     Une expérimentation intéressante est en projet sur la Nationale 12, entre Rennes et Saint-Brieuc, dans le cadre du programme français et européen de voirie et de transports intelligents, SCOO P. La double-voie, largement ponctuée actuellement de radars automatiques, va être appelée à devenir d’ici 2016 une « route intelligente ». Près de deux cents unités électroniques munies de capteurs ponctueront ainsi le parcours des automobilistes, détectant ralentissements, chantiers, accidents… Ces équipements sont censés proposer une gestion fine, automatisée et fiable du trafic, de bien meilleure qualité que les actuels suivis de vidéo-trafic. Couplés à des panneaux d’affichage, ils permettront ainsi d’informer de manière beaucoup plus réactive de l’état exact des trafics en temps réel… et de réduire les coûts humains de gestion du réseau. Reste à habituer les automobilistes à cette navigation en milieu ultra-contrôlé.
    Autres mobilités, autre lieu : le grand projet de transformation d’EuraLille 3 000 va être lancé. Trois axes de travail visent à donner un second souffle à ce quartier de gare très fréquenté et aux problématiques proches de celles d’EuroRennes : une réorganisation du plan de circulation automobile, la réalisation d’une grande place piétonne devant la gare Lille Europe et l’agrandissement du quartier Chaude Rivière à proximité. Le projet, actuellement en concertation publique, serait achevé en 2020, date d’une seconde phase visant entre autres à recouvrir le boulevard périphérique, toujours à hauteur de ces deux gares.