« Rennais fraîchement installés à Saint-Malo, nous avions repéré le programme Les Terrasses du rocher en construction, des logements proches de la gare et de la mer, mais devenir propriétaires n’était pas encore d’actualité pour nous », commentent Margaux et David. « Cette architecture complètement atypique nous avait intrigués. Lorsque nous nous sommes décidés à acheter, nous avons eu de la chance, car tout n’était pas vendu. Nous avons visité un appartement côté boulevard, mais nous avons eu un vrai coup de coeur pour celui qui était situé de l’autre côté. Il était moins bien exposé, mais la baie vitrée et la hauteur sous plafond apportent une belle clarté ». En mai 2014, le jeune couple s’installe dans les 59 m2 de son T3.
« Nous ne regrettons nullement notre choix. En découvrant le couloir chaleureux avec le bois et la moquette, très feutré, nos amis nous ont demandés si nous habitions à l’hôtel », s’amuse Margaux qui apprécie particulièrement le calme du site. « Ici, on entend les cloches de l’église voisine et j’ai l’impression de vivre dans un petit village ». La crainte de plonger sur la terrasse du voisin a vite été levée : « Notre baie vitrée fixe est juste au-dessus de la terrasse du voisin, donc nous ne la voyons pas. Le bâtiment est bien conçu, sans vis-à-vis, et offre une vue dégagée », relève David qui apprécie aussi les économies d’énergie électrique rendues possibles par l’apport solaire pour l’eau chaude via les panneaux installés sur les toits. Seul bémol émis par le couple : « Nous avons deux petites terrasses, l’une pour la chambre et l’autre ouverte sur le salon et la chambre. Nous aurions préféré bénéficier d’une terrasse unique et plus grande ». Pour autant, c’est aussi cette distribution qui fait le charme du bâtiment, reconnaît le couple, toujours amusé d’entendre les réactions de leurs visiteurs : « Ils sont surpris de découvrir que les petites maisons cachent un immeuble. Comme nous, ils sont séduits par le jeu des petites terrasses et des toits ».
Cette composition architecturale ciselée par l’architecte bruzois Philippe Loyer ne doit rien au hasard : « À l’agence, notre approche est fondée sur l’observation de l’environnement sans imposer une écriture ostentatoire, mais une discrétion architecturale qui prend sa place dans le paysage. Chaque projet est l’aboutissement d’un parcours ». C’est à hauteur d’homme, en cheminant et en éprouvant, que l’architecte fait son miel. De l’autre côté de l’îlot, par le foyer de jeunes travailleurs celui-ci prend de la hauteur. « J’ai visualisé ce qui se passerait une fois installé dans l’immeuble. Le panoramique photographique que j’ai réalisé m’a donné des indicateurs : un horizon lointain, un jeu de mouvements de toitures, de murs en pignon, avec la mer visible dans les petits décrochés et un sol jonché de toits qui donne en fait le caractère de notre architecture régionale ». La mise en travail pour un tel projet naît aussi des images glanées lors de voyages. Tel ce rocher noir parmi un amas blanc photographié sur la plage de Malmö, en Suède, ou encore le complexe résidentiel The Mountain, à Copenhague. Une palette de sensations visuelles qui guide le trait de l’architecte : « Je dessine toujours mes projets avec mon crayon. Aujourd’hui, l’architecture est trop souvent informatique et se lit comme telle ». Une conception trop bridée par l’outil, selon le maître d’oeuvre : « C’est de l’architecture d’image, aucunement de l’architecture sensible ». Pour Philippe Loyer, l’usage doit servir de fil conducteur : « À chaque fois que j’ai un immeuble d’habitation au bout de mon crayon, je m’interroge sur le fait d’avoir envie d’habiter ce que je dessine. Suis-je capable de m’identifier au lieu ? À l’identité de la ville ? Du site ? De l’appartement qui doit être différent de celui du voisin… C’est pour moi un mode de pensée, car on doit à chaque individu cette différence ! ».
Pour l’opération Les Terrasses du rocher, Philippe Loyer a organisé en interne un micro-concours avec les cinq architectes de l’agence, afin d’ouvrir d’autres possibles. Les règles d’urbanisme de la Ville de Saint- Malo imposaient de faire front le long d’un futur boulevard, tout en respectant une échelle de gradations, en matière de gabarits et de formes, pour rejoindre un secteur pavillonnaire, à l’arrière de l’opération. Les hypothèses diffèrent radicalement. « Globalement, il fallait trouver des solutions pour faire rentrer le soleil dans cette parcelle, le point faible de l’orientation de ce site. » Un kilo de sucre transformé en jeu de toits et un spot permettent de vérifier la trajectoire du soleil et de remporter l’adhésion du maître d’ouvrage.
Côté boulevard, le front urbain joue une ligne continue avec en seconde lecture intérieure, le creusement des loggias, pièces de vie extérieure. « On glisse sur la façade urbaine et on accroche sur les toitures qui se déplient côté square, car Saint-Malo accroche le ciel par ses toits. Ce n’est pas Saint-Jacques-de-la-Lande avec la présence d’un aéroport, où chacun doit pouvoir lire des lignes de tracés d’avions dans ce ciel habité. » De plus, le règlement de PLU malouin impose 70 % de toits en pente. « Nous aurions pu couvrir d’une grande nappe le rampant avec des terrasses à l’italienne. Nous avons au contraire décidé de démultiplier les toitures comme autant de petites berniques. Toutes les fenêtres sont différentes, avec de grandes verrières. »
Ce parti pris architectural d’une pyramide à deux larges fronts, dégage en son coeur un « ventre » épais sans lumière naturelle. À défaut d’y faire monter les voitures en silo comme imaginé au départ par l’architecte, celui-ci installe des garages à vélo de 10 m2, associés à certains appartements ou accessibles depuis le couloir. « Les ascenseurs plus spacieux que la normale permettent de monter son vélo à la porte de sa maison ».
La géologie du site impose d’autres règles : « Nous sommes sur du sable avec une nappe phréatique à 2,50 m de profondeur. Nous avons aménagé le stationnement au sous-sol et au RDC, côté square. Côté boulevard, les appartements du rez-de-chaussée ont été surélevés de 60 cm en raison des mesures liées au risque de submersion marine ». La présence discrète de la mer est évoquée par l’aménagement de dunes dessinées par Philippe Loyer, dans le square privatif. « Ainsi, les contraintes d’un lieu deviennent nos atouts ! », note l’architecte sur le ton de l’évidence.
La première phase des Terrasses du rocher livrée, la seconde est à présent en cours de réalisation. Ce sont cinq maisons de ville construites sur un blockhaus, percé en front d’avenue pour héberger un commerce, et un petit collectif de neuf logements.
Hervé Brou, responsable du montage de ce projet pour le groupe Giboire, confirme le caractère exceptionnel de cette opération singulière : « En tant que maître d’ouvrage, la promotion de niches demande d’innover et de sortir de nos certitudes. Avec cette forme de bâtiment et son épaisseur, les logements s’enfoncent au coeur d’un noyau central aveugle. Nous avons choisi d’aménager des logements avec, en appoint, des chambres-cabines ou des celliers ». Sans oublier, le jeu de toitures et sa mise en oeuvre exigeante. Cette opération est le fruit d’un travail de concertation mené avec la Ville de Saint-Malo, rappelle Hervé Brou. « L’esprit collaboratif du groupe fait que nous travaillons en partenariat avec les acteurs locaux. C’est une marque de fabrique. À Saint-Malo, il est important de répondre précisément aux attentes. L’approche est cadrée par un cahier des charges précis répondant à un secteur géographique bien identifié ». Un contact est établi fin 2008, le groupe Giboire se portant acquéreur du site des imprimeries Billon. « L’imprimeur fabriquait des carnets de chèques stockés dans un ancien blockhaus, idéal pour la sécurité, mais aussi la conservation du papier ! Une grande tôle recouvrait la totalité de cet entrepôt. En démolissant, nous avons découvert le blockhaus avec ses murs de deux mètres d’épaisseur. »
Le souhait du maire de l’époque, relayé par le promoteur, est d’organiser une consultation privée. « Nous avons contacté Christian Devillers, architecte parisien, concepteur de l’immeuble de la Société Yves-Rocher, à Rennes, et Philippe Loyer, architecte rennais, qui avait mené pour nous une petite opération à Cesson-Sévigné. » Aux esquisses de Christian Devillers sont préférées celles de Philippe Loyer et son équipe : « Il développait une grande façade Nord-Est, et en promotion nous n’aimons pas trop cela, mais il a réussi à nous convaincre par le jeu des petites boîtes. Michel Giboire a été séduit et a choisi l’originalité. La Ville était sur la même longueur d’onde ». Une opération qui au départ a provoqué la méfiance des collaborateurs du groupe Giboire : « La question était de savoir si nous allions pouvoir commercialiser un logement à ce prix, orienté Nord-Est… Nous avons fait le pari de tenir un prix de construction, à 1 450 euros le m2 en coût de travaux ! » Proposer de tels projets est un risque important qui demande à être bien appréhendé. Sur une quinzaine d’opérations lancées chaque année, seules quelques-unes jouent ce va-tout. Salué par le prix Architecture Bretagne 2014 dans la catégorie « Habiter ensemble » et par le prix de l’esthétique au concours des Pyramides d’argent la même année, le programme des Terrasses du rocher fait aujourd’hui la fierté de son maître d’ouvrage.