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Initiatives urbaines
#39
RÉSUMÉ > Marc Dumont est professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à l’Université Lille 1 - Sciences et technologies. Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives de la manière de faire la ville.

     Pas si simple d’engager la transition énergétique. Nombre d’initiatives en ouvrent néanmoins des voies prometteuses. En Suède, par exemple, l’ensemble des transports urbains en commun s’est débarrassé à 90 % du diesel, avec dix ans d’avance sur son objectif initialement prévu pour 2020 ! Pour y parvenir, les sources de substitution sont nombreuses : les cars de transports urbains sont capables de rouler à l’éthanol, au biodiesel, d’ingurgiter des mélanges d’huile ou encore du biogaz. L’ingénierie est impressionnante : des systèmes de retraitement des boues issues des usines d’épuration, produisant du biogaz, ont été implantés à proximité du centre de Stockholm permettant d’injecter directement le combustible vert dans le réseau des bus géré par la filiale du groupe français Keolis. Il reste à surmonter les obstacles technologiques encore nombreux vers une électrification complète du réseau. Fascinée par ces expérimentations, Montpellier suit cette voie et vient d’accélérer le déploiement de ses bus au gaz naturel pour véhicules (GNV) : avec ses derniers achats de douze bus, en décembre 2015, elle mettra fin à la domination du diesel dans les transports urbains sur la quasi-totalité des 36 lignes gérées sa société d’économie mixte, la TaM.

     À plus grande échelle, l’Europe des mobilités en véhicules électriques n’est peut-être plus si loin de se concrétiser. L’Union Européenne vient en effet de recevoir un rapport conséquent élaboré par un groupe de travail trinational (Espagne, Portugal, France), qui propose des clés techniques et stratégiques permettant de déployer d’ici à dix ans 70 000 kilomètres d’autoroutes équipées pour former des « corridors de mobilités électriques ». Ces autoroutes accueilleraient dans les deux sens tous les 80 kilomètres des bornes rechargeables, sans rupture de l’offre une fois franchies les frontières. Les industriels de l’énergie et les constructeurs de l’automobile doivent à présent parvenir à s’entendre, ce qui n’est pas acquis, mais aussi à organiser des offres de rechargement sur les itinéraires de prolongement ou de report.  

Des villes-test pour mieux aménager !

     En urbanisme, le recours à l’expérimentation apparaît pour beaucoup de collectivités comme une voie intéressante pour tester sur un temps court et un espace réduit, des changements de plus grande ampleur. Régulièrement, par exemple, des collectivités « testent » sur quelques mois un service de mobilité, puis le généralisent ou l’abandonnent. Sur ce principe, le groupement Eiffage-Egis-Engie fait fort avec le projet Astainable. Cette ville expérimentale est le fruit d’un partenariat avec le Ministère des Affaires étrangères, d’un coût de 2 millions d’euros. Elle a la particularité d’être une maquette entièrement numérique et de concentrer tous les savoir-faire d’entreprises francophones en matière de développement durable pour les appliquer à tous les domaines urbains dans le cas d’Astana, la capitale du Kazakhstan. La maquette numérique inclut un projet de téléphérique, des exemples de mobilier urbain. Plus que support permettant de visualiser des projets, la maquette numérique y devient un démonstrateur permettant de simuler, de présenter et discuter d’options de planification urbaine, de réduction des émissions des bâtiments. Et, bien sûr, de conquérir les nouveaux marchés ouverts par sa concrétisation à venir.

     Dans la même veine, au Mexique, la Pegasus Global Holdings s’est lancée dans la construction d’une ville-fantôme de 35 000 habitants avec immeubles de bureau, centres commerciaux, église, aéroport, usines industrielles… Cette petite ville laboratoire de 40 km² doit permettre de tester l’usage d’énergies vertes, des technologies de gestions urbaines, sur banc d’essai, sans risque donc pour les usagers futurs.  

Souterrains : des potentiels inattendus

     L’avancement du chantier pharaonique et techniquement époustouflant du couvent des Jacobins à Rennes a de quoi faire réfléchir sur le grand potentiel des espaces et friches souterraines. À Paris-la Défense, où la grande dalle lisse masque une véritable petite ville souterraine, on commence à se pencher sur le renouvellement urbain de ces espaces considérés jusque-là comme moins nobles. Près de 50 000 m² d’interstices invisibles y sont actuellement inexploités ou mal gérés depuis 50 ans, occupés par une gare fantôme, d’anciens parkings, des ateliers d’artistes ou encore une cathédrale engloutie. L’établissement public de gestion, DFaco, souhaite radicalement changer l’image négative de ces sous-sols, en les réinvestissant par des projets ludiques et commerciaux : piscine, bistrot à vin, bar lounge… 4 000 m² d’activités nouvelles en lien avec la gastronomie viennent d’être annoncés. La complexité du projet sera de faire venir de la lumière dans ces espaces encore bien sombres et de ce fait bien peu amènes, pour en faire de vrais espaces publics. Mêmes principes à New York, où la Low Line vise à reproduire les qualités du célèbre High Line Park, dans l’ancienne gare souterraine au Lower East Side. Le projet, dont la chronique peut être suivie en ligne (thelowline.org) a été lancé depuis 3 ans par un ingénieur et un entrepreneur. Il permettrait au premier jardin public enterré au monde d’y voir… le jour, par le biais de paraboles réfléchissantes et de fibres optiques. Leur démarche audacieuse semble payer : le financement participatif vient de collecter les quelque 300 000 dollars nécessaires au lancement des études préalables et à l’ouverture de négociations sérieuses avec la collectivité.

     Plus en surface cette fois, les nombreuses friches industrielles du territoire français attirent de plus en plus les convoitises des entreprises de centrales photovoltaïques. Dans le Nord, à Pont-sur-Sambre, on ne savait quoi faire de la zone de Pantegnies, une parcelle de 17 hectares qui hébergea une centrale au charbon puis un équipement de production électrique fermé depuis maintenant presque 20 ans. Le nouveau contrat signé avec une société de Béziers, Quadran, préfigure l’ouverture prochaine d’une centrale photovoltaïque de 35 000 panneaux sur cette ancienne friche EDF : de quoi largement compléter l’alimentation électrique de la commune de 10 000 habitants. Mieux encore, un petit contrat passé avec des éleveurs permettra aux moutons d’entretenir le site !  

Mille et une manières de recycler nos sols urbains

     Pas toujours facile de dépolluer les sols, les Sociétés Publiques Locales d’Aménagement en charge de programmes de renouvellement urbain en connaissent un rayon à ce sujet. Des pistes très prometteuses de phytoextraction ont récemment fait parler d’elles à la communauté d’agglomération de Creil, en région parisienne. Les résultats d’une expérimentation lancée depuis 2013 en partenariat avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Inéris) sur le site d’un hectare d’une ancienne usine de camping-cars, se sont révélés positifs, ouvrant la voie vers un recours plus systématique aux phytotechnologies. Le principe est simple : la plantation de saules des vanniers et d’arabettes permet à ces végétaux d’absorber des résidus riches en zinc ou en cadmium saturant sur certaines zones les sols. Reste, bien sûr, les dépollutions profondes et la lenteur du procédé, mais la méthode commence à se creuser une place avec l’avantage considérable de pouvoir servir de technique d’appoint à très bas coût.

     Toujours au ras du sol, c’est cette fois Genève qui vient de décider de repaver trois de ses grandes rues et de généraliser ce revêtement à toute la cité. Rien à voir avec un passé médiéval ! Le pavage des rues a un effet, paraît-il, très efficace sur la limitation des vitesses auprès des automobilistes, lesquels ont l’impression de rentrer dans un périmètre historique et s’attendent à chaque mètre à en voir surgir un piéton. Le projet, certes, esthétique (pas loin de 5 variétés de pavés ornent la ville), reste coûteux, les bus étant les premiers usagers à les endommager de manière récurrente.  

     Non, les vrais écoquartiers ne sont pas réservés qu’aux riches ! C’est en substance le message que veut faire passer le projet porté par Codha, la Coopérative de l’habitat associatif, à Nyon, en Suisse. Depuis 2009, le projet d’un écoquartier social était dans les cartons de la municipalité, il vient de se concrétiser par l’attribution à la coopérative d’un droit de superficie (un droit à construire sur le terrain appartenant à quelqu’un d’autre). Celle-ci, habituée à la formule déjà bien engagée dans le cas de l’écoquartier de la Jonction, à Genève, vient de lancer une souscription pour la réalisation sur le lieu-dit du Stand, de 120 appartements, des espaces communs et des surfaces d’activité, le tout sur un site avec une magnifique vue. Pourquoi social ? L’attribution des logements y sera très stricte : réservée quasiment complètement aux habitants de Nyon, et pour l’essentiel des logements subventionnés et abordables (catégories proche des logements sociaux à la française). Permettre aux ménages moins favorisés de venir habiter un peu plus loin c’est aussi leur permettre de mieux se déplacer : belle initiative donc que celle du promoteur Nexity qui désormais fournit des logements avec voiture intégrée, oui, mais partagée ! Le double partenariat du promoteur avec Ubeeqo et Zenpark lui permet de proposer désormais des places de parking mutualisées et des services d’autopartage intégrés aux immeubles commercialisés, l’autopartage à domicile, donc. L’idée est ingénieuse dans la mesure où les voitures personnelles restent sous-utilisées dans les centres urbains. Reste à dépasser les problèmes récurrents de disponibilité aux heures de pointe et le week-end…