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Dossier
#19
RÉSUMÉ > Une démarche systémique », c’est par cette expression que l’élu rennais en charge de l’habitat définit la politique qui sous-tend la mise en œuvre du Programme local de l’habitat. Une vision forcément politique avec ses parti-pris, ses choix et un volontarisme assumé. Au risque de faire grincer quelques dents du côté des promoteurs privés.

PLACE PUBLIQUE > Le Plh de Rennes Métropole relève, selon vous, d’une approche « systé- mique ». Que recouvre ce terme?

GUY POTIN > Avant de vous répondre, une autre question me vient, qui est de savoir pourquoi cela fonctionne plutôt bien à Rennes, et pas au niveau national. La réponse est qu’ici, il y a une politique! Au niveau national, en revanche, l’habitat obéit à une succession de programmes ou de plans techniques, environnementaux, fiscaux, qui ne forment pas un tout et qui répondent à des objectifs divers, voire contradictoires. Or une politique de l’habitat, pour être efficace, doit répondre à un certain nombre de questions. À Rennes, au début des années 2000, nous étions confrontés à un fort développement démographique et à une forte chute de la construction. Or l’habitat fait partie de notre projet d’agglomération, il en est un élément primordial. L’accueil est un élément moteur de la qualité de vie et de l’attractivité du territoire. Nous devons nous interroger: qui voulons nous et qui devons nous loger? Quelles sont les capacités contributives des ménages? Quelle est l’ampleur des manques et des écarts constatés entre ce que propose le marché ou les produits à loyer encadrés et les possibilités réelles des ménages? C’est la réponse à toutes ces questions et l’analyse des causes des dysfonctionnements, dans une approche systémique, c’est à dire globale, qui constitue le programme local de l’habitat.

PLACE PUBLIQUE > Les politiques précédentes ont donc échoué?

GUY POTIN >
Une politique de l’habitat n’est jamais terminée une fois pour toutes ! Elle est soumise sans arrêt à des évolutions qui ont des impacts assez lents. Ainsi, au début des années 2000, on commence seulement à percevoir les conséquences de la modification des modes de financement du logement social intervenues en 1995. C’est là qu’intervient l’approche systémique dont je parlais à l’instant: il faut interroger l’ensemble des segments de l’habitat, pas seulement le logement des plus défavorisés. Il est important de savoir comment les actifs en mobilité peuvent se loger, comment les jeunes ménages peuvent accéder à la propriété… Du logement le plus social au logement libre, tout est lié. Car comme le rappelait récemment Patrick Doutreligne, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre: « une politique de l’habitat qui ne serait que pour les pauvres ne serait qu’une pauvre politique ».

PLACE PUBLIQUE > Sur quels leviers agir ?

GUY POTIN >
Il convient d’appréhender tous les maillons de la chaîne du logement : le locatif social, l’accession sociale à la propriété, le locatif privé, l’accession non aidée, le logement libre… Dans le seul domaine du logement locatif social, la même approche doit prévaloir : il s’agit de s’occuper de tous les publics, du logement d’urgence, de l’accueil des sans domicile, du logement des jeunes travailleurs, des étudiants, des personnes âgées, des familles… Avec, à chaque fois, cette question essentielle: qui sont ces publics, qu’attendent-ils, quelle est leur capacité contributive ? Il faut aussi, dès l’origine, concevoir des produits qui sont intrinsèquement économes.

PLACE PUBLIQUE > Que voulez-vous dire par là?

GUY POTIN >
L’objectif, c’est de diminuer les charges : il s’agit non seulement de construire plus, mais aussi mieux et moins cher. C’est le sens de l’intervention financière de la collectivité, qui permet de faire baisser le loyer et les charges. Ce qui permet de donner un coup de pouce au pouvoir d’achat des locataires! On retrouve une démarche identique avec le renouvellement du parc de logements étudiants, comme dans le quartier de Villejean, avec la résidence Languedoc, un bâtiment basse consommation qui a reçu un prix de l’Architecture Bretagne.

PLACE PUBLIQUE > Et les familles ?

GUY POTIN >
Les ménages d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Il faut être capables d’anticiper les évolutions et ne pas seulement raisonner en termes de flux de logements neufs. Le parc existant doit faire l’objet d’un traitement spécifique, avec trois objectifs majeurs : - un objectif environnemental, afin de remettre ces logements aux normes et améliorer ainsi la solvabilité des ménages en réduisant les charges liées au chauffage, par exemple. - un objectif lié au vieillissement de la population. On constate que ce sont les logements les plus anciens qui hébergent les personnes les plus âgées: elles ont vieilli avec leur immeuble! - Enfin, on doit se poser la question de l’attractivité du parc existant, à la fois sur un plan esthétique, de confort et sur un plan financier.

PLACE PUBLIQUE > Comment les organismes Hlm peuvent- ils y contribuer ?

GUY POTIN >
Ils jouent évidemment un rôle essentiel, dans le cadre de leur plan stratégique de patrimoine, de la politique d’attribution des logements et de définition des loyers. Ainsi, Rennes Métropole demande aux organismes de réaliser 30 % de mutation au sein du parc locatif social, afin d’encourager les mobilités.

PLACE PUBLIQUE > Quels sont les obstacles à surmonter ?

GUY POTIN >
Sur le logement locatif social, tout dépend de la volonté politique et de la capacité financière de la puissance publique. Les autres types de logement font intervenir de nombreux acteurs, c’est plus compliqué. A Rennes, comme dans toutes les agglomérations attractives au début des années 2000, les logements proposés n’étaient pas suffisamment attractifs en termes de prix pour permettre aux ménages modestes avec enfants de quitter leur statut de locataire dans la ville centre ou sur l’agglomération. On constatait une hémorragie des jeunes actifs avec enfants vers les communes suburbaines éloignées de la ville centre. C’est une évolution dont on ne pouvait évidemment pas se satisfaire!

PLACE PUBLIQUE > Comment les loger à un prix décent dans la métropole?

GUY POTIN >
Nos études nous ont montré que dans l’agglomération, un tiers des ménages gagne moins de 1 300 euros par mois, et les deux tiers moins de 2 500 euros par mois. Or nous étions confrontés à la règle des 80/20: 80 % de la production privée ne s’adressait qu’à 20% de la population! A partir de ce constat, on s’aperçoit qu’il faut que le prix de vente soit inférieur à 2000 euros le mètre carré pour que ces ménages puissent y prétendre. Pour y parvenir, il faut d’abord agir sur le prix du foncier, en mettant en places des aides spécifiques. Ces mesures ont porté leurs fruits: à partir de 2009/2010, on constate une inversion des tendances, avec une hausse des ménages sur le territoire de l’agglomération, et des effectifs scolaires en augmentation. Autre indicateur: dans les Zones urbaines sensibles (Zus), 51 % des ménages quittant le logement locatif pour accéder à la propriété le font sur les communes de Rennes Métropole. Ces quelques exemples permettent de comprendre la différence entre une politique de l’habitat et un programme de l’habitat. Notre objectif, c’est de loger, pas de construire des logements !

PLACE PUBLIQUE > Comment travaillez-vous avec les investisseurs privés ?

GUY POTIN >
À l’inverse de Nantes, Lyon ou Montpellier, Rennes n’est pas une terre d’investisseurs. Ici on achète pour se loger. Une des ambitions du Plh a été d’attirer ces investisseurs. Nous avons produit du Pls (prêt locatif social) jumelé avec des programmes en loi Scellier, ce qui a permis de faire baisser les loyers. Désormais, on observe une baisse des loyers à la relocation. C’est l’ensemble de ces dispositifs qui permet d’atteindre l’une des ambitions majeures du Plh: réussir à faire baisser les prix de l’immobilier. Nous sommes passé de la 6e à la 16e place nationale dans le palmarès des villes les plus chères de France en quelques années. Ces résultats sont conformes aux ambitions initiales de notre Politique locale de l’habitat. Ils ont été rendus possibles par la cohérence et la complémentarité de multiples actions. Celles-ci ont été pensées et mises en oeuvre par un service qui est en charge de l’ensemble de cette politique, de l’amont à l’aval, de l’urgence à la prospective, de l’enregistrement de la demande locative sociale à la programmation… Ils sont bien entendu rendus possible par l’ampleur, la lisibilité et la pérennité de l’intervention financière de Rennes Métropole.

PLACE PUBLIQUE > Pourtant, les promoteurs privés dénoncent souvent le dirigisme dont fait preuve Rennes Métropole, et critiquent l’existence d’un « impôt de palier » pour financer les programmes mixtes. Que leur répondez-vous ?

GUY POTIN >
Lorsque Rennes Métropole a souhaité agir de façon massive en faveur des logements aidés, nous nous sommes justement posés la question de savoir comment ne pas pénaliser les opérations d’aménagement en reportant le manque à gagner sur les charges foncières des opérateurs privés. Il a donc été décidé dès l’origine du Plh que, contrairement à ce qui se pratique dans beaucoup de collectivités, les opérateurs du logement aidé paieraient l’aménageur à un prix « normal », et que c’est Rennes Métropole qui subventionnerait ces opérateurs pour ramener la charge foncière à un prix compatible avec les programmes sociaux. Une partie importante du financement de Rennes Métropole dans le cadre du Plh (40 millions d’euros par an) est d’ailleurs consacrée à cette politique foncière. Lorsqu’aujourd’hui, on paie un terrain hors Rennes 250 euros le mètre carré pour du logement aidé, on ne peut pas dire qu’il y ait péréquation, car les promoteurs privés ne proposent souvent même pas ce prix-là! Sur la ville centre, en revanche, c’est vrai que lorsqu’on paie 250 euros le mètre carré pour du logement aidé, les promoteurs, eux, peuvent proposer jusqu’à 600 euros. C’est leur liberté, pas la volonté de la ville. Il faut rappeler que les constructions en Zac (zone d’aménagement concertée) ne représentent qu’un tiers du total à Rennes. Tout le reste se trouve en secteur diffus, donc soumis aux règles du marché. Or les prix des promoteurs privés dans le « diffus » sont de 13 % supérieurs à ceux pratiqués dans les Zac. Et là, il n’y a pas « d’impôt de palier » pour financer le logement social !

PLACE PUBLIQUE > Comment s’explique cette différence?

GUY POTIN >
À Rennes, historiquement, la promotion privée ne propose pas de gammes complètes de produits. Les entreprises visent toujours le prix supérieur et n’offrent pas assez de logements d’entrée de gamme. Elles nous reprochent d’être trop dirigistes, mais à propos de l’impôt de palier, ce sont les mêmes qui nous demandent de pallier leur incapacité à s’autoréguler. Les promoteurs nous demandent à présent d’imposer dans chaque opération libre un volume de 25 à 30 % de prix plafonnés! Enfin, je tiens à rappeler que ce n’est pas le prix du foncier qui fait le prix du logement, mais le prix de marché.

PLACE PUBLIQUE > Vous évoquiez tout à l’heure les difficultés économiques croissantes rencontrées par les ménages. Or, bien souvent, à Rennes comme ailleurs, on retrouve les ménages les plus pauvres dans les logements sociaux les plus vétustes. Comment lutter contre cette « double peine »?

GUY POTIN >
Il n’y pas de logements véritablement « vétustes » dans le parc social rennais ! Nous menons depuis 1977 un programme d’entretien du patrimoine. Dans le quartier de Maurepas, par exemple, nous changeons les vingt ascenseurs des dix tours! Malgré tout, c’est vrai, il y a un effet financier mécanique qui fait que ce sont les logements les plus anciens qui offrent les loyers les plus bas, donc les plus accessibles, car ils ont été construits dans les années 1960, à une époque où les logements sociaux étaient très aidés. Toutefois, nous avons la volonté de la mixité sociale, et souhaitons éviter les concentrations de personnes présentant les mêmes caractéristiques dans les mêmes lieux.

PLACE PUBLIQUE > Il y a donc un risque de ghettoïsation dans certains quartiers ?

GUY POTIN >
Il faut lutter en permanence contre ce risque. Nous travaillons aussi sur des programmes de renouvellement urbain. Il ne s’agit pas de détruire systématiquement les logements, mais plutôt de requalifier l’ensemble du quartier, par l’adjonction de nouvelles constructions, de nouvelles activités et services. Le meilleur exemple de cette transformation dans la durée, c’est le quartier de Cleunay!

PLACE PUBLIQUE > Certains observateurs critiquent les regroupements ethniques dans le logement social, notamment au sein de la communauté turque. Qu’en estil réellement ?

GUY POTIN >
Il existe un comité consultatif des rennais d’origine étrangère. Lors de notre première réunion, la discussion s’est focalisée sur deux sujets : le logement et l’école. Concernant le logement, deux critiques contradictoires ont été exprimées: selon certains, les opérateurs du logement locatif auraient tendance à regrouper les personnes d’origine étrangère dans certains immeubles; selon d’autres, la ville interdirait au contraire les regroupements communautaires. Il est intéressant de savoir qui disait quoi : la première affirmation émanait des représentants des communautés étrangères eux-mêmes, et la seconde était portée par les associations militantes. C’est la preuve qu’on est davantage dans le domaine du fantasme que de la réalité. De fait, cette problématique est peu présente à Rennes, hormis, c’est vrai, pour la communauté turque. Notre politique est clairement fondée sur la mixité, et nous sommes donc opposés aux regroupements. C’est un choix assumé. Mais cela renvoie aussi aux questions précédentes sur les capacités contributives des locataires, qui conditionnent l’accès à certains types de logement.