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Dossier
#22
RÉSUMÉ > Servane, Stéphanie R., Stéphanie D., Saloua et Stéphanie P. Cinq femmes racontent leur travail, le monde du travail et la manière dont elles concilient cela avec leur vie personnelle, avec leur vie de femme. En arrière-fond de ces témoignages, l’inégalité entre les hommes et les femmes qui perdure.

     Selon l’Observatoire des inégalités, en 2010, le salaire mensuel net moyen des hommes était de 2263 euros pour un équivalent temps plein, celui des femmes de 1817 euros. Les hommes perçoivent donc en moyenne, un salaire supérieur de 24,5 %. Sur le plan domestique, les femmes consacrent 4 heures aux tâches ménagères chaque jour, les hommes, 2h30. Conséquence: plus de 30 % des femmes entrées dans le monde du travail depuis sept ans, mère de plusieurs enfants, ne travaillent plus. Parmi celles qui poursuivent leur activité, 68 % sont à temps complet avec un enfant et 39 %, avec plusieurs enfants. Les hommes en couple restent à 90 % à temps plein quelque soit le nombre de leurs enfants. Autre information: seules 17 % des entreprises françaises sont dirigées par une femme. 

Servane Revault « Les femmes ont la culture du débat »

     Salariée de la Sécurité sociale, permanente CGT, Servane Revault est secrétaire départementale en charge des politiques revendicatives. « Avant de devenir syndicaliste, je ne percevais pas toujours les différences de traitement professionnel entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, je pense que ce fil conducteur doit guider toutes nos réflexions ». À la CGT, la question de la parité syndicale par nécessité d’être volontariste, fait l’objet d’une charte, mais peine à être appliquée. « En entreprise, 26 % des élus délégués du personnel sont des femmes. Elles ne sont plus que 20 % en tant que secrétaires générales d’un syndicat d’entreprise. En commission exécutive, peu se présentent et elles ne font généralement qu’un mandat. Comprendre pourquoi est essentiel. » Pour Servane Revault, un des facteurs est la disponibilité: « Les femmes jonglent entre le temps du salariat, le temps du militantisme et le temps domestique. Une problématique accentuée pour celles qui élèvent seules leurs enfants, comme chez les hommes d’ailleurs. La monoparentalité est un sujet de société ». Servane Revault pointe une question récurrente: « Quel service public voulons-nous? Le service à l’enfance doit être amélioré par la création de crèches et la scolarisation dès deux ans ». La parité quand elle existe est un atout: « Les femmes ont la culture du débat et osent aborder des sujets dérangeants qui font progresser le syndicat sur des questions structurantes et le syndicalisme, sur des questions revendicatives. » La place des femmes reste une question culturelle: « Elles sont cantonnées aux métiers dits féminins, présentes à 74, 9 % dans le secteur de l’éducationsanté- action sociale et seulement 9,1 % dans la construction par exemple. » Dans cette filière, les salariées n’ont souvent ni vestiaire ni toilettes et font l’objet de quolibets. « Globalement, les salaires sont inférieurs à ceux des hommes et l’évolution de carrière est ralentie. Ces derniers ont une culture de la négociation sur les salaires que les femmes ont peu. » Par ailleurs, le temps partiel subi est important, les contrats sont précaires, les retraites plus miséreuses, les horaires de travail plus flexibles. « Citons les salariées du commerce qui commencent à 8h30 et terminent à 21 heures, avec plusieurs pauses dans la journée. Elles luttent avec détermination au sein du syndicat local du commerce. » La femme reste pour l’économie française une variable d’ajustement. « Le Forum économique de Davos place la France au 46e rang sur la question des femmes dans la société et à la 17e position sur la question de l’égalité salariale. »

Stéphanie Duval « J’ai amené de la douceur dans le service »

     Au mois d’octobre 2011, Stéphanie Duval prenait la responsabilité du service des Correspondants de nuit de Rennes, au sein de l’association Optima. Elle dirige une équipe d’une vingtaine d’employés qui assurent une médiation sociale, 7 jours sur 7, sur les espaces publics, dans les résidences et les logements sociaux du Blosne, Villejean, Maurepas et la Bellangerais, Bréquigny et les Champs-Manceaux. « Ce poste avait toujours été occupé par un homme. Une femme chercheur de tête m’a contactée: « Mon client recherche un candidat homme expérimenté d’environ 40 ans. Je connais mon client et je sais qu’on peut trouver les qualités qu’il recherche chez une jeune femme ». J’ai postulé. Au final, nous étions deux femmes en lice! ».
     Assistante sociale de formation, Stéphanie appréhende rapidement l’histoire associative de la structure et doit composer avec le fonctionnement de son prédécesseur. « J’ai dû me faire comprendre en tant que professionnelle femme, car tout était très tenu; mon management d’équipe était plus participatif. Lors de ma première réunion avec les responsables de secteur, quatre hommes, dans leur regard j’ai perçu de l’étonnement. J’avais en face de moi une équipe masculine qui avait du caractère ». Les huit femmes Correspondants de nuit se sentant parfois surprotégées par leurs collègues masculins, expriment d’emblée leur satisfaction d’être encadrées par une femme. « Au quotidien, je pense amener de la féminité. On me dit aussi que j’ai apporté de la douceur dans le service. Je suis très attentive à l’équipe et je sais faire de petits gestes symboliques, comme offrir des chocolats par exemple; ce qui ne m’empêche nullement de faire preuve d’autorité, en créant parfois la surprise! ».

Stéphanie Le Guyader « Savoir déléguer est essentiel »

     « Je me dis ouvertement chef d’entreprise seulement depuis quatre ans ». En 1998, Stéphanie Le Guyader créait la société ACTUS, basée à Melesse, en cogérance avec son père. « J’avais 23 ans et je sortais d’une école de commerce. Mon père voulait concevoir du mobilier urbain contemporain, en acier galvanisé à chaud et thermolaqué. Un procédé utilisé pour le matériel de porcherie qu’il commercialisait à l’époque. » Le tandem père et fille se lance et trouve trois partenaires qui fabriquent les projets. L’entreprise démarche auprès des collectivités territoriales, des entreprises de travaux public et des architectes et paysagistes du Grand-Ouest et d’Ile-de-France. Très vite, la Ville de Rennes passe commande de potelets boules dressés sur les trottoirs.
     « Le domaine des travaux publics est un milieu d’hommes. C’est plaisant de travailler avec eux. Je n’ai eu aucun mal à me faire accepter de mes clients. Le plus difficile? Les relations avec les banques et les assurances. Il a fallu que je fasse mes preuves: le milieu des affaires préférait s’adresser à mon père ». Depuis cinq ans, ce dernier a fait valoir ses droits à la retraite. Désormais, Stéphanie dirige seule une équipe de six salariés. « Dans mon métier, je sais rester femme, mais ma façon de manager est plus liée à mon éducation: une entreprise prospère doit en faire profiter ses salariés. C’est une reconnaissance importante ». En retour, la dirigeante sait compter sur son équipe. Une nécessité en tant que mère de famille. « Il y a huit ans, j’ai mis au monde des jumeaux et le 24 décembre, je serai au terme de la grossesse de mon troisième enfant ».
     Autre heureux événement: la remise d’un trophée de l’innovation par l’Institut national de la propriété industrielle. Une juste reconnaissance du travail accompli. « Notre société devrait témoigner de la confiance aux femmes. Mener de front une carrière et une vie de famille ne doit plus être tabou. C’est possible surtout quand on aime son métier, ce qui est déjà une réalité pour la majorité d’entre nous. Les freins? Encore de nos jours, se mettre une pression folle à l’arrivée d’un enfant, pour rassurer son entourage professionnel et prouver qu’un nouveau statut de mère ne modifiera ni son implication ni les résultats de l’entreprise. Dans mon cas, savoir déléguer est essentiel. Ce que je ne peux pas déléguer, je le traite chez moi. L’informatique est une révolution pour les femmes! ».

Saloua Boukkouri « Concilier vie de famille et métier ! »

     « En 2001, lorsque j’ai débuté à la Ville de Rennes, je commençais mon service à 7h15, je terminais à 10h45 pour reprendre à 15h45 et finir à 20h25. Comme ce n’était pas un temps complet, nous devions nous rendre sur le temps de midi dans les écoles pour faire nos 35 heures hebdomadaires. Je partais le matin, mes enfants dormaient; je rentrais le soir, ils étaient couchés. C’était très dur », se souvient Saloua Boukkouri, agent technique. En 2002, le Bureau des temps de la Ville de Rennes est créé dans le prolongement de l’étude nationale conduite sur le « Temps des villes ». Une enquête interne menée sur l’égalité des temps débouche en particulier sur l’harmonisation des horaires des agents d’entretien. « En avril 2003, j’ai fait partie des personnes qui ont expérimenté le nouveau dispositif ».
     Désormais, les agents travaillent en binôme pour assurer la continuité des interventions et deux services sont proposés: le premier de 7h30 à 15h30 et le deuxième de 10h45 à 18h45. Saloua Boukkouri a choisi le premier : « Mère de trois enfants, tout a changé. J’ai désormais une vie de famille. Le matin mon mari conduit les enfants à l’école. Ils savent que maman commence tôt, mais est là dès leur sortie. Pour les devoirs cela change tout, mais aussi pour les rendez-vous avec les enseignants. En finissant à 15h30, je peux aussi faire des courses en ville, entreprendre des démarches administratives. En plus, dans les rues je croise du monde. Auparavant, avec mes horaires décalés, je ne connaissais que des rues désertes. Je vis à présent comme tout le monde! » Autres points positifs : « Aujourd’hui les administratifs me connaissent. Ils me font confiance et des liens se sont créés. Notre travail est aussi mieux respecté. Par exemple, pour me faciliter la tâche, chacun prend soin de ranger son bureau quand j’interviens. Je m’organise en fonction de leur présence et je m’adapte au fonctionnement ; je ne vais pas passer l’aspirateur en plein milieu d’une réunion… Question de savoir vivre! ». Signe qui ne trompe pas : « Ici, on m’appelle par mon prénom. Je suis même invitée à partager les moments conviviaux du service. Je travaille en même temps que les administratifs, je ne suis plus invisible! ».

Stéphanie Priou « Être femme photographe ? Je ne me pose pas cette question »

     « La photographie est venue me chercher, même si ce n’était pas un hasard ». Stéphanie Priou est photographe indépendante. Elle travaille principalement pour les collectivités territoriales de la région. « J’ai débuté adolescente. Pendant mes études histoire de l’art, j’ai donné des cours, je me suis fait la main sur des plateaux de cinéma d’animation et j’ai assisté des photographes de mode. Faire du reportage est venu ensuite naturellement. La photographie pour moi est histoire de rencontres. » Dans le métier qu’elle exerce, elle dit ne jamais avoir abordé la question du genre. « Je crois en fait que cette question était déjà intégrée de par mon histoire personnelle. Je me suis construite en sachant que je devrais me battre parce que j’étais une fille. Pourtant, dans le même temps, j’ai toujours considéré que les différences de compétences entre femmes ou hommes n’existaient pas. Par conséquent c’est une question que je ne me pose pas, sans doute aussi parce que localement elle ne se pose pas. Je ne me mets aucune barrière ; je grimpe aux échelles quand il le faut, je sais m’adapter à toutes les situations ». Du fait du petit nombre de femmes reportrices d’images, Stéphanie pense même en tirer un certain avantage : « Dans les milieux très masculins, l’arrivée d’une femme photographe détend bien souvent l’atmosphère et donne confiance ». Ce qui fait la différence pour elle au niveau professionnel est lié au charisme et à la personnalité du photographe: « La question du caractère est importante au même titre que la question centrale de la disponibilité, en tant que pigiste. Travailler en horaires décalés ne me gêne pas, sans doute parce que je n’ai jamais aimé être dans les clous… ».