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Initiatives urbaines
#31
RÉSUMÉ > Square de Prague, à Rennes, la restructuration et la réhabilitation d’une première tour de dix-sept étages, avec changement partiel d’usages, doublée de la réhabilitation de sa jumelle, marque la première opération emblématique de la requalification urbaine du quartier du Blosne. Ce chantier entrepris par Espacil Habitat, exceptionnel tant par sa complexité technique qu’humaine, a été conduit dans un espace déjà constitué et habité. Ce projet a obtenu le Prix architecture de Bretagne 2013, dans la catégorie « réhabiliter ». Une récompense qui vient couronner l’engagement du maître d’oeuvre mandataire I2C et de son associé, le cabinet d’architecture Latitude, Jacques Gefflot et Marc Vitel.

     « La première fois que je suis descendue à la station de métro Le Blosne, j’ai découvert ce bel immeuble noir avec ses balcons rouges. Quand j’ai compris que l’appartement libre à visiter était situé là, j’étais ravie ». Il y a quelques mois, avec sa famille, Vivienne a emménagé au 9e étage de la tour de l’Aunis. « Depuis le métro, le bâtiment est tout de suite repérable. Ma fille est fière d’expliquer à ses copines où elle habite. Franchement, c’est réussi ! ». Au Blosne, les avis sont tranchés : en noir et blanc, la haute silhouette de dix-sept étages des tours de l’Aunis et de Navarre, place de Prague, fait jaser. Il y a les inconditionnels comme Vivienne et les sceptiques, telle cette riveraine : « L’immeuble blanc, ça va encore… mais le noir… Comment des architectes ont-ils pu nous pondre une horreur pareille ! ».
    Au-delà de la simple enveloppe extérieure, la réhabilitation a eu, pour Vivienne, un autre effet positif : « Accueillir des étudiants dans le quartier, ça change ! Même si nous n’échangeons que quelques mots, leur présence est importante. » Peu de temps après son arrivée, la jeune femme participait à l’événement musical organisé par son bailleur, Espacil : « Il y avait les étudiants, les jeunes travailleurs, les mamans avec les enfants… franchement, on ne savait plus qui était qui. C’était très sympa ! ».
    Ce même jour, Anne, nouvelle locataire de la résidence pour jeunes rencontrait pour la première fois ses voisins d’immeuble dans le foyer aménagé au pied de la tour. « Loger en FJT, foyer de jeunes travailleurs, répond à mes attentes. C’est via le site Internet que j’ai découvert par hasard la Résidence Aunis, à 800 mètres du lieu où je travaille ». La jeune Nantaise explique avoir été séduite : « L’architecture très design m’a attirée… le blanc, le noir, le gris, le rouge… des couleurs actuelles ! Un immeuble noir avec des balcons rouges c’est original et j’aime l’originalité. Les appartements étaient neufs, le mobilier simple et contemporain. Je n’ai pas hésité une seconde ».

Signal fort d’une requalification urbaine

     Sur l’îlot Prague-Volga, le traitement particulier des façades des tours de l’Aunis et de Navarre annonce un signal urbain fort : le coup d’envoi d’un projet de requalification urbaine du quartier du Blosne datant des années 1970, conduit par l’urbaniste Antoine Grumbach. « Nous nous sommes inscrits dans la réflexion menée par la Ville de Rennes avec Espacil Habitat, Archipel Habitat et les habitants. L’objectif majeur étant d’accueillir de nouvelles activités et une nouvelle population, en diversifiant le parc de logements tout en réhabilitant l’existant. Une façon de redynamiser le secteur », explique Philippe Pelhate, directeur de programmes à Espacil.
    « Ce projet immobilier complexe mené par Espacil Habitat répond à cette volonté : créer de nouveaux produits sur le quartier et notamment pour les jeunes en début de parcours professionnel. Nous sommes en effet à proximité de l’Hôpital Sud, répondant ainsi à l’attente de jeunes actifs du milieu médical. De là est née cette idée d’un changement d’usage sur la tour Aunis ». Une première dans le quartier ! Ce projet particulier prend le pari de la mixité générationnelle en installant de jeunes actifs et étudiants dans une résidence sociale créée au sein d’un bâtiment hébergeant des familles.
    Associant dans le même temps un changement d’usages et une réhabilitation, une telle opération a demandé une approche transversale au sein même d’Espacil Habitat, invitant ainsi deux services à travailler en interne « en mode projet », explique le directeur de programmes : « D’une part, il y avait sur Aunis la transformation des sept premiers niveaux de la tour pour réaliser soixante dix-sept logements destinés à de jeunes actifs ou étudiants. C’est le service promotion qui a travaillé sur ce projet. D’autre part, le service réhabilitation et amélioration d’habitat est intervenu sur les dix niveaux supérieurs de l’Aunis pour réhabiliter les quarante logements restants, de même que dans la tour blanche où nous avons gardé les soixantetreize logements existants, remis aux normes ». Une réhabilitation classique menée avec une remise à neuf technique, à savoir le changement des menuiseries, des appareils de plomberie, la réfection électrique, sans oublier l’isolation thermique aux normes BBC par l’extérieur. Cette opération n’a rien changé de la surface initiale. « Nous avons donc effectué une simple déclaration de travaux sans déposer de permis de construire », explique Philippe Pelhate. « Nous avons lancé un appel à candidature pour la maîtrise d’oeuvre auprès de bureaux d’études. C’était pour nous le mandataire le plus adapté à réaliser ce type d’opération. Nous estimions en effet que ces travaux étaient très techniques, extrêmement lourds en milieu occupé. Nous avons retenu la société I2C qui a constitué son équipe en s’associant avec l’agence Latitude, les architectes Jacques Gefflot et Marc Vitel ».

     L’habillage des deux tours en blanc et noir proposé par les architectes séduit les acteurs de la ZAC qui valident l’orientation prise. « Nous avons souhaité marquer les sept premiers niveaux où vivent les jeunes, par de petits balcons rouges bien différenciés. Sur la tour blanche, seuls quelques panneaux verts donnent un peu de gaieté. C’est un travail plutôt réussi d’intégration dans le site qui n’est certes pas anodin. C’est à mon sens une bonne option d’avoir été suivi par la Ville sur cette nouvelle figure du paysage urbain. »
    Seul bémol pour Philippe Pelhate : « Si c’était à refaire, nous relogerions l’ensemble des locataires. Ceux qui sont restés ont eu du courage. Seize mois dans le bruit et la poussière n’a pas été simple à vivre ». En amont, chaque occupant avait la possibilité de changer de logement, mais quitter son lieu de vie voire s’éloigner de son quartier n’est pas toujours bien vécu par les locataires. Sur les sept premiers niveaux, lieu du changement d’usages, et sur le huitième niveau, étage tampon, les familles ont été relogées. De plus, le passage du nouvel escalier jusqu’au 17e étage nécessitait de transformer des T4 en T3, en supprimant une chambre. Sur les 72 logements d’origine, 46 logements ont ainsi été impactés. La plus grande difficulté à résoudre a été l’accompagnement social de ces locataires. Une mission confiée à un prestataire extérieur, engagé dans le cadre d’une Mous (Maîtrise d’oeuvre urbaine et sociale), aux côtés des responsables d’agence. Un logement de repli équipé était mis à disposition de ceux qui souhaitaient s’éloigner temporairement des nuisances sonores.
    Depuis la livraison de l’opération du square de Prague, quatre nouveaux immeubles d’Espacil font l’objet d’une réhabilitation, cette fois sans changement d’usage. « C’est une opération similaire avec un chantier d’isolation par l’extérieur ». Pour autant, le parti architectural choisi se veut moins radical. « Les couleurs se fondent dans le paysage. Un traitement de la façade moins marqué… le noir fait peur ! » Philippe Pelhate affirme cependant : « Avec le recul et le temps qui passe, j’ai le sentiment que les deux tours de l’Aunis et de Navarre prennent bien leur place dans le quartier ! »

     Mise en conformité des deux tours aux normes incendie et accessibilité handicapés, amélioration de l’habitat et de la qualité énergétique, création d’une résidence sociale… derrière ces objectifs techniques et d’usage, se dessinent en filigrane un autre enjeu : « Il s’agissait de marquer le démarrage de ce secteur labellisé par l’ANRU, agence nationale pour la rénovation urbaine, en proposant une nouvelle image », explique Jacques Gefflot de l’agence d’architecture Latitude. Une gageure d’imposer un parti pris novateur dans un secteur où les habitants souhaitent voir évoluer le quartier, tout en étant réticents au changement ! Dans ce secteur, les réhabilitations antérieures traitées avec des couleurs peu marquées, s’étaient jusque-là fondues dans le paysage. « La toute première esquisse réalisée proposait deux tours jumelles noires, se souvient Jacques Gefflot. L’effet Wall Street Center n’était pas très heureux. Nous nous sommes orientés vers le principe Gwen-Ha-Du, blanc et noir, avec quelques touches de rouge… les couleurs du Stade rennais… ». Ces ponctuations sont aussi un clin d’oeil de l’agence visible sur d’autres constructions neuves dans la ville. Citons l’avenue Villebois-Mareuil par exemple. « Au départ, insiste Marc Vitel, nous étions sur une tour noire avec des touches de couleurs… Espacil Habitat nous a demandé de simplifier la lecture ». Au final, la tour noire est dotée d’une série de balcons rouges et d’un décrochement en pied de tour, vert. La tour blanche est scandée de petites touches de vert et le décrochement en pied d’immeuble est rouge.
    Les deux architectes souhaitent ainsi accentuer les qualités visuelles des deux tours de cinquante mètres de hauteur. « Nous voulions l’interpréter dans sa nature la plus forte… en affirmant cette verticalité et en lissant au maximum le volume, avec cet effet de boîte. Nous avons été aidés par l’isolation par l’extérieur qui a permis de traiter l’enveloppe différemment. Le bardage a été réalisé par la société ISORE Bâtiment. Leur savoir-faire et leur technicité nous ont permis d’obtenir le résultat escompté ». Aucune modification du bâti, juste une peau glissée d’aspect mat sur les 8 000 m2 de façade, avec une finition brillante sur les arêtes. La pose de nouveaux garde-corps aux balcons a permis de gagner en profondeur, accentuant l’effet de creux en façade.
    « Le fait que cette opération soit lauréate du Prix architecture de Bretagne, au-delà de la récompense est pour nous un argument qui nous prouve que nous ne nous sommes pas trompés ! », commente Jacques Gefflot.

     Si extérieurement l’image en impose, la restructuration de l’Aunis avec la création de soixante-dix-sept logements en lieu et place de la trentaine existant n’en a pas moins nécessité un sacré tour de force. « La difficulté a été la mise en oeuvre technique. Il faut savoir que ces immeubles sont de vrais châteaux de cartes où tout peut s’écrouler par des percements », confirme Jacques Gefflot. De plus, au-delà de la technicité d’un tel chantier, la présence même des habitants imposait techniquement de mettre en place des mesures préventives complexes.
    En raison de la création de nouveaux logements et la législation en vigueur, la restructuration des deux cages d’ascenseur et la création d’une nouvelle cage d’escalier s’imposaient. Ouvrir une trémie pour accueillir cette dernière en traversant les dix-sept étages aurait pu menacer la structure. Un atout non négligeable : le bureau d’études I2C connaissait parfaitement la structure pour avoir travaillé dès l’origine à la conception du bâtiment. « Une fois les travaux achevés, c’est la cage d’ascenseur qui donne une colonne vertébrale à l’ensemble et renforce la structure », explique Marc Vitel.
    D’autre part, il fallait réorganiser l’espace des nouveaux logements de la résidence pour jeunes en tenant compte de la structure existante, faite de voiles bétons parallèles successifs et en tunnel. « Nous ne pouvions qu’abattre les cloisons légères entre les voiles bétons et n’effectuer que quelques percements. Nous avons évidé ce qui ne contribuait pas à mettre en péril le bâti. Ce sont donc de petits logements ». Les deux architectes se félicitent d’avoir bénéficié du savoir-faire de l’entreprise de gros oeuvre Eiffage.
    Au final, sans toucher à la structure du bâti initial, les locaux collectifs résidentiels au pied de la tour Aunis ont été aménagés pour héberger la salle de repos et de travail de la résidence des jeunes. Une laverie gérée par des bénévoles est mutualisée avec les logements familiaux. L’entrée de la résidence des jeunes est distincte de celle des logements familiaux. « Pour des raisons budgétaires, les halls d’entrée ont été traités de façon basique et les huisseries extérieures de la tour de l’Aunis sont restées blanches. Nous aurions souhaité qu’elles soient noires ! », commente Jacques Gefflot.
    Autre point abordé par ce dernier : « Ici, nous avons transformé l’usage, mais cela reste du logement. Il serait intéressant de développer de la mixité d’usage, même si en réhabilitation ce n’est pas toujours facile. Pourquoi ne pas imaginer créer un restaurant sur un immeuble de grande hauteur à Rennes ? ». Dernier point soulevé par l’architecte, qui dépasse la simple question du bâtiment. « Dans de tels logements, le point de vue sur la ville est imprenable, sauf que les parties communes ne sont pas à l’échelle d’une tour et elles ne sont pas chatoyantes. De plus, les pieds d’immeubles ne sont pas très bien organisés et les parkings sont monstrueux… Une organisation spatiale démultipliée sur tout le quartier… L’ANRU pose cette question ». Ce premier « pansement » est une première pierre intéressante qui permet de nommer la recomposition à venir du quartier, souligne Marc Vitel. « C’est un déclencheur, ajoute Jacques Gefflot. Quand les habitants évoquent cette opération, ils abordent la question de la transformation du quartier et cela amène de la réflexion et de la discussion. Il est intéressant de proposer deux ou trois opérations de ce type, de petites touches plutôt que de déployer un plan Marshall ! ».