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Dossier
#26
Regards croisés de maires périphériques
RÉSUMÉ > Nouvoitou se situe aux confins des campagnes métropolitaines, à la lisière de la communauté de communes du pays de Chateaugiron. Vezin-le- Coquet se développe en continuité avec la ville-centre, à dix minutes en bus de République. Pour Place Publique Rennes, Gilles Cervera a rencontré les maires de ces communes de Rennes Métropole, deux parmi 38. Il a saisi leurs dits et leurs non-dits. Un éclairage original sur la fonction de maire d’une petite commune de l’agglomération.

     Jean-Marc Legagneur a été élu maire de Nouvoitou en 2008. Jean Roudaut n’est devenu premier magistrat de Vezin-le Coquet qu’il y a deux ans, suite au décès de Gérard Le Cam. Nous avons cherché à vérifier ce qui les anime, ce qui les lasse et quel engagement les fait se lever tous les matins.
    L’un et l’autre sont encartés au PS. L’un comme l’autre ne sont pas natifs de la commune dont ils sont devenus maires. Jean-Marc Legagneur est arrivé de Picardie le 11 juillet 1979 et, le 13 au soir, ses voisins débarquaient pour l’inviter, lui et sa famille, au feu d’artifice. C’est là qu’il découvre ce rite étrange de « tirer les joncs » : ailleurs on siffle, au Tyrol on chante, en Corse, c’est polyphonique et dans ces campagnes-ci, les joncs étaient tirés au-dessus d’un chaudron de sorte que, de hameau en hameau, le signal se transmettait. Jean-Marc Legagneur a été, d’abord, accueilli, puis il s’est impliqué en mode associatif avant d’être élu.
    Jean Roudaut non plus n’est pas de Vezin. Il y est arrivé en 2002 et a rejoint la liste du nouveau maire en 2008. Comme beaucoup des nouveaux Vezinois, finalement, et comme nombre d’habitants de la métropole rennaise, venus ici pour le travail, les études, son origine est ailleurs et sa militance ici.
    Voilà deux maires heureux ! Trouvant leur équilibre entre l’engagement fondamental qui les anime et la déclinaison de cet engagement. Déplorant l’un comme l’autre les lenteurs administratives et les restrictions financières qui freinent la mise en place de leur programme. Mais l’un et l’autre se nourrissant de leurs valeurs, laïcité en tête.

     Jean-Marc Legagneur la voit pousser, bourgeonner, fleurir, s’enflammer à l’automne et se recharger pour le printemps qui suit. À Nouvoitou, la laïcité est un arbre ! D’ailleurs, le maire compte bien faire une cérémonie pour installer la Charte que le ministre de l’éducation vient d’imposer aux écoles de la République. À Vezin, Jean Roudaut n’a vu aucun doigt d’opposition ni d’abstention se lever lorsqu’il a proposé que soit installée dans sa commune une salle de recueillement civil, areligieuse et décultualisée. Chacun peut la fréquenter pour rendre hommage, parler du mort ou converser avec les très mitterrandiennes « forces de l’esprit ». Les valeurs, voilà ce qui les met en route tous les jours, réunion après réunion.
    Le Conseil municipal de Nouvoitou a été doté, dès l’arrivée de son nouveau maire, d’une charte éthique. Les citoyens peuvent l’ignorer mais il y a, au sein du conseil, une conseillère correspondante de l’éthique qui surveille, contrôle les décisions et en vérifie les lignes de vertu, ou si elles y étaient, de vice !
    Comment fabriquer une ville, comment se compose une cité avec toutes ses tensions et ses problèmes de voisinage, voilà les enjeux constants du maire, juge de paix ou médiateur. Identifié à sa commune, il est garant de son identité, nous y reviendrons sur fond de métropolisation. Pour l’heure, écoutons Jean-Marc Legagneur recevoir un coup de fil et préférer aller poursuivre chez l’habitant, discuter autour d’un verre : « attends, j’arrive ! ». Chaque samedi, il reçoit en mairie, une demi-heure ou plus, il répond, conseille, ou ne résout rien mais s’entend quitter par un merci plus grand que lui. À Vezin, c’est plus urbain, mais les haies entre voisins créent aussi des zizanies, soit il y en a trop et il faut la tailler soit on la coupe et elle est réclamée ! Vezin monte en hauteur, s’agrandit dans une surface non extensible et certains, qui attendent pour y construire, déclinent l’offre quand elle vient au prétexte qu’il y a trop d’immeubles !

     C’est complexe une ville, elle s’étend, se répand et Jean Roudaut a pris conscience que les premiers constructeurs d’une ZAC sont les bailleurs sociaux. Bien avant d’arriver au bout du processus, ce sont donc en premier les populations aidées qui s’installent et ceux qui ont quitté Rennes croient se retrouver à Villejean, ce qui, dans leur propos, n’est guère flatteur pour la dalle Kennedy. Jean Roudaut sait que le temps est nécessaire : « quand ce sera construit » dit-il. Lui projette la fin et sait que construire une ville, un quartier ou une ZAC, est un processus long et complexe mais il sait aussi qu’un chien qui aboie au passage du bus va aboyer 51 fois dans la journée !
    Ces deux maires ont en commun ce travail avec le temps, cette « vision », dit Jean-Marc Legagneur. Être maire, c’est planifier. Ce qui compte dit-il, « c’est le projet ». Jean Roudaut, dans son bureau de maire, a une affiche du programme sur lequel son équipe a été élue : il coche au fur et à mesure des réalisations, et par moment, faute de dotation, abandonne un projet.
    À peine l’un et l’autre parlent-ils de déception, à peine car l’un et l’autre savent se soumettre à la réalité des finances manquantes ou des réglementations toujours plus prégnantes. Qui décide ? « Si le maire est confronté à d’énormes responsabilités, il a aussi beaucoup de pouvoir », dit doucement l’édile de Nouvoitou, lequel se prétend en souriant « plus libre que le président de la République qui doit faire avec l’Europe et tant de tensions complexes ». Alors, insistons-nous, la métropole n’est donc pas à Nouvoitou ce que la mondialisation est à l’état ?
    Il nous faut les titiller longtemps pour qu’ils se disent libres et décisionnels sur leur commune, mais, au sein du conseil métropolitain, une minuscule voix sur 38 ! Et d’ajouter – nous ramons pour y arriver – les mots plus acides sur « la technostructure qui a pris le dessus » ou les décisions imposées quel que soit le modèle culturel local, les consultants imposant à Lyon, Lille ou Rennes, du début à la fin et quelles que soient les remarques au milieu, un modèle de gestion standard. Une pointe de révolte – à peine, comme la demie gousse d’ail dans le gigot – contre les modes de gouvernance de la métropole que l’élu de Nouvoitou, sans relâche, remet en question. Tout en ajoutant que la métropole apporte beaucoup d’avantages à leurs communes, et pas seulement dans le domain des transports ou de l’aménagement urbain. évidemment, Nouvoitou, Vezin et Rennes, c’est différent, et nos deux élus ont parfois l’impression de voter des décisions prises en amont, avec le vague sentiment d’être « manipulés ».

     Eux, dans leurs communes, ils connaissent leurs concitoyens, ils n’ont que peu ou pas d’écran entre eux car « la crédibilité des décisions est assise sur l’écoute et l’échange », affirme Jean-Marc Legagneur. Eux sont engagés au coeur du vivre ensemble, c’est ce qu’ils disent en insistant sur l’explication. Si un positionnement, un programme n’est pas compris, il faut le remettre sur l’ouvrage et l’enrichir à nouveau par la concertation. Ils sont dans la production et la réalisation et répondent par le concret à partir d’idées très abstraites. Leurs valeurs sont leurs boussoles tandis que leurs compas s’ouvrent sur des plans d’urbanisme.
    Leur décision doit être pédagogique et s’appuyer sur la démocratie participative déclinée à Nouvoitou avec neuf ateliers composés d’élus et de non élus très majoritaires (par exemple sur les rythmes scolaires) ou, à Vezin, avec les jardins partagés par ceux qui n’en ont pas. C’est à les écouter, la recette pour que ces deux maires ne fassent pas d’insomnie ! Toutefois, ils s’interrogent sur l’abstraction des énormes projets urbains prônant les déplacements doux, à la manière de Via Silva… alors qu’entre Nouvoitou et Rennes les douze kilomètres continueront d’exiger de l’essence et des roues.
    Jean Roudaut et Jean-Marc Legagneur n’ont pas le même vocabulaire, l’un, vous le devinerez, parle du centre bourg et l’autre de centre-ville. L’un ne veut pas de construction R+2 et vous saurez qui. L’autre vit avec des citoyens, peu, qui réclament de participer au scrutin, purgeant leur peine dans une cellule entre Montigné et Les Trois Marches. Être plus ou moins loin du centre de la métropole conditionne le lexique et, sûrement, la manière de concevoir la fonction. Mais, pour l’un et l’autre, le respect de l’opposition – Jean-Marc Legagneur a eu cette expérience – reste un devoir et l’écoute de tous une nécessité. De jour et parfois de nuit ! Aujourd’hui, et peut-être demain. Mais, période pré-électorale oblige, on ne leur a pas posé la question du pair ou passe ni du quitte ou double ! Là n’était pas l’essentiel.