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Dossier
#31
RÉSUMÉ > Pour les touristes britanniques, Saint-Malo est la principale porte d’entrée en Bretagne. Après plusieurs années de baisse, le trafic maritime « passagers » avec l’Angleterre est reparti à la hausse en 2013. Deux enjeux forts se dessinent désormais pour le tourisme malouin : conforter cette reprise et, surtout, transformer, dans l’esprit des voyageurs d’Outre-manche, la ville de passage en lieu de vacances

     8 h 15 à la gare maritime de Saint-Malo. Une impressionnante file de voitures, de caravanes et de camping-cars quitte prudemment le pont des véhicules du Bretagne. À bord de leur 4x4, Diane et David attendent patiemment leur tour. Ils viennent de passer une nuit à bord du ferry reportage > ANNE CHEVREL qui fait la liaison transmanche au départ de Portsmouth. Ce couple de quinquagénaires a vécu la traversée comme une mini-croisière, un avant-goût des vacances. Ils débarquent tout sourire, reposés, disent-ils, et prêts à dévorer les quelque 600 kilomètres qui les séparent du village du Périgord où ils vont camper pendant quinze jours. Pas question pour eux de perdre une minute à Saint-Malo ; en cette matinée un peu grise, ils veulent, avant tout, prendre la route pour rejoindre le soleil du sud-ouest. Ils ne verront de la cité corsaire que les installations portuaires et l’accès à la quatre voies. Au retour, peut-être, prendront-ils quelques heures pour visiter la ville…
    Pourtant Saint-Malo est, avec Paris, Calais et Bordeaux, l’un des noms de villes françaises les plus connus en Grande-Bretagne. Mais cette notoriété est surtout liée à son statut de porte d’entrée en France. Peu de citoyens britanniques la choisissent comme lieu de villégiature. Il faut dire qu’elle souffre, comme l’ensemble de la Bretagne, d’une image de marque un peu désuète : un coin du Nord de la France dont ils ont entendu parler ou qu’ils ont visité en famille quand ils étaient enfants ; une valeur sûre, pas très différente, finalement, de la Grande- Bretagne. C’est justement ce qui attire Philips. Pour la 4e année consécutive, il passera ses vacances à Plestin-les- Grèves, dans une région qui combine culture celtique et décontraction française : l’idéal pour se ressourcer aux yeux de cet homme qui sillonne la planète pour raisons professionnelles.

     Au cours des 20 dernières années, cette familiarité et cette proximité ont, paradoxalement, joué en défaveur du tourisme breton au départ de l’Angleterre. Comme le souligne Michael Dodds, le - très britannique - directeur du Comité Régional du Tourisme de Bretagne (CRT), l’offre de destinations touristiques au départ des aéroports de Standsted, Gatwick ou Heathrow s’est tellement étendue, diversifiée et démocratisée que les Britanniques ont pris l’habitude de se tourner vers des lieux de vacances réputés plus exotiques ou plus ensoleillés.
    Les effets de cet appel du grand Sud sur le tourisme breton ont encore été amplifiés, à la fin des années 2000, par la crise économique qui a durement frappé le Royaume-Uni. Christophe Sochard, adjoint au responsable d’exploitation de l’avant-port de Saint-Malo, n’a pu que constater ses effets sur le trafic transmanche. « 367 237 passagers sur la ligne Portsmouth/Saint-Malo en 2012 et 381 530 en 2013 : nous remontons la pente ». Avec une progression de 11 % l’an dernier, le marché britannique du tourisme en France est effectivement en nette reprise et cette tendance est plus marquée encore si l’on observe la seule Bretagne : + 25 % en un an, une évolution qui pourrait se confirmer en 2014.

     L’embellie économique dont bénéficie la Grande- Bretagne depuis quelques mois n’est sans doute pas étrangère à ce retour d’affection dont bénéficient Saint- Malo et sa région. Mais ce n’est pas la seule explication. Le CRT, qui considère qu’il s’agit là du marché étranger le plus important pour le tourisme breton, s’est inscrit dans une démarche volontariste de reconquête. Des campagnes de communication vantant les mérites des régions de France ont fleuri ces derniers mois sur les murs du métro londonien et des gares du sud-est de l’Angleterre. En parallèle, et localement, un travail de fond a été entrepris pour positionner Saint-Malo comme une destination parfaite pour de courts séjours. Il a d’abord fallu convaincre les tour-opérateurs qui, euxmêmes, ne connaissaient pas réellement la cité corsaire. Ils ont été invités, il y a 4 ans, à tenir leur conférence annuelle au Palais du Grand Large, l’occasion de leur faire découvrir Dinan et l’arrière-pays malouin et, surtout, de leur démontrer la grande proximité avec le Mont Saint Michel, haut lieu du tourisme de découverte. Ce n’est sans doute pas un hasard si Carol, professeure d’Histoire dans le Sussex, a découvert Saint-Malo à l’occasion d’un séjour à l’hôtel des Thermes inclus dans un package Brittany Ferries. Elle revient désormais pour la gentillesse des Bretons et la richesse d’un patrimoine préservé.

     Michael Dodds parie sur une image rajeunie de la Bretagne. « Nous avons mené plusieurs enquêtes auprès de nos clients potentiels en Angleterre. Nous sommes à une époque où partir est devenu presque une nécessité. Très naturellement, ils attendent de leurs vacances de pouvoir souffler et se ressourcer. Ici, ils trouvent la mer, des paysages littoraux préservés et la possibilité de se promener loin de la foule. Et puis les valeurs bretonnes ont un écho fort dans les pays du nord de l’Europe : la valorisation du patrimoine, les traditions, les bons produits locaux sans artifice, la vraie vie… tout cela est très attractif pour les Britanniques ». Des arguments que ne contrediraient pas Carol et Michael, qui ont décidé, voilà 6 ans de s’installer, à l’année, à côté de Josselin dans le Morbihan. Ils font régulièrement le trajet vers l’Angleterre, mais auraient du mal aujourd’hui, à renoncer à l’authenticité des marchés hebdomadaires et, étonnamment, à la sérénité de la conduite sur les routes bretonnes ! Ils ont trouvé, en Bretagne, un art de vivre à la française, sans les inconvénients que les Britanniques y associent fréquemment. « La France a la réputation de ne pas être très accueillante, on a parfois le sentiment de déranger dans les cafés, par exemple », explique Michael Dodds, « mais, la Bretagne se démarque justement, dans les dernières études, par la qualité de l’accueil : les Bretons sont ouverts, chaleureux et sans chichi. Notre défi, c’est de le faire comprendre aux Britanniques ! ». Sarah, cette jeune américaine, fraîchement débarquée sur les traces de son grand-père, héros de la Seconde Guerre Mondiale en est, visiblement, déjà convaincue.

Concurrence ou partenariat touristique ?

     Le tourisme a mis du temps à être reconnu par les élus locaux comme un domaine d’intervention clef en matière d’aménagement du territoire. Dans beaucoup de communes, dont l’attractivité touristique est pourtant évidente, il a longtemps été une délégation secondaire. Les choses sont en train de changer et la reconnaissance du tourisme comme élément structurant de l’activité économique apparaît aujourd’hui comme une évidence, tout particulièrement à Rennes et Saint-Malo.
    Étonnants Voyageurs, Quai des Bulles, ou encore la Route du Rhum… Sans suivre de réel schéma touristique, Saint-Malo a toujours fonctionné sur l’événementiel. Pour Michael Dodds, directeur du Comité Régional du Tourisme de Bretagne, ces grands événements sont essentiels pour une destination urbaine, qui doit être en mesure d’offrir une réelle garantie d’animation. « À Saint-Malo, les quatre saisons fonctionnent parfaitement : il y a toujours quelque chose à voir ou à faire, associé à la certitude de pouvoir prendre un vrai bol d’air. Il n’y a pas d’équivalent en Bretagne. C’est La Rochelle du nord ! ». La liaison LGV avec Paris va encore accentuer l’attractivité de la cité corsaire. Mais il lui faudra, justement, faire face à des enjeux nouveaux. Si les conditions d’accueil et d’hébergement des visiteurs se sont nettement améliorées ces dernières années (lire l’article de Jean-François Gaucher, page 47) la poursuite de cette évolution nécessitera une réflexion coordonnée. Ce besoin est plus flagrant encore en matière de flux de circulation. À certaines périodes de l’année, le trafic automobile dans Saint-Malo atteint déjà des niveaux peu compatibles avec l’image d’une ville où il fait bon vivre. Attention à ce que, dans ces conditions, les Malouins ne vivent le tourisme non plus comme une opportunité mais comme une contrainte ! La mise en oeuvre d’une réelle stratégie, impliquant les pouvoirs publics et les professionnels, pourrait déboucher prochainement sur le transfert de la compétence tourisme à Saint- Malo Agglomération, territoire permettant une prise en compte plus large de toutes les problématiques liées au secteur. Autre enjeu majeur pour le tourisme malouin : son positionnement face à sa voisine rennaise. Avec la structure Destination Rennes, officiellement créée en octobre 2013, la capitale bretonne affiche désormais ses ambitions dans le domaine du tourisme d’affaires. Elle était l’une des très rares métropoles françaises à ne pas apparaître sur la carte des villes de congrès. L’ouverture du centre des congrès du Couvent des Jacobins, en janvier 2018, va changer la donne. Ce nouvel équipement aura une jauge équivalente à celle du Palais du Grand Large, ce qui n’a pas manqué d’inquiéter les responsables malouins. Mais Jean-François Kerroc’h, directeur général de Destination Rennes, se veut rassurant : les deux structures ont des positionnements différenciés. Saint-Malo continuera à s’appuyer sur sa forte identité maritime alors que Rennes jouera la carte du développement durable avec une empreinte carbone minimale, essentiellement adossée à son accessibilité via la LGV et le métro. « Ce sont des équipements à forte personnalité et nous avons tout intérêt à tabler sur leur complémentarité pour proposer une offre globale sur le marché européen. Depuis des années, les villes allemandes s’appuient sur ce type de synergies pour proposer des parcours ou des packages ». Engagées depuis 18 mois, les discussions entre les deux structures ont progressivement changé de tonalité : elles visent désormais à transformer les deux concurrentes potentielles en alliées objectives. Michael Dodds y voit une belle opportunité : « L’ambition de la région et du Comité régional du tourisme est d’inciter les acteurs à se regrouper. En matière de tourisme, la capitale régionale et la principale de nos villes maritimes doivent travailler ensemble. C’est ce qui les rendra plus fortes. »