« Fallait-il planter des ajoncs à la Courrouze ? Moi, si on m’avait demandé ! Ca prolifère tout seul et ça pique. » Extrait d’une intervention d’une nouvelle habitante sur le site internet Causes Communes. Ce « moi, si on m’avait demandé. » résonne comme une métaphore de la consultation des habitants sur l’évolution de la cité. Cette phrase a guidé le montage d’un texte et d’une performance commandés par Rennes Métropole pour l’événement Vivacité en octobre 2012. Il s’agissait de mettre en voix et en espace des paroles d’habitants récoltées sur le site internet ainsi qu’à partir des verbatim des réunions organisées dans différentes communes de l’agglomération.
La question posée concernait principalement la densification de l’habitat. « Faut-il 30 000 habitants de plus ? » Tout en acceptant l’inévitable, les participants expriment des craintes quant à l’avenir et l’évolution de la ville. On a peur de perdre en qualité de vie, peur de la dégradation des relations humaines. Ce qui m’a frappé, ce sont les réactions, parfois virulentes, sur l’objet même de ces réunions : la consultation des habitants et le recueil des avis et propositions, réactions que l’on peut résumer ainsi : « ce sont toujours les mêmes qui participent et cela ne sert à rien car les décisions sont déjà prises par les élus et pire par les techniciens. » Beaucoup considèrent ces réunions de consultations comme n’étant que des réunions de transmission d’informations.
Sur le mode « on doit être écoutés », les habitants expriment une forte demande de participation aux décisions sur les questions de logement, de transport, de culture. Mais en même temps, ils affichent leur scepticisme quant à la réalité et à l’efficacité de la démocratie participative. « On a voté pour une majorité pour qu’elle applique son programme. Si ça va mal, c’est parce qu’on ne nous écoute pas. Si on nous consulte, c’est pour nous endormir, pour mieux faire passer la pilule ! »
Si beaucoup d’interventions ne sont pas dénuées d’humour, il ressort de l’ensemble une certaine gravité. Ces personnes ont participé aux différentes réunions avec sincérité. C’est pour cette raison qu’elles méritent d’être écoutées et entendues même si, comme les ajoncs, ça pique. Écouter, rapporter, c’est ce que nous avons tenté au cours de cette performance. Rester drôle, sans cynisme ni dérision.
Voici quelques extraits du texte joué lors de Viva-cités1
1) Texte joué par Eric Antoine, Massimo Dean, Suzanne Héleine, Cécile Kiffer, Alice Millet.
Massimo - Nous sommes ensemble car nous voulons connaître ce que vous pensez, votre opinion personnelle, tout ce que vous avez à dire sur les sujets dont on va parler. On va faire un petit tour de table pour que vous puissiez dire qui vous êtes. On va mettre, nom, prénom, ce que vous avez envie de dire, là où vous habitez, par exemple Rennes ou ailleurs, votre fonction éventuellement, cela peut-être important pour les autres qu’ils sachent si vous êtes élus ou pas élus ou techniciens, etc. ou habitants. Éventuellement votre profession. Voilà.
Alice - Nous sommes venus à Saint-Erblon, je ne comprends pas tout ce que vous avez dit mais… nous sommes venus à Saint-Erblon pour des raisons économiques, pas très loin de la ville où les terrains n’étaient pas très chers. Tous les anciens bâtiments, les anciens matériaux, la brique, la pierre font une harmonie de couleurs. On a une grande facilité de vie, beaucoup de verdure, des transports en commun, beaucoup d’équipements sportifs. Saint-Erblon a gardé son âme d’autrefois, avec la ferme du bourg qui a été restaurée, son vieux puits.
On avait beaucoup de petits commerces en 73, trois épiceries, trois boucheries. On a perdu tout ça, cette convivialité autour des petits commerces où tout le monde discutait, se disait bonjour. En dehors du bourg, il n’existait pas grand-chose. Le premier lotissement, c’étaient des gens qui travaillaient à Citroën. En fait, à part les ouvriers de Citroën, on arrivait à Saint-Erblon à peu près par hasard, en fonction des terrains qui étaient disponibles. Nous n’avions pas de téléphone. Lorsqu’il y avait un coup de téléphone, on était obligé d’aller chez Simone, au Grand Bazar. Elle était gentille parce qu’elle venait nous avertir, ce qui fait que la personne qui appelait attendait longtemps. Mais vous savez l’attente, c’est la moitié du plaisir. L’arrivée de la télévision a cassé un petit peu les relations.
Massimo - La télévision, ce n’est pas le sujet. Roland, est-ce que vous pouvez remettre le sujet au centre?
Eric - Ah bien. Donc, nous sommes en 2025, j’ai 70 ans et je m’appelle Patrick. Comment imaginer l’avenir au niveau de nos préoccupations. Les personnes âgées, 80 et plus, l’emploi, la crise énergétique, comment on pourra se déplacer ? La préservation de la biodiversité, la crise, la baisse des services publics… J’oubliais le logement. Sur le logement, j’ai fait le constat, il y a une difficulté à se loger à cause du coût. Une idée que j’ai eue…
Massimo - Oui
Eric - Si on construisait 5 000 logements alors qu’il en faut 4500 ?
Massimo - Oui
Eric - Au lieu d’en construire 4 000 comme aujourd’hui.
Massimo - Et alors Eric - Ben et alors, on aurait forcément une baisse. Massimo - Oui
Eric - Forcément, si on a plus de logements que les besoins.
Massimo - Mais on pourrait maintenant se demander : faut-il accueillir 30 000 habitants de plus ?
Alice - J’ai comme l’impression que la réponse est dans la question.
Massimo - Cécile, faut-il accueillir 30 000 habitants de plus ?
Cécile – Non. La ville de Rennes agréable que j’ai connu lorsque j’ai décidé de m’y installer il y a vingt ans n’existe quasiment plus. Partout dans la ville, je constate des démolitions de maisons pour être remplacées par des immeubles, moches en général. Tout cela pourquoi : pour accueillir plus d’habitants, densifier, organiser, dicter, imposer. Cela génère de nombreux problèmes. Comment en effet imaginer que l’ont puisse concilier les aspirations d’une personne âgée couchée à 21 h avec celle d’un jeune adulte ou d’un adolescent couché à 3 h du matin ? Donc là, à la question très orientée : faut-il favoriser la mixité des générations et la mixité sociale, je réponds malheureusement non. De toute façon, ce n’est pas d’imposer à tel ou tel groupe de personnes de vivre ensemble. Naturellement, les personnes qui ont des intérêts communs ont tendance à se regrouper, quelles que soient les politiques mise en oeuvre. Accueillir 30 000 habitants de plus ? Pourquoi faire ? Est-ce pour assurer des subventions supplémentaires ? Faut-il encore que nous nous tassions ?
Suzanne - Je ne suis pas d’accord avec vous, Patrick, lorsque vous affirmez que la vie se dégrade à Rennes. Les villes qui densifient leur habitat sont dynamiques aujourd’hui.
Alice - Il ne faut pas maîtriser l’étalement urbain, il faut l’arrêter. C’est tout.
Eric - J’espère que la question posée ne nous prépare pas psychologiquement à un développement anarchique, à la laideur et au mal vivre qui caractérisent tant de grande ville et dont Rennes Métropole s’est jusque là remarquablement sortie.
Alice - Je pense surtout à cette injustice majeure qui veut que quand on a du fric, on peut avoir un terrain en se foutant totalement de l’agriculture durable ; Quand on n’en a pas, on se contente de quatre murs. Et c’est là que j’attends nos amis architectes !
Cécile - Je pense que la question ne se pose pas mais tous ceux qui trouvent absurde la volonté que la population augmente se font traiter de réactionnaires. Alors ?
Alice - Ce sont d’ailleurs les plus pauvres qui souffrent de cette convivialité qui s’effiloche peu à peu à Rennes. Quand je vois les quartiers qui se transforment actuellement à Rennes cela me rend plutôt triste, en tout cas pas fier du tout de notre ville.
Suzanne - Je suis à Rennes depuis ma naissance et je suis restée dans cette ville. Je suis restée parce que Rennes est une belle ville, accueillante et chaleureuse. Il y aura 30 000 habitants de plus, eh bien, tant mieux ! La mixité se passe bien. Le seul mal-poli de mon immeuble est de ma génération.
Massimo - C’est le concept du mieux vivre ensemble voire du vivre en intelligence !
Eric - La métropole aspire les habitants des territoires alentours pour son seul projet politique cocasse inspiré de la grenouille qui voulait devenir plus grosse que le boeuf. Au motif d’éviter l’étalement urbain, les élus racontent de grosses histoires. Allez demain, on rase gratis. Taratata.
Massimo - À vous entendre, que de craintes ! Mais vous ne voyez pas que vous êtes déjà trop nombreux. Encore un effort. Rêvez que Rennes soit un bourg, perde ses étudiants bruyants, ses voisins inconnus, ses services pour les autres. Rêvez de soirées calmes, de rue désertes, de vieux entre eux et de bourgeois calfeutrés. Rêvez donc à l’abri de la frontière de vos souvenirs et de vos peurs !
Eric - Mon impression générale par rapport aux méthodes quelque peu grossières de la ville quant à la mise en place de ces projets de densification de la population, est d’être simplement pris pour un imbécile. Que demander l’avis de la population une fois que les projets sont en cours permet juste de faire passer la pilule aux personnes qui ne sont pas directement touchées par les expropriations et autres bétonnages à outrance. Je pense moi qu’il y aurait des moyens très simples pour agir en faveur de la qualité de la vie.
Massimo - Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par moyens très simples pour agir en faveur de la qualité de la vie ? Et ces moyens très simples sont-ils souhaités par tous ?
Alice - Je suis tout à fait d’accord avec les très nombreuses interventions dans ce débat mais en est-ce vraiment un ou les choses ne sont-elles pas déjà écrites et on nous fait croire qu’on participe à des choix. Personnellement je me méfie énormément de la démocratie participative, je préfère la vraie démocratie, avec bulletin de vote en bonne et due forme.
Massimo - Les vraies questions à se poser sont celleslà. Que veut-on ? Que devons-nous privilégier pour nous mais surtout pour les générations à venir ?
Eric - La politique de la ville est déjà pensée alors pourquoi faire croire que notre avis change quelque chose ; comment fait-on ? Ca me fait bien rire. Moi, je paie le métro, mes enfants paient le métro, ma femme paie le métro. Je ne l’utilise jamais, je ne suis jamais dans le métro.
Cécile - Moi, par exemple avec mon mari, nous avons pu aménager en accession aidée à La Courrouze alors que nos revenus très faibles ne nous laissaient aucun espoir dans la commune ; logement écologique économique, immeubles hauts mais avec balcon, entourés de verdure. Le bonheur. Bien sûr comme beaucoup, j’aurais rêvé d’une maison avec jardin. J’espère que les espaces verts de La Courrouze ne seront pas remplacés par des tours. Ce serait horrible pour moi qui ait tant besoin de verdure. C’est bien aussi d’utiliser des espèces locales pour les espaces verts. Oui, c’est bien. Mais fallait-il vraiment planter des ajoncs partout ? Ca prolifère tout seul et ça pique. Moi si on m’avait demandé…
Massimo – Informés, voilà. C’est bien. Et puis qu’est-ce qu’ils souhaitent les habitants de Rennes en 2062 ?
Cécile - Ils souhaitent que ça dure.
Suzanne - Ils souhaitent partager avec Nantes
Eric - Peut-être de développer ça à d’autres villes, d’être un modèle : ils parraineraient d’autres villes dans d’autres pays moins avancés, entre guillemets.
Cécile - On écoute l’avis des populations, leur avis est pris en considération. On va sonder les habitants. Il y a des jurys de citoyens. Avec une éducation au préalable des citoyens sur les finances publiques ou autres. Que tout le monde se sente concerné par le problème parce que participer aux réunions sans rien comprendre, ça sert à rien.
Massimo - Quoi retenir d’essentiel ? Plus transparent. Mieux informer. Essayer de faire de la pédagogie. La « Cité des idées », « Vivre en Intelligence ».
Alice - Qu’il y ait un accès aux débats sur un dossier d’environnement, même si on ne comprend rien, on peut avoir accès à un résumé plus pédagogique. Que ce soit très abordable et pas dans un jargon des spécialistes, comme vous.
Eric - Qu’il y ait des lieux où se rassemblent les citoyens pour débattre et pas forcément que pour des gens de la Métropole mais aussi pour l’extérieur, comme avec des spécialistes de certains domaines comme vous.
Suzanne - Qu’il y ait un thème sur une soirée, et que le public puisse interagir en prenant la place des acteurs pour proposer des réponses différentes aux problèmes.
Massimo - Donc comment seraient prises les décisions dans ce scénario idéal ? Par qui ?
Suzanne - Par les élus quand même.
Cécile - Par les citoyens.
Suzanne - Mais toujours en concertation.
Eric - Par les systèmes d’Internet et autre, qu’on puisse avoir accès à des informations sur un thème et qu’au bout d’un certain temps, on nous mette la question ou le vote pour donner son avis.
Massimo - Combien y aura-t-il de communes en 2062 ?
Alice - Plus qu’une seule.
Cécile - Oui, Rennes Métropole et on n’en parle plus.
Alice - Une seule commune et un maire pour tout le monde, ce serait pas mal. Une politique globale.
Cécile - C’est ça, il y a une élection pour un seul maire. Massimo - Oui, mais vous croyez que c’est vraiment bien ça ? Parce que ça veut dire que…
Alice - Ca fait beaucoup de pouvoir pour un seul homme…
Cécile - Déjà, il n’a pas le pouvoir aujourd’hui ! Ou alors c’est le préfet qui dirigera la ville.
Alice - Je suis un petit peu en train de me dire, quelle sera la place de l’humain là-dedans ? J’ai pas l’intention de vivre dans une fourmilière. Et puis, moi, ce qui m’inquiète le plus et aussi ce qui me pose problème, c’est la concertation, c’est-à-dire le manque de concertation qu’il y a aujourd’hui. Alors, il y a soi-disant une concertation qui est faite, soi-disant ; c’est-à-dire qu’on organise des rencontres, des machins, des trucs, mais la concertation, elle est pas franchement démocratique.
Massimo - Vous voulez peut-être dire que c’est pour la façade ?
Alice - Oui c’est un peu pour la façade, peut-être ? Moi, j’y crois pas trop, parce que… enfin oui… On endort bien l’opinion, justement en lui faisant croire qu’on est à l’écoute, alors qu’en fait… Mais des fois, ils sont de bonne foi, attention… C’est-à-dire que l’élu lui-même, il est persuadé que ce qu’il fait, c’est ça qu’il faut faire. Sauf qu’il est déjà blousé, ailleurs, par l’administration. Le technicien qui manipule l’élu, tu vois. Et puis, tu fais des groupes de travail, mais tu t’aperçois que ce sont toujours les mêmes qui sont là, et que de toute façon, que tu aies des avis, de toute façon, la décision est déjà prise, partiellement des fois complètement et on veut te faire acquiescer sur la décision qui a déjà été prise.
Massimo – Madame, vous dénoncez la démocratie participative.
Eric - J’ai la trouille de l’expansion sans limite des villes. Moi, l’idée d’une ville qui serait toujours en extension comme ça, ça m’angoisse terriblement. Parce que ce serait forcément au détriment de l’humain. Si en 2062, c’est le cauchemar, c’est qu’on ne nous aura pas écouté. On n’a rien décidé du tout et ils l’ont fait.
Cécile - Je pense que Rennes garderait son identité si elle pouvait rester comme elle est. Je ne comprends pas, si vous pouvez m’éclairer, je ne comprends pas que la ville n’a vu aucun nouvel habitant depuis 1999. Ça pousse partout. On démolit et on met les vieux dehors. Est-ce que ça veut dire que ceux qui s’installent sont seuls ? Est-ce que ce débat ne masque pas les dégâts ?
Suzanne - Nous avons la grande chance d’habiter une ville où, grâce à l’action, il me semble, de deux équipes municipales restées très longtemps en place il existe encore des terres agricoles proches de l’agglomération. Il faut favoriser l’habitat collectif et lutter contre l’idéal Ricoré. Nous bénéficions d’une super qualité de vie. Non ?
Eric - Pourra-t-on m’expliquer un jour pourquoi il faut à tout prix grossir pour être heureux. Je pensais que la politique consistait tout simplement à rendre les gens heureux, pas leur dire comment être heureux. Méditez ça si vous…
Massimo - A vous entendre, si je comprends bien, il ne faudrait pas grossir. Souhaitez-vous que Rennes demeure comme en 1975 avec une population pour l’agglo de 275000 habitants. Je suis d’accord, il faut maîtriser le développement. Faut-il pour autant figer la ville ? (…)