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Initiatives urbaines
#24
RÉSUMÉ > Densité, verticalité, fluidité, spiritualité et naturalité: ainsi pourrait-on caractériser Hong Kong, une ville riche en paradoxes. C’est du moins de cette façon que l’ont vue des étudiants en aménagement de Rennes 2 qui ont effectué là-bas un voyage d’étude en avril 2013. Pour Place Publique ils ont rédigé au retour un portrait de cette ville extrême.

     Hong Kong compte plus de 7,2 millions d’habitants sur 1 100 km², soit 18 fois la population de Rennes Métropole sur une superficie à peine deux fois plus étendue. Eclatée entre une péninsule et plusieurs îles, cette fascinante métropole extrêmeorientale combine verticalité et densité sur un territoire néanmoins ouvert sur la nature. Malgré l’intensité du trafic, elle réussit à assurer une bonne fluidité de la circulation. La rareté du sol de ce bout de terre situé dans le delta des Perles (fort d’une soixantaine de millions d’habitants…) n’empêche pas l’ancienne colonie britannique d’être aérée d’espaces publics soigneusement organisés. La modernité côtoie la tradition, aux portes d’une Chine « continentale » presque invisible mais omniprésente. Dépaysement total et vertige garantis.

     Lors des Grandes Découvertes, les Portugais sont les premiers Occidentaux présents dans le Delta des Perles. Basés à Malacca (actuelle Malaisie), ils organisent dès les années 1550 un commerce d’épices, de porcelaines et de soieries avec les Empires de la Chine et du Japon. Mais à l’époque, c’est la voisine Macao (juste en face de Hong Kong) qui fait office de comptoir et de plaque tournante. L’île de Hong Kong, bien que très proche, reste à l’écart du commerce colonial. Il faut attendre 1842, suite au traité de Nankin clôturant la première guerre de l’opium, pour que les Britanniques s’installent. D’abord limitée à l’île même de Hong Kong, leur présence s’étend après la seconde guerre de l’opium. En 1860, la péninsule de Kowloon est annexée puis les « Nouveaux Territoires » en 1898, pour une durée de 99 ans. C’est ainsi que le 1er juillet 1997, Hong Kong est devenue une région administrative spéciale chinoise.
     L’héritage britannique n’a pas pour autant entièrement disparu: la conduite à gauche, les bus rouges à impériale ou les panneaux indicateurs en langue anglaise en sont les symboles les plus évidents. Ce passé colonial confère aussi aux différents quartiers des marquages socioéconomiques très différents, depuis le nord de l’île occupé par un Central Business District très européanisé, riche quartier des affaires siège de gratte-ciels célèbres dus à des starchitects rivalisant de prouesses architecturales, jusqu’à la péninsule de Kowloon, plus populaire et orientale, avec des densités de bâti et de population parmi les plus fortes au monde.

     Notre auberge de jeunesse, dont les minuscules chambres collectives ne disposent pas toutes d’une fenêtre, est à l’image des contraintes résidentielles résultant d’une densité de plus de 6 500 habitants au kilomètre carré. La concentration et la faible qualité des constructions rendent les habitats parfois très précaires, encourageant des démolitions apparemment légitimes mais problématiques car mal vécues par des populations expropriées sans beaucoup d’égards. Qu’il s’agisse d’opérations de rénovation urbaine ou de grands projets naissants, la métropole s’attache en effet à promouvoir l’image d’une ville moderne et mondiale en creusant cependant toujours un peu plus les inégalités entre les populations. Les catégories modestes du quartier de Sham Shui Po sont ainsi chassées par la spéculation immobilière issue d’une politique urbaine peu soucieuse du social. Il en résulte un net embourgeoisement – ce qu’on appelle la gentrification –, qui conduit à deux solutions de relogement des occupants antérieurs aussi insatisfaisantes l’une que l’autre: des appartements modernes mais aux loyers indécents ou d’autres logements de taille réduite et insalubres.

     La moitié de la population hongkongaise continue à s’entasser dans des quartiers offrant des logements non conformes, où l’on s’efforce d’optimiser l’espace chèrement compté de chacune des pièces pour libérer le maximum de place nécessaire à la vie de la famille. Certains vivent dans des conditions plus extrêmes encore, comme les « hommes-greniers » qui cohabitent, confinés dans des espaces réduits offrant des conditions d’existence déplorables. On estime à 100 000 la population ne disposant que de 2 m² par individu. A l’inverse, des privilégiés résident dans un environnement bien plus appréciable comme les villas du quartier du Victoria Peak. Dans cette situation frappante de ségrégation socio-spatiale, les classes moyennes se résignent souvent aux quartiers plutôt insalubres, faute de trouver des logements adaptés à leurs moyens dans un contexte de pénurie globale et de coûts immobiliers exorbitants explicable par la rareté des terrains à bâtir dans une ville extraordinairement dense.

     La première impression et expression qui vient à l’esprit à la sortie de l’Airport Express, train reliant l’aéroport au centre-ville, c’est la démesure d’une « ville qui grouille de partout ». Sortez ensuite du métro et vous vous retrouvez happé par une foule compacte. Les rues sont étroites, parfaitement délimitées par un bâti linéaire et vertical. Les touristes, fascinés par ces verticalités omniprésentes, se promènent la tête en l’air, comme s’ils retenaient leur respiration à la recherche d’espace. Avec plus de 7 600 gratte-ciels, une forêt urbaine saisit par sa hauteur, tout comme la densité du bâti, des populations et des activités.
     Mong Kok passe ainsi pour le quartier le plus densément habité du globe. Les ressources en terrains constructibles sont en effet limitées et impliquent une urbanisation obéissant aux principes de densité, de compacité et de verticalité pour répondre à la très forte demande en logements, bureaux, commerces, équipements… Les prix des terrains atteignant des valeurs vertigineuses tout comme les loyers – compter 10 000 à 12 000 euros mensuels le F4 –, on comprend que le building soit la solution idéale pour les promoteurs et les aménageurs. Les tours d’habitation se caractérisent de surcroît par leur très faible emprise au sol sur d’étroites parcelles de façon à loger le plus grand nombre de ménages mais aussi toutes sortes d’activités grâce à l’empilement des fonctions: pensions, bureaux, commerces – et usines verticales avant la désindustrialisation récente au profit de Shenzhen, la Zone Economique Spéciale située de l’autre côté. Mais cette gestion économique du foncier ne suffit pas à répondre aux besoins, justifiant les opérations d’atterrissement par comblement de la mer afin de gagner des surfaces nouvelles nécessaires aux extensions urbaines: agrandissement du port, extension du parc d’attraction ou nouvel aéroport…

     Aussi étonnant que cela puisse apparaître sur un territoire aussi restreint, 80 % du sol est inconstructible. Cette particularité surprenante résulte de la localisation de l’agglomération au sud d’un relief de collines à pentes élevées posant de redoutables problèmes de contrôle des eaux d’écoulement, de ruissellement sur sol granitique imperméable sous un climat subtropical sujet à des cyclones récurrents. Mais l’importance des espaces non bâtis résulte aussi de dispositions d’urbanisme inattendues visant à préserver zones naturelles et parcs.
     Le territoire compte ainsi des parcs naturels protégés, comme le Tai Tam Country Park qui s’étend sur un cinquième du territoire de l’île de Hong Kong. Ainsi, la région urbaine offre un second visage diamétralement opposé, celui de la proximité de la nature. En effet, que ce soit en train, en bus, en taxi ou en bateau, on peut très vite sortir de la ville pour se retrouver sur des hauteurs boisées ou s’échapper en pleine mer.
     Ces lieux de respiration sont commodément accessibles par les lignes de métro et de bus desservant la grande majorité du territoire. Il est aisé de passer des paysages urbains du centre-ville aux plages du sud de l’île de Hong Kong ou aux Nouveaux Territoires largement préservés de toute construction. Hong Kong, formée de plusieurs îles escarpées, comporte ainsi des paysages contrastés : aux portes de la ville un peu écrasante se présentent les paysages préservés offerts par la mer, les côtes et les hautes collines verdoyantes. A l’ouest, subsiste également Tai O, village sur pilotis où se mêlent pêche traditionnelle et paysages naturels, ce qui en fait un lieu de tourisme et de promenade très prisé.

     Les reliefs sont également des espaces sacrés, domaine des ancêtres et des morts. Sur l’île de Lantau, se dresse un Grand Bouddha remarquable par sa taille et sa localisation: s’élevant en pleine forêt, cette statue géante illustre la coexistence entre urbanité, nature et spiritualité. Plus généralement, des pans entiers de montagne sont dédiés à des cimetières situés en altitude ou en hauteur, spectaculairement aménagés en escaliers et terrasses, et orientés au sud, pour obéir aux règles traditionnelles du Feng Shui, cet art de la nature visant à capter les énergies favorables et dont les règles président à l’agencement des parcs et même de la ville – d’où aussi ces immeubles volontairement percés d’un grand trou pour ne pas indisposer les dragons et l’orientation choisie des bâtiments pour assurer harmonie et bien-être.
     Les temples taoïstes, confucianistes ou bouddhistes souvent entourés de jardins sont également des lieux permettant aux habitants de faire des pauses et de venir se recueillir et prier leurs ancêtres. On vient y déposer des offrandes pour les défunts: faux téléphones portables, chaussures en carton, oranges… Les temples sont intégrés visuellement au paysage mais une fois à l’intérieur, la rupture sonore avec le reste de la ville est flagrante. De nombreux parcs urbains (Hong Kong Park, King’s Park, Kowloon Walled City Park) remplissent cette fonction spirituelle tout en permettant aux citadins de se détendre. Des espaces sont dédiés à l’exercice physique et notamment au Tai Shi Chuan, gymnastique d’inspiration taoïste alliant art martial et relaxation. Cet art est surtout pratiqué le matin avant le début de la journée de travail.
     Le reste du temps, les parcs constituent une véritable échappatoire sonore et visuelle dans cette ville perpétuellement agitée.

Une étonnante maîtrise de la circulation

     On imagine aisément à quel point la desserte en transports en commun est primordiale. Une spécificité rarissime pour une ville aussi développée est que les véhicules individuels sont minoritaires en raison d’une tarification délibérément dissuasive, aussi bien pour l’achat des voitures que pour le carburant, afin d’éviter une congestion qui obligerait à des infrastructures ruineuses (tunnels, ponts). Les immeubles ne disposent que de très rares places de parking ou de garages, limitant la tentation du véhicule motorisé. Aussi les déplacements sont-ils principalement effectués par les transports collectifs: bus, métro, tramway, ferry ou taxi (bon marché). Automobiles et deux roues à moteur sont rares. Le niveau sonore de la ville-centre est en conséquence bien moins élevé qu’on ne pourrait s’y attendre pour une ville de cette taille et de cette densité. Hong Kong est aussi la ville développée où la consommation d’essence par habitant est la plus faible, de très loin.
     Malgré l’importance et l’intensité des flux dans pareille métropole, leur gestion est bien maîtrisée. Dans la rue, les gens font la queue avec discipline (sous peine d’amende) pour attendre leur bus et cela même si la file peut parfois faire le tour complet d’un pâté de maisons; l’ordre est de rigueur mais finalement, l’attente n’est pas si longue car les bus sont des moyens de locomotion pratiques et efficaces.

     Le fonctionnement du métro est tout aussi remarquable; chaque rame peut accueillir 2 500 personnes et atteindre 200 m de long, soit presque un TGV. Nulle bousculade pourtant : les emplacements où monter et descendre figurent au sol et la limpidité du trafic s’en trouve augmentée, autorisant un impressionnant débit horaire.
     Les stations sont aménagées sur plusieurs étages, créant une organisation fonctionnelle en mille-feuilles. De manière générale, un niveau est réservé à la billetterie, à quelques commerces de « proximité » et à la distribution des sorties vers l’extérieur.
     La compagnie de transports urbains assure en effet seule le coût des infrastructures et c’est elle qui propose au gouvernement le tracé des nouvelles lignes et les aménagements des gares. Dépourvue de subventions publiques, cette entreprise se finance sur la réalisation de centres d’affaires, de complexes commerciaux et de quartiers d’habitations centrés sur les gares, confortant ainsi le rôle structurant du réseau de métro dans l’organisation de la croissance urbaine et des gares comme pôles d’activités de premier ordre. L’opérateur de transports publics est ainsi un acteur essentiel de l’urbanisme.

     À l’intérieur des bâtiments, qui atteignent régulièrement plusieurs dizaines d’étages, les flux sont orchestrés par les ascenseurs, parfois très rapides (l’ascenseur de l’International Commerce Centre « grimpe » ainsi 100 étages en une minute). Fréquemment, un ascenseur est réservé aux étages pairs et un autre aux étages impairs. Cependant, l’attente peut parfois atteindre plusieurs minutes, surtout à la pause déjeuner ou en fin de journée, d’où l’attention portée à l’aménagement des sas d’ascenseurs.
     L’omniprésence de passerelles suspendues au-dessus des obstacles urbains que constituent les voies routières fa- Crédit photographique: Pauline Body cilite grandement les déplacements piétonniers et permet de circuler en toute sécurité. Grâce à ce réseau de voies aériennes, il est même possible de passer de bâtiment en bâtiment sans redescendre au niveau de la rue, en surplombant la circulation motorisée, notamment dans le quartier de Central, ce qui accentue encore l’impression d’une ville en constante agitation mais néanmoins fluide.
     En ville, les mobilités rappellent l’ancienne présence anglaise. Les voitures circulent à gauche, on l’a dit, mais également les piétons… Dans les couloirs du métro par exemple, les flux sont guidés par des flèches au sol et une ligne continue à ne pas franchir, facilitant là encore un transit quotidien massif. Le quartier de Central a pour sa part conservé un pittoresque tramway à étage circulant entre immeubles dans un quartier de bureaux aux allures de City londonienne renvoyant l’image d’une ville occidentale.

     Le quartier de Mong Kok reflète plutôt le côté oriental, avec le grouillement de vie et la présence d’étals de rue colorés et odorants. Hong Kong dans son ensemble est caractérisée par ce mélange entre l’Orient et l’Occident, par une diversité d’ambiances, de styles architecturaux, de populations, de paysages.
     Ville portuaire, puis espace de sous-traitance textile et de développement de l’industrie dans les années 1960, avant de devenir une place financière incontournable, Hong Kong est un territoire de mixité où différentes populations se côtoient. Pendant longtemps, le territoire a connu une forte immigration. En 1996, seulement 60 % des résidents de Hong Kong y étaient nés. Depuis la rétrocession, de nombreux Chinois « continentaux » (entendre: de Chine populaire) sont venus s’installer dans la ville mais également des migrants en provenance de Taïwan ou des Philippines. Aujourd’hui l’immigration du grand voisin est davantage contrôlée pour protéger le niveau de vie et l’emploi. En 2001, les autorités de Hong Kong estimaient que 95 % des habitants étaient d’origine chinoise, bien devant les Philippins (2,1 %) et les Indonésiens (0,8 %) qui forment le personnel de service et de maison. Cette domesticité logée chez l’habitant en semaine, massivement féminine mais aussi familiale, se déploie le dimanche dans les parcs et les gares, pique-niquant et s’ébattant pour son unique jour de congé.

     L’autre communauté étrangère visible est celle des nombreux expatriés pour raisons professionnelles du fait de la présence de nombreux sièges sociaux d’entreprise ou de quartiers généraux asiatiques de firmes extérieures. Fin 2011, la population d’« expats » français était par exemple estimée à plus de 10 000 personnes, soit l’une des nationalités les plus importantes derrière les communautés britannique et portugaise, explicables par des raisons historiques.
     Quant à la bourgeoisie venue de Chine populaire, elle peuple, si l’on peut dire, les immenses et rutilants centres commerciaux où s’étale le luxe des grandes marques occidentales. L’absence de taxe sur les produits importés attire en nombre les acheteurs des nouvelles classes supérieures chinoises, donnant à certains axes commerciaux somptueux des allures d’Oxford Street asiatique.
     Cela témoigne de l’attractivité de Hong Kong. La remarquable maîtrise des circulations démontre pour sa part l’excellente organisation du système de déplacements urbains, malgré (ou grâce à) l’exceptionnelle densité du bâti, qui garantit aussi la préservation d’espaces verts voués à la détente et au recueillement. Densité, verticalité, fluidité, spiritualité et naturalité: ainsi pourrait-on caractériser une ville riche en paradoxes. Ça fourmille de partout au milieu de la masse des gratte-ciels, la vie est trépidante, mais ça fonctionne!