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Portfolio
#31
Stéphane Mahé :
Saint-Malo, son ombre
RÉSUMÉ > Stéphane Mahé, photographe d’instinct, a choisi le langage du noir et blanc pour nous raconter ses déambulations mystérieuses et poétiques. Il glane au gré du temps des atmosphères entre ombres et lumières. Son écriture est une invitation au voyage. Vous pouvez retrouver l’ensemble de son travail sur Saint-Malo dans le livre Terminus Saint-Malo paru aux éditions de Juillet. www.stefanmahe.500px.com

Arnaud Le Gouëfflec écrit des chansons, des romans et des scénarios de bande-dessinée. Il est l’auteur du texte de Terminus Saint-Malo.
www.arnaudlegouefflec.com

     Sans son ombre, un homme n’est qu’une moitié d’homme. Sans son ombre, une ville n’est pas complète. On croit que ce sont les bâtiments qui se projettent sur le pavé, mais on pourrait tout aussi bien dire le contraire. Qui sait qui a commencé ? Une ville est d’abord un théâtre d’ombres. Un système de paravents, de panneaux, de façades dont l’ombre est le ressort. Une machine dont la fonction est de créer de la nuit en plein jour, un projecteur en négatif, oeuvrant avec la complicité du soleil. Le soleil est le complice du photographe, mais c’est une oeuvre au noir. Le Saint-Malo de Stéphane Mahé est un attrape-ombres, comme il y a des attrape-rêves : jouant de ruelles enfoncées entre des maisons hautes, de pavés disjoints, des pierres apparentes, dotant les remparts de doublures, creusant des fosses et des douves, le photographe peint au contraste, de la pénombre au noir total jusqu’au blanc aveugle. Il déploie un éventail de noirceurs et de lueurs qui vaut bien l’arc-en-ciel. Embarcadère, ce Saint-Malo là pose soudain la question de la couleur de la mer. Le noir s’égratigne à tout, à la pierre, au sable, au bois, même à l’air, à l’eau et aux nuages. La ville révélée par Stéphane Mahé encapsule des mystères dans les recoins et joue d’un certain droit de retrait, face au double prisme de la mer et du ciel. Les murs virent à la flaque de lumière, l’impasse au puits sans fond. C’est cette dramaturgie-là que le noir et blanc vient dévoiler, à grand traits, à coups de tranchoir photographique. Il démonte et remonte chaque pièce de la machine. Il décape la ville de tout entre-deux. Ainsi celle-ci s’éclaire et reprend du relief, à défaut de couleurs. Elle s’anime, devient prétexte à construire des histoires et à imaginer des choses. La photo devient un écran. On invente un destin au promeneur qui passe dans le champ, une destination au navire à quai, une identité à celui qui regarde ainsi, en noir et blanc, droit dans le coeur des choses : la mer devient tragique, et la ruelle un pont entre deux mondes, presque une passerelle dans la nuit. On entend les pas claquer sur le pavé et la sirène au loin. On suit le fil d’une filature, on soupçonne une embuscade. On débouche sur la plage livide. On entend les vagues et le vent. Les dessins sur le sable prennent des allures de cicatrice, et le ciel s’éclaire de l’intérieur.