Il suffit de se promener au pied des remparts pour s’en rendre compte : on croise à Saint-Malo des Rennais venus s’y promener en famille et en voisins, des Parisiens alléchés par l’accessibilité ferroviaire et de nombreux touristes étrangers séduits par l’imaginaire malouin, à deux pas du Mont Saint-Michel. Tout à la fois destination de tourisme local, national et international, la cité corsaire obéit ainsi à une triple logique touristique qu’elle conjugue et fait évoluer. Sans être exclusive, cette composante de son développement économique et urbain apparaît essentielle.
La ville se trouve ainsi à la fois dans une position de pôle et de porte. Sa place de destination dans un bassin touristique plus ou moins large évolue dans une série de déséquilibres dynamiques.
Actuellement, il est beaucoup question de mutation du tourisme vers le low cost, l’e-tourisme, le tourisme participatif… Autant de tendances qui induisent des ajustements immatériels dans de nouvelles techniques de communication et de commercialisation. Mais pour l’heure, ce qui frappe le visiteur, c’est la reconfiguration de l’immobilier hôtelier à Saint-Malo et les implications spatiales de cette évolution.
En vingt ans, c’en est bien fini de l’évolution binaire : vieillissement/déclassement de l’équipement hôtelier central, création d’un équipement hôtelier en périphérie de ville. La reconquête d’emplacements traditionnels se conjugue avec une amélioration qualitative de l’offre d’hébergement hôtelier et dépasse la simple mise aux normes de sécurité et d’accessibilité.
Intra-muros, deux navires amiraux ont repris des couleurs : situé face à l’Hôtel de ville, l’hôtel « France et Chateaubriand », avec un restaurant panoramique sur son toit, peut « sortir » des murs et voir le large. Sur la même place, « l’Univers » prolonge en terrasse son bar mythique et rénove les structures d’aménagement et de décor qui ont constitué l’un des hôtels les plus anciens de la ville.
Sur le Sillon, non loin des « Thermes marins », une nouvelle hôtellerie de bord de mer haut de gamme a pris place avec « le Nouveau Monde », un hôtel quatre étoiles appartenant lui aussi au groupe Raulic, et qui cultive avec élégance l’esprit des comptoirs de la Compagnie des Indes. La transformation d’un hôtel classique de ce quartier en boutique-hôtel de charme (Ar Iniz) envoie également le signal fort d’une vocation balnéaire réaffirmée.
À deux pas de la tour Solidor et du port des Bas- Sablons, Saint-Servan avait initié avec le manoir du Cunningham une nouvelle hôtellerie haut de gamme au début des années 2000. Le quartier continue de redécouvrir son port, en construisant un hôtel vers la criée : une résidence hôtelière existait dans ce secteur mais tournait le dos à l’activité portuaire. Clairement, cette composante de la maritimité du lieu est de nouveau intégrée par les investisseurs comme un atout touristique de premier plan.
D’autres localisations, plus classiques, montent en gamme. À nouvelle gare TGV, nouvel équipement hôtelier, à l’image du Best Western Balmoral.
Aux portes de la ville, on assiste également à de nouvelles ouvertures, mais cette fois à l’intérieur de la rocade de desserte et à proximité d’un équipement touristique dynamique, l’Aquarium. C’est le cas de l’enseigne Kyriad Prestige, avec 71 chambres et une piscine couverte, qui a ouvert ses portes avant l’été.
Si l’investissement dans le créneau du luxe est bien visible, le renouveau de l’hôtellerie économique ne l’est pas moins. En témoigne, par exemple, la rénovation de l’ancien hôtel Etap Hôtel, en face du centre hospitalier Broussais, qui a été transformé par le groupe Accor en Ibis Budget.
L’hôtellerie de Saint-Malo a donc réinventé des places et reconquis des lieux traditionnels. Ces investissements sont à l’image du marché de l’immobilier, notamment de celui de la résidence secondaire, avec des cycles qui lui sont comparables. Les investisseurs connus (Groupe Raulic), ou plus discrets se donnent ainsi les moyens d’un nouveau déploiement. Une démarche accompagnée par la politique d’urbanisme de la ville qui intègre cette dimension dans sa planification.
À l’image de son hôtellerie, le tourisme de Saint-Malo se renforce donc, de plus en plus ouvert et concurrencé. De ce point de vue, l’évolution de l’hôtellerie rennaise obéit à une effervescence similaire. Rennes se dote actuellement d’une nouvelle gamme d’établissements à la mesure d’une métropole régionale et du tourisme urbain qu’elle suscite, dans la perspective de l’ouverture de son Centre des Congrès au Couvent des Jacobins, en 2018.
Pour attirer ces flux touristiques, Saint-Malo a largement amélioré son accessibilité ces dernières années. Grâce à sa liaison TGV, sa connexion avec l’autoroute des estuaires et sa quatre voies vers Rennes, sans oublier la liaison aérienne bon marché avec la compagnie Ryanair vers Londres depuis l’aéroport de Dinard-Pleurtuit, qui complète la liaison maritime plus traditionnelle. Toutefois, la destination malouine peut être concurrencée dans la maîtrise de certains flux touristiques.
Ainsi, dans les systèmes « train + location de véhicule », on peut préférer une arrivée à Rennes pour aller sur la côte. De même, pour les systèmes « avion + auto », les aéroports de Rennes et Nantes sont généralement préférés à Dinard-Pleurtuit, en fonction du dynamisme des nouvelles dessertes aériennes low cost.
Conjoncturellement, Saint-Malo subit directement les ajustements souvent rapides de la clientèle britannique en fonction de la situation économique et du taux de change de la livre. Une évolution structurelle doit aussi être prise en compte : plus les touristes britanniques utiliseront la voie aérienne, moins Saint-Malo sera un passage obligé pour cette clientèle ! La Normandie, plus proche, et l’Aquitaine, plus lointaine, demeurent installées dans leurs pratiques touristiques de destinations comparables.
De plus en plus en plus intégrée dans le tourisme international, Saint-Malo profite également des clientèles émergentes asiatique, d’Europe centrale et d’Europe méridionale mais peut en ressentir plus rapidement les évolutions politiques, économiques et les chocs écologiques. C’est évidemment le cas pour les clientèles américaines et nord européennes. Le volant de la clientèle plus diversifiée permet d’atténuer certains à-coups mais nécessite une adaptation à ses attentes. Le drame de Fukushima a fait perdre une partie de la clientèle japonaise pendant plus d’un an, mais les nuages du volcan islandais ont permis de regagner, par report, une partie de la clientèle française. Dans ce jeu du tourisme international, on le voit, Saint- Malo est bien dans la course et le reste.
C’est finalement un pôle touristique qui se cherche. Peut-être cela a-t-il d’ailleurs toujours été le cas ! Dinard a longtemps contesté sa prééminence balnéaire, Dinan son caractère historique, Cancale sa maritimité et sa gastronomie… Plutôt que de chercher à les fédérer, la cité corsaire a progressivement tissé des partenariats avec les uns et les autres (au travers du groupement Terre Émeraude, notamment).
Surtout, Saint-Malo se situe à proximité d’un pôle touristique international majeur : Le Mont Saint Michel. Ce haut lieu classé au patrimoine mondial de l’Unesco se renforce et se configure pour répondre à un tourisme mondialisé de masse, avec un ambitieux programme d’aménagement pratiquement achevé. Saint-Malo peut traditionnellement capter une part significative de ce flux. Elle aurait intérêt à s’inscrire davantage encore dans le tourisme que dessinent les sites classés au patrimoine mondial.
La relation en matière touristique avec Rennes prend une autre dimension. Rennes peut envisager Saint-Malo comme sa façade littorale et se renforcer comme destination touristique en affirmant cette proximité. Saint-Malo peut vouloir donner plus de profondeur à son arrière-pays touristique en complétant son offre d’équipements et de manifestations culturelles et sportives par celle de Rennes.
De façon plus fine, la halte TGV de Dol constitue une alternative pour son arrière-pays de résidences secondaires et permet un accès direct au Mont Saint-Michel. Tout le système d’une deuxième ceinture routière autour de Saint-Malo réactive aussi les flux directs entre Dinan, Dinard, Cancale et Dol. Enfin, Saint-Malo fait bien sûr partie de la zone de loisir de Rennes, sa métropole régionale, mais elle peut aussi être une destination de loisir pour Rouen et Le Havre en court séjour ou en résidences secondaires.
Des chemins touristiques entre ces deux pôles ou portes, divers, font faisceau pour dessiner un arrière-pays polycentrique. Les différents modes de transport dessinent des axes multiples et induisent des aménagements différents. Le canal d’Ille-et-Rance est surtout une voie verte pour randonnée pédestre et cycliste, il ne suscite que de rares escales nautiques, mais il peut favoriser le développement de la résidence secondaire et le tourisme sous forme de chambre d’hôtes.
La voie ferrée, elle, peut favoriser les passages par Dol et Combourg, alors que Dinan se raccorde bien à la quatre voies Rennes-Saint-Malo. Y apparaissent de nouvelles formes de résidences, dont celles de loisir ne sont qu’une composante ou une étape dans le parcours résidentiel d’une vie.
La desserte routière collective (via le réseau Illenoo), en revanche, présente une dimension touristique limitée. Outre la desserte du Mont à partir de Rennes, on peut noter, à titre anecdotique, la liaison Rennes-Dinard via Dinan (« la route d’avant le barrage »). Elle permet en saison le ralliement d’une clientèle jeune à la côte, mais pas seulement. Elle offre surtout des horaires spécifiques pour les élèves du lycée hôtelier de Dinard en période scolaire.
On se trouve donc en matière touristique devant un système d’itinéraires et d’équipements plutôt diffus. Dans le domaine de l’hébergement touristique privé ayant une capacité d’hébergement significative, il convient de souligner l’exemple singulier du Domaine des Ormes à Épiniac, entre Dol et Combourg, qui d’un vaste camping haut de gamme alloté par des tour-operators britanniques à l’origine, tend à devenir un véritable parc résidentiel de loisirs. Il intègre depuis une dizaine d’années la problématique du marché proche et du marché lointain. Ayant une importante clientèle britannique adepte du camping, il s’est adapté à l’évolution de ses attentes. Pour contrebalancer une dépendance excessive à ce marché, le site a retravaillé son offre touristique en direction d’une clientèle proche, malouine et surtout rennaise. Il a développé son pôle affaires (hôtel, séminaires) et événementiel, son centre équestre et son parcours de golf ouvert toute l’année. Le Domaine des Ormes se transforme progressivement en un centre de loisirs et de récréation entre métropole et littoral, avec des hébergements moins standardisés que les mobile-homes et capables d’accueillir tout au long de l’année une clientèle locale (chalets, huttes, en plus de ses emblématiques cabanes dans les arbres). En mineur, le parc zoologique de la Bourbansais, situé dans un château du 16e siècle à Pleugueneuc, rencontre une problématique similaire.
Dans le domaine de l’investissement public, le projet de Parc Naturel Régional Rance Côte d’Émeraude, par-delà son intérêt écologique, peut être vu comme la structuration d’une zone de récréation d’une métropole et l’arrière-pays d’un littoral touristique de plus en plus patrimonialisé, protégé et sauvegardé. Il inclut et affiche donc une dimension de tourisme durable. La aussi, il insère les villes portes de Dinard et Dinan, contourne Saint-Malo, mais il ne peut ignorer les dynamiques urbaines et des logiques touristiques à plus court terme (lire à ce propos l’article d’Yves Morvan, page 56).
Aujourd’hui Saint-Malo apparaît donc clairement comme une porte dans un système touristique multipolaire concurrentiel. Rennes, de son côté, est bien un pôle dans un système territorial en recomposition et affirme sa dimension de porte touristique régionale. Entre les deux, émerge un territoire aux multiples cheminements et points d’ancrage qui forme à la fois un arrière-pays touristique littoral et une zone de récréation urbaine, soumis aux différentes dynamiques urbaines et touristiques qui peuvent le dominer ou qu’il peut maîtriser.
Pour renforcer cet espace touristique entre pôles et portes, pour mieux l’ancrer comme destination touristique d’un tourisme mondial, on ne peut que souhaiter des inscriptions multiples au patrimoine mondial de l’Unesco, complémentaires à celle du Mont Saint- Michel. Le Parc Naturel Régional pourrait en être la préfiguration pour la Vallée de la Rance.