Bien connue des Rennais, la rue Le Bastard est depuis longtemps une des principales artères commerçantes de la ville. Loin du visage animé qu’elle présente aujourd’hui, elle se découvre ici dans l’atmosphère plutôt tranquille qu’elle pouvait avoir au début des années 1930. Prise un peu au-dessus de la jonction avec les rues Nationale et Lafayette, la photographie, dont nous ignorons l’auteur, nous dévoile une longue perspective ascendante qui nous mène, via la rue Motte-Fablet, jusqu’aux bâtiments qui, à gauche, marquent le début de la rue d’Antrain et font l’angle avec la Place Saint-Anne.
La fonction commerciale de cette artère urbaine est clairement perceptible à travers les devantures de magasins à l’instar de celle du chemisier Eddy, au premier plan à droite, dont la vitrine laisse deviner la présentation alignée des chemises. Dans le prolongement de celui-ci, après l’auvent de la Parfumerie générale, on note la façade imposante, de style Art déco, des Magasins Modernes, bâtiment construit en 1926 par l’architecte de la ville, Emmanuel Le Ray, pour la société Paris-France. Associant béton et métal, rythmée par trois travées séparées par deux piliers, la façade des Magasins Modernes, dont le large auvent masque l’entrée, marque de sa monumentalité le paysage architectural de la rue.
Aujourd’hui entièrement piétonne, la rue Le Bastard est à l’époque ouverte à la circulation comme le montre la présence de nombreuses automobiles en stationnement sur la partie droite de la chaussée. Ces automobiles nous permettent d’ailleurs de dater approximativement la prise de vue de la première moitié des années trente. On y distingue en effet, à la hauteur des Magasins Modernes, face à l’objectif, une Peugeot 201, modèle créé en 1929 et dont le succès va permettre à l’entreprise sochalienne de surmonter la grande crise économique. Les autres modèles de véhicules au premier plan – sans doute une Peugeot 301 et une Citroën AC4 - accréditent, par leur forme encore haute et carrée, cette idée tandis que l’absence de traction avant, dont le premier modèle sort chez Citroën en 1934, interdit une datation plus tardive. Utilisant pour partie des pièces standardisées, ces véhicules sont meilleur marché, favorisant ainsi un premier processus de démocratisation que confirme leur nombre relativement important sur la photographie. Il existe d’ailleurs à cette date de multiples concessionnaires dans la ville.
La présence de ces automobiles à l’arrêt n’enlève cependant rien à la quiétude du moment. L’absence de circulation permet à un groupe d’homme de déborder largement du trottoir pour envahir la chaussée. Ils suivent les rails du tramway urbain dont une ligne emprunte la rue Le Bastard. Hommes et femmes présents sur la photographie, portent pour la plupart, comme il était d’usage à cette époque un couvre-chef.
En inscrivant ces multiples empreintes du passé dans un paysage architectural qui, lui, n’a guère changé et nous reste donc familier, cette photographie de la rue Le Bastard, audelà de son intérêt historique, dégage une impression d’étrangeté qui en fait tout le charme.