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Dossier
#19
RÉSUMÉ > Spécialiste du logement social, Jacques Gefflot explique pourquoi son travail d’architecte se trouve stimulé par les enjeux de ce secteur longtemps décrié. En matière de réhabilitation ou de construction neuve, le logement social permet de réelles innovations, dans une logique de développement durable, de mixité des programmes et de renouvellement des formes urbaines.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez choisi de consacrer l’essentiel de votre activité d’architecte au logement social. Pourquoi?

JACQUES GEFFLOT > C’est vrai, le logement social m’a toujours intéressé. Après mon diplôme obtenu à l’École d’architecture de Rennes en 1984, j’ai suivi un master sur le logement social dans le cadre d’une formation dispensée par le ministère des Affaires sociales de l’époque. J’alternais une partie pratique et une formation théorique. Dans ce cadre, j’ai pu me rendre en voyage d’étude au Québec en 1988, où j’ai compris qu’il était possible de concevoir du logement social de qualité, différent de celui édifié en France dans l’urgence de la reconstruction d’après-guerre. Je suis convaincu que le logement social n’est pas un logement « au rabais ». Cette conviction ne m’a jamais quitté depuis.

PLACE PUBLIQUE > Comment travaillez-vous sur ces questions ?

JACQUES GEFFLOT >
Je touche à tout type de logement social. J’ai longtemps travaillé en réhabilitation. Au total, depuis 1988, année de mon installation en tant qu’architecte libéral, j’ai participé à la conception de plus de 3 000 logements dans l’Ouest, en neuf ou en réhabilitation. Ainsi, durant toutes ces années, j’ai toujours étudié régulièrement de tels programmes pour le compte de l’office Hlm de Rennes devenu Archipel Habitat. Évidemment, pas une opération n’est semblable à une autre! J’ai réhabilité des grands ensembles des années 1950-1960, mais aussi du « petit patrimoine » de quelques logements seulement, notamment dans des communes périphériques de l’agglomération rennaise. Un exemple: les anciens haras d’une petite commune d’Ille-et-Vilaine pour créer quatre logements sociaux. Dans ce type de réalisation, il s’agit vraiment de faire de la couture, de la dentelle, en respectant la mémoire des gens et des lieux.

PLACE PUBLIQUE > Ce travail de mémoire occupe une place importante dans votre démarche d’architecte. De quoi s’agit-il exactement ?

JACQUES GEFFLOT >
Il existe, depuis quelques années, une réelle prise de conscience de l’importance de cette mémoire des lieux. Mon expérience personnelle m’a permis de comprendre très tôt que l’on avait trop souvent opposé parc social et parc privé, en stigmatisant les Hlm. Or il ne faut pas oublier que ces logements sociaux ont longtemps été synonymes de confort et de modernité pour ceux qui y accédaient dans les années 50 et 60, notamment les travailleurs issus du monde rural. Lorsque nous les réhabilitons, c’est le plus souvent en site occupé, avec les habitants en prise directe avec le chantier. Il faut comprendre leur attachement à ces logements, dans lesquels certains ont passé la plus grande partie de leur vie. Exemple, parmi d’autres : comment expliquer à des habitants qu’il faut, pour des raisons de confort acoustique, remplacer leur vieux parquet qui grince mais qu’ils cirent depuis des années ! C’est différent lorsqu’il s’agit de construction neuve: dans ce cas, on ne connaît pas les futurs habitants. Mais dans le logement social, la seule chose que l’on sait d’eux, c’est qu’ils auront moins de moyens financiers que les autres. C’est une grande responsabilité.

PLACE PUBLIQUE > Comment votre travail d’architecte s’en trouve-t-il modifié?

JACQUES GEFFLOT >
En matière de réhabilitation, il faut faire preuve d’humilité. Il s’agit de faire oeuvre technique, mais aussi sociale. Pendant des années, nous ne recevions que des commandes « techniques »: il s’agissait de loger, en maîtrisant les coûts. Aujourd’hui, il faut rendre le logement social attractif. Tous les bailleurs sociaux nous demandent également de valoriser l’image du bâtiment. Avec la prise en compte des objectifs du développement durable, des données nouvelles apparaissent: on cherche à optimiser les consommations énergétiques afin d’abaisser le coût d’usage et les charges pour les locataires. Nous privilégions aussi des matériaux durables. En résumé, on ne se contente plus de faire de la cosmétique, mais nous cherchons à donner – ou à redonner – une identité forte aux immeubles. Notre rôle est aussi de définir de nouveaux modes d’habiter.

PLACE PUBLIQUE > On parle également beaucoup de mixité sociale. Comment intégrez vous cette dimension dans votre travail ?

JACQUES GEFFLOT >
Je considère que le logement social est un formidable laboratoire de la mixité et de la diversité. Il permet de réaliser de véritables expérimentations. Il est frappant de constater que, souvent, les innovations, notamment en matière de conception, proviennent du logement social ou de la collaboration entre opérateurs sociaux et promoteurs. Ainsi, par exemple, notre agence a réalisé récemment un programme innovant à Liffré, près de Rennes. Ce programme, porté par un opérateur privé et la commune, baptisé Kanata, réunit dans un même ensemble 38 logements, une crèche, trois commerces et un espace de rencontre. Le Kanata comprend des logements sociaux conçus pour accueillir des personnes âgées, afin d’encourager une mixité générationnelle. Il s’agit de leur permettre de rester le plus longtemps possible dans leur domicile, grâce à des aménagements simples, comme, par exemple, des éviers réglables en hauteur.

PLACE PUBLIQUE > Quelles sont les tendances lourdes qui vont modifier les pratiques en matière de logement social dans les années qui viennent ?

JACQUES GEFFLOT >
À l’instar de l’exemple que je viens de citer, la mixité des programmes est au coeur des réflexions et des initiatives. Il s’agit, là encore, de retrouver l’échelle du village, de l’îlot, avec des fonctions différentes et complémentaires au service des habitants. En langage Inuit du Québec, Kanata signifie village: le nom est une partie intégrante du programme, qui prend place sur le site d’une ancienne menuiserie, en coeur de bourg. Une telle mixité, évidemment, ne peut exister sans une volonté politique forte.

PLACE PUBLIQUE > On parle aussi beaucoup de développement durable…

JACQUES GEFFLOT >
Évidemment, et c’est la deuxième tendance lourde qui impacte en profondeur le logement social. Prenez l’exemple de la Zac de la Courrouze, dont les programmes intègrent la démarche Hqe (Haute qualité environnementale). Elle contribue à faire évoluer les formes architecturales et les manières de vivre. Autre exemple, en matière de réhabilitation: notre agence a été retenue pour réhabiliter deux tours des années 1970 du quartier du Blosne, à Rennes, Aunis et Navarre. Nous avons proposé de les restructurer les transformant en signal fort du quartier, l’une noire, l’autre blanche. Grâce à un apport technique lié à l’isolation thermique du bâtiment via une « double peau », nous allons modifier la perception architecturale de l’immeuble, et donc du quartier.

PLACE PUBLIQUE > Aujourd’hui, les Hlm ne sont donc plus « blêmes », comme le chantait naguère Renaud?

JACQUES GEFFLOT >
Au contraire, ils peuvent même être très colorés! Dans le quartier Patton, nous avons joué sur les couleurs des façades et des balcons lors de la réhabilitation de cinq immeubles, en alternant les teintes chaudes et froides. À l’intérieur, les halls et parties communes ont également été restructurés et le confort thermique des logements amélioré. L’esthétique, même si cela ne résout pas tout, contribue à modifier et valoriser la perception du bâtiment par ceux qui y vivent.

PLACE PUBLIQUE > Toutes ces préoccupations nouvelles impactent l’art de construire…

JACQUES GEFFLOT >
Effectivement, la conception même des bâtiments évolue. De nouveaux paramètres font leur apparition: la prise en compte de la lumière, les systèmes de ventilation et de chauffage, l’implantation du bâtiment dans le paysage… En matière de logement social, c’est une véritable rupture. Savez vous que durant des décennies, c’est le « chemin de grue » qui déterminait l’emplacement des Hlm? La grue avançait sur des rails et posait les bâtiments de part et d’autre de ce circuit, sans aucune autre considération. À présent, on privilégie une approche globale. Prenez par exemple les toitures végétalisées : au-delà de leur aspect esthétique, elles offrent des avantages techniques en matière de régulation des eaux pluviales, de gestion thermique du bâtiment… La manière d’ouvrir les bâtiments, en fonction de leur orientation par rapport au soleil, modifie aussi le paysage construit.

PLACE PUBLIQUE > Vous parlez de paysage construit. Cela signifie-t-il que nous assistons à la naissance de nouvelles formes urbaines ?

JACQUES GEFFLOT >
Exactement ! Ce n’est pas une tendance spécifique au logement social, mais c’est de mon point de vue la plus importante des trois que je viens de citer. Le débat sur la hauteur des bâtiments est en train d’évoluer. Longtemps, les constructions ont été limitées à quatre étages, car la grande hauteur était décriée. Je pense que c’est une erreur qui a généré de l’étalement urbain, ainsi qu’un manque de repères dans l’espace. Je crois beaucoup à l’affirmation de différentes formes urbaines: de l’habitat individuel, de l’habitat intermédiaire, du logement collectif. Dans ce domaine, les réponses sont nécessairement plurielles. Aujourd’hui, on sait qu’il peut y avoir plusieurs villes dans la ville et plusieurs échelles de lecture de cette ville. Je crois beaucoup à la notion de rythme dans la cité.

PLACE PUBLIQUE > Comment demain, le logement social s’intégrera-t-il dans cette nouvelle lecture urbaine?

JACQUES GEFFLOT >
La loi Sru (Solidarité Renouvellement urbain) joue un rôle décisif : demain plus encore qu’aujourd’hui, toutes les communes devront intégrer la dimension du logement social. Tout l’enjeu consiste donc à tendre vers des formes urbaines « intelligentes ». Demain, il faudra sans doute construire plus haut, plus fin, plus coloré… Mais je crois surtout que l’architecture va être guidée par ces nouvelles formes urbaines. Il n’y aura plus la place pour le « copier-coller »! Il s’agira de travailler sur « l’espace », en faisant évoluer la ville sur ellemême, en résistant à l’épreuve du temps et aux modes.