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Initiatives urbaines
#26
RÉSUMÉ > Marc Dumont est maître de conférences en aménagement urbain. Il est membre du laboratoire Eso-Rennes (Université de Rennes 2) et du Laboratoire LAUA (Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes). Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes. Il partage sa veille des innovations urbaines, insolites, amusantes et instructives, ici et ailleurs.

     Les villes ne semblent décidément pas à court d’idées lorsqu’il s’agit d’exploiter le potentiel du mobilier urbain. Dernière invention en date : les poubelles truffées de technologies et qui sont utilisées comme radars dans certaines communes de Belgique et sans doute bientôt en France. A Frasneslez- Anvaing, une poubelle-radar vient ainsi décourager les automobilistes pressés en toute discrétion puisqu’elle ne se différencie des conteneurs classiques que...par son contenu, un bijou de technologie à peine visible par ses « yeux » extérieurs. Plus fair-play et plus artistique, une immense réplique de la poubelle à pédale Vipp, célèbre marque norvégienne au design très « rétro » a été implantée en pleine ville de Copenhague, pour le plus grand bonheur de ses habitants, une manière de les inciter toujours plus au respect de la propreté en ville et de donner un autre cachet aux conteneurs fonctionnels et souvent bien peu esthétiques dont les villes européennes sont dotées. D’une capacité de 3 800 litres et haute de près de 2 mètres, elle s’inscrit dans un programme d’actions visant à faire de Copenhague la ville la plus propre d’Europe d’ici 2015. Il faut dire que le choix des conteneurs enterrés est toujours coûteux pour les collectivités. Cette initiative vient ingénieusement souligner l’absence de réflexion esthétique sur cet accessoire collectif. Londres, de son côté, vient de déployer des poubelles bardées de technologies espionnant les pratiques des passants. Enthousiastes, les résidents du quartiers de la City ont vu apparaître des modèles dotés d’écrans affichant les conditions de circulation, de trafic en temps réel ou encore la météo, mais ces modèles avaient aussi la fâcheuse capacité à absorber toutes les données des smartphones des personnes passant à proximité et de les « tracer » d’une poubelle à l’autre, ces données monétisées à usage commercial permettant de calibrer ensuite des publicités ciblées. Ce qui explique, sans doute, leur coût : environ 35 000 euros l’unité. Des poubelles en or, donc !

Des gares toujours plus au coeur des villes

     Dans une conjoncture économique moins propice à l’usage de l’automobile, les gares commencent à tirer leur épingle du jeu, surtout celles qui se retrouvent inscrites dans le projet de Lignes à Grande Vitesse. La ville de Morlaix va ainsi lancer un réaménagement d’ensemble de son quartier de gare, en se mettant à son tour à l’heure des « Pôles d’échanges multimodaux », drôle de terme technique venant remplacer celui de l’espace unique de la gare pour y inclure les différentes mobilités dont celle-ci est appelée à constituer le noeud. Le futur nouveau pôle accueillera une passerelle au-dessus des voies à 7 mètres de hauteur, de 80 mètres de long en forme de mouette et un parking automobile de plus grande capacité. Il permettra d’assurer des liaisons optimales avec les différents modes de transport, dans une logique accrue de report modal: bus, cars, train... avec une hausse attendue de la fréquentation de près de 66% à l’horizon 2020. Le tout pour un budget de 11 millions d’euros financé pour une large part par la communauté d’agglomération.
    Même dynamique pour la gare de Lyon-Perrache, dont une transformation d’ampleur vient d’être lancée pour une durée de 7 ans. Le projet encore au stade de la discussion, vise à faire du site une réelle interface entre le différentes rives de la presqu’île de Lyon, en s’appuyant sur un traitement pointu des espaces publics et en donnant la priorité aux transports doux. Plus ingénieux, ce déplacement physique d’une gare en Suisse dans la commune de Chêne-Bourg qui était située sur le tracé de la nouvelle ligne de chemin de fer desservant Annemasse à Cornavin et ne pouvait être démolie, car classée monument historique. Ni une ni deux : les autorités ont décidé de déplacer d’une trentaine de mètres ce beau et imposant bâtiment du 19e siècle, heureusement sans fondation, avec un système... sur rails et treuils. Une opération complexe menée avec succès en juillet dernier pour un coût de 1,3 million d’euro.

Des écoquartiers – enfin – originaux

     À Saint-Denis, l’écoquartier Néaucité qui est en train de voir le jour est un peu plus original que ceux qui prolifèrent actuellement en France. Dans l’offre urbaine mixte (bureaux, logements) de près de 6000 mètres carrés programmée pour ce quartier sur les vestiges des ateliers Alstom (comme à Nantes), on retrouve bien sûr les incontournables accessoires du développement durable, - toitures végétalisées ou jardins suspendus -, mais aussi l’intégration d’une forte composante sociale et culturelle, autour du « 6B ». Ce lieu rassemble des artistes et des métiers de créations (photographie, musique, danse, arts graphiques, communication…) . Il a été conçu pour être en interaction forte avec les habitants. L’histoire de ce 6B est représentative de la situation de nombreuses friches industrielles en Europe : au départ, les locaux d’Alstom étaient voués à la démolition, mais les résidents (artistes, architectes, peintres...) qui en avaient investi un des bâtiments ont réussi à convaincre le promoteur de le conserver et d’en faire le fer de lance du programme de régénération du site. Imaginé par l’agence de l’urbaniste Nicolas Michelin (ANMA) et l’agence TER, paysagiste de la ZAC, le site viendra donc compléter la future cité du cinéma portée par Luc Besson !
    Une démarche similaire voit aussi le jour dans les anciennes casernes Thurot de la cité alsacienne de Haguenau. Objectif : conforter la trame verte de la ville, en développant une continuité entre les rives de la Moder et les parcs de la gare. Cette opération s’inscrit dans une stratégie foncière d’ensemble visant à créer un vaste parc vert habité. Simultanément au lancement du projet, la municipalité a fait l’acquisition des emprises contiguës de près de 11 hectares. Autre intérêt : dans le souci de favoriser une réelle accession à toutes les catégories sociales, la ville n’a pas imposé de règlementation thermique plus contraignante que celle actuellement en vigueur. Equilibre délicat, mais choix courageux.

Jouer dans l’espace urbain, c’est tous les jours !

     Décidément, sommes-nous définitivement entrés dans l’ère de la « ludification » de la ville ? On peut se le demander avec cette réalisation dénommée « Le Tetris », inaugurée tout récemment et jouant avec les conteneurs dans le quartier du Havre, sur une ancienne friche militaire. Cette salle de spectacles située dans le Fort de Tourneville se distingue par sa façade toute en briques remplacée par des conteneurs de couleurs vives et rappelant en tout point les graphismes du célèbre jeu vidéo. L’opération constitue une réelle prouesse technique : il a fallu éprouver la résistance des 36 conteneurs composant le bâtiment, les consolider en certains points, avant d’y déployer, bloc après bloc, des salles associatives, un espace de spectacles, un restaurant, une salle de danse...Rien ne se perd en ville, tout se récupère !
    Du jeu, il y a eu beaucoup, à la Roche-sur-Yon, dont la place Napoléon, par-king jusque-là très fonctionnel, a été investie par de nombreux animaux d’un genre très particulier. Ces animaux mécaniques, plus que de chair et de vertèbres, ont été conçus par François Delarosière et sont donc dérivés de ceux de l’Ile de Nantes (le concepteur étant à l’origine des « Machines de l’Ile »). Ils ont été inspirés par les expéditions de Napoléon en Egypte - rien de très local donc-, ce qui est réjouissant : le dromadaire, une perche géante du Nil, un crocodile... Le tout évoluant dans des bassins créés spécialement pour l’occasion. Ces créatures viennent animer un chantier imaginé comme un spectacle permanent par ses concepteurs, en l’occurrence Alexandre Chemetoff. Encore un lien de parenté avec l’expérience nantaise ! Ces installations, pérennes, visent à accompagner le vaste projet de requalification de cette place centrale de la ville.

     En Suède, la crise du logement se règle... dans les hauteurs ! Deux projets de tours de grande hauteur de plus de 200 mètres sont en effet en voie de réalisation dans la ville de Göteborg, en compétition d’ailleurs avec sa rivale Stockholm. La première tour, de 60 étages, devrait proposer près de 300 appartements, dans le quartier de Hisingen, se mêlant aussi à des locaux d’immobilier tertiaire. Voilà qui est rare dans ce pays très réticent aux hauteurs mais confronté au problème de l’insuffisance de l’offre de logement. Stockholm a rapidement riposté en présentant le projet de « Tellus tower » qui dépasserait celle de Göteborg d’une vingtaine de mères, et serait réalisée à Telefonplan, l’ancien siège de l’équipementier télécom Ericsson. Même programmation immobilière a priori pour ce projet, les deux tours visant leur achèvement à l’horizon 2019.
    Dans le même ordre d’idées originales en matière de bâtiments et de programmes de logements, mentionnons cet étonnant projet du groupe Brémont, en Savoie, qui va réaliser un ensemble immobilier composé de 67 logements disposés dans des maisons superposées. La différence avec des appartements classiques ? Une très grande modularité des surfaces intérieures permettant de basculer facilement d’un T4 à un T3, et de disposer de grandes terrasses couvertes, le tout étant réalisé sur le design des maisons individuelles. Cela suffira-t-il à convaincre les ménages d’investir ces logements plutôt que des maisons isolées à la campagne ?

     Les réalisations récentes de tramway ne cessent de produire de belles réussites en matière d’intégration urbaine et de développement des espaces publics. Après l’ouverture de la première ligne à Brest - un franc succès conduisant à un réinvestissement du centre-ville par les quartiers périphériques – voilà Tours qui inaugure enfin sa première ligne, après des dizaines d’années de préfiguration. Ce projet a d’ailleurs fait le pari d’un croisement un peu pompeux avec un parcours d’art urbain, dont le tramway constituerait le quatrième volet après le fleuve, le bâti (tuffeau) et le jardin. Le tout serait couplé avec les oeuvres d’art (fort contestées localement) de Daniel Buren dont les totems de 6 mètres ponctuent une partie du parcours. La connexion des stations n’est pas que physique : sur 29 stations, sept contiennent des oeuvres sur des lieux ciblés : aux deux extrémités (parkings relais), à la gare, etc. Les couleurs, les hauteurs, les lignes au sol servent ainsi de repères visuels pour orienter le voyageur. Parmi les oeuvres symboliques : une pergola trois couleurs, un attrape-soleil (disques de verre de couleurs différentes) et un claustra polychrome de 7 m de haut.
    Mais c’est aussi Lyon qui s’offre une ligne verte avec la végétalisation de sa ligne 4 du tram. Ce quatrième tronçon de 10km vient d’être complété de 2,5 km déployés beaucoup plus modestement et peut-être aussi raisonnablement, autour de plantations sur les « sur-largeurs » Le traitement végétal des abords s’exprime en fonction des contextes traversés, avec des alignements d’arbres, y compris au niveau des stations d’arrêt où des rubans verticaux de grimpantes complètent le tableau végétal dans un milieu aride et donc peu amène. Egalement, mais de manière beaucoup plus modeste, plusieurs signes « identitaires » ponctuent la ligne : des serrureries issues de la fonderie d’art du long de la Manufacture, ou encore la sérigraphie de l’ascenseur Jean Moulin.