Tout est dans le titre ! Le dispositif Sortir de la rue (SDLR) annonce clairement la couleur. Lancée fin 2008 en réponse à un appel à projet de l’État par l’association Sauvegarde de l’enfant à l’adulte (SEA), la Mission locale et l’Apras, cette initiative originale s’adresse aux jeunes de 18 à 30 ans en situation d’errance sur le territoire de Rennes Métropole.
Au coeur du dispositif, on trouve ce que les professionnels appellent « l’aller vers ». C’est-à-dire une démarche proactive, sur le terrain et l’espace public, pour aller à la rencontre des jeunes concernés, lors de déambulations de plusieurs heures réalisées par des éducateurs spécialisés. Cette mission essentielle était initialement assurée par les équipes de l’association SEA. Mais suite à une diminution des subventions publiques en mars 2012, la Sauvegarde s’est retirée de Sortir de la rue, faut de pouvoir continuer à financer les postes d’éducateurs de rue qui y étaient affectés. L’opération s’est toutefois poursuivie, selon un schéma un peu modifié.
Désormais, c’est Damien Morineau, conseiller technique à la Mission locale, qui fait le lien avec les jeunes à la rue. « Je les rencontre sur les lieux qu’ils fréquentent habituellement, notamment lors de permanences régulières au restaurant social Leperdit (Le Fourneau) et à l’accueil de jour Puzzle. Cela facilite la sensibilisation et le suivi », explique-t-il, ajoutant aussitôt : « C’est le jeune qui fait 80% du travail ! Je ne suis qu’une force de proposition ».
Le travail, justement, démarre systématiquement par un état des lieux personnalisé avec le jeune à la rue pour faire le point sur sa situation administrative, ses problèmes de santé… Critère N°1 pour rentrer dans le dispositif : ne pas disposer d’hébergement stable. En 2013, selon les chiffres du dernier bilan (arrêté à fin septembre), 185 jeunes sont ainsi entrés en contact avec Damien Morineau. Parmi eux, 125 ont été suivis dans le cadre de SDLR, et 51 d’entre eux l’ont intégré au cours de l’année. La durée moyenne d’accompagnement est d’environ 9 mois. Il s’agit essentiellement de jeunes hommes (71%), peu ou pas qualifiés, qui déclarent à 79% connaître une situation de logement précaire.
Originalité du dispositif : il vise à renouer en parallèle avec le logement et une formation ou un emploi. « Lorsque le jeune souhaite se remettre en route, je peux l’orienter vers la formation Parcours + de l’association Prisme, soutenue par le conseil régional de Bretagne et spécifiquement conçue pour ces publics fragiles. Elle permet d’obtenir une attestation d’entrée en formation, indispensable pour faire une demande d’hébergement, dans un foyer de jeunes travailleurs, par exemple », précise Damien Morineau. « Parcours + permet un accompagnement souple et dans la durée : on peut rester un an, la suivre à mi-temps, à son rythme. C’est vraiment du sur-mesure ! », poursuit-il. Une fois que la problématique d’hébergement est stabilisée, il est alors possible de s’attaquer aux autres difficultés rencontrées (santé, pathologies).
En matière d’hébergement, le système donne des résultats, encore modestes, mais encourageants. Ainsi, alors qu’aucun des 69 jeunes sortis du dispositif en 2013 ne disposait d’un logement autonome au départ, ils sont 30% dans ce cas à l’issue du parcours, et ce taux atteint même 44% pour ceux qui ont enregistré une sortie « positive », sans abandon volontaire. Au total, 15 jeunes ont trouvé un emploi, dont 6 en CDI et 5 en emploi d’avenir.
« À présent, le dispositif SDLR est clairement identifié et repéré. Nous continuons sur la lancée du travail accompli. Le bouche-à-oreille fonctionne bien. Même s’il est moins présent sur l’espace public qu’à ses débuts, il est désormais bien ancré sur le territoire rennais », souligne de son côté Philippe Le Saux, le directeur de l’Apras, qui assure le suivi méthodologique en construisant des indicateurs destinés à améliorer les réponses apportées aux situations rencontrées sur le terrain.
Du côté des services de l’État, on souligne la qualité du partenariat existant avec les associations et la Ville. « Ce travail en réseau, chacun dans son domaine, est un point fort du territoire », rappelle Jacques Parodi, le directeur de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations en Ille-et- Vilaine (DDCSPP 35). Ses équipes interviennent très peu directement au contact des personnes à la rue, mais elles jouent un rôle de coordination et d’ensemblier, notamment sur le plan financier. De nombreux acteurs de terrain s’étaient émus de la diminution de la participation financière de l’État en 2012, ramenée de 200 000 à 160 000 euros par an. Malgré tout, d’après les témoignages recueillis auprès des associations, le dialogue avec les services de l’État fonctionne plutôt bien, grâce notamment à la présence d’interlocuteurs clairement identifiés depuis plusieurs années. C’est le cas notamment de Gaëlle Danton, véritable mémoire des actions menées dans le département en faveur de ces publics en grande précarité.
Et l’avenir ? Les partenaires de la démarche souhaitent pouvoir la poursuivre et l’améliorer. « Il n’y a pas de recette miracle : C’est un travail de longue haleine, il faut en général une bonne année de suivi avant qu’il ne se passe quelque chose. C’est parfois épuisant. Mais le retour des jeunes qui s’en sortent est un formidable témoignage pour les autres et un encouragement à poursuivre », souligne Damien Morineau, de la Mission locale.
De nouveaux partenariats sont en cours avec des associations locales (le foyer de jeunes travailleurs Les Amitiés sociales, le Foyer Saint-Benoît Labre). Les liens avec le restaurant social le Fourneau devraient également être renforcés, à la faveur d’une convention qui permettra à la Mission locale d’y réaliser des temps de rencontres collectives régulières. Mais le grand projet, régulièrement cité, consiste à relancer une véritable Plateforme de l’errance pour l’agglomération rennaise. L’idée avait été émise lors de la publication de l’enquête réalisée en 2009 par l’Apras sur les jeunes à la rue à Rennes. Quelques réunions avaient eu lieu, mais l’initiative s’était rapidement essoufflée. « Cela permettrait d’offrir un lieu de partage et de travail commun pour les acteurs de terrain. Afin de mutualiser les bonnes pratiques, faire du lien », explique Philippe Le Saux, le directeur de l’Apras. Reste à trouver la bonne formule pour concrétiser cette initiative et l’inscrire dans la durée.