Les villes s’écologisent. Elles ont soif d’équilibre et d’harmonie, donc de nature. Naguère, on faisait table rase avant de construire de l’urbain, en quelque sorte du béton sur du bitume. Désormais, le bâti devenu timide s’invite sur la pointe des pieds dans l’espace dit naturel. En quelques décennies, changement total de perspective sous la poussée du souci environnementaliste et du désir citadin de retrouver le « paradis perdu » du village verdoyant.
Rien de ce qui fait Rennes n’échappe à l’air du temps, cette ville démontrant même dans maints domaines une certaine vertu d’anticipation, sinon de modèle. Donc à Rennes il y a de la nature. Et il y en aura de plus en plus. Ce qui n’empêche pas de densifier la cité, bien au contraire, plaident les pilotes de l’agglomération. Les projets abondent et leur conjonction a incité Place Publique à y regarder de plus près, notamment pour cerner la philosophie des nombreux acteurs de ce verdoiement tous azimuts.
Il s’agit d’abord de tordre le cou à un lieu commun ânonné sans réflexion: Rennes est une ville « minérale », entend-on à l’envi. On confond la partie: l’hyper-centre historique par définition peu favorable au végétal, et le tout, c’est-à-dire la ville. Il suffit d’arpenter les rues ou de regarder un plan de ville pour réaliser à quel point les parcs s’y offrent généreusement. Thabor, Maurepas, Oberthür, Gayeulles, Landry, Tanneurs, Brequigny, Sibiu, Hautes-Ourmes, Beauregard. Sans parler des squares qu’on ne cesse de découvrir au gré des balades. Et puis ces chiffres : 850 ha de parcs et 130000 arbres « publics »
Chacun des parcs témoigne d’une époque et d’une envie sociale. La présence à Rennes des pelouses et des arbres ne date pas d’hier. Dans ce numéro, l’historien des jardins Louis- Michel Nourry raconte l’évolution des « espaces nature », longtemps limités aux terrains vagues s’étalant au pied des remparts (voir p. 45). Puis fin 17e siècle, est arrivé le fameux Mail qui, ensuite miné par la voiture, est en train de retrouver sa vocation de promenade « champêtre », beau symbole de la ville qui se fait et se défait sans cesse.
S’il est un emblème de la nature à Rennes, c’est bien le majestueux Jardin du Thabor. Très daté « Second Empire », il se pose, selon L.M. Nourry, comme un « espace d’ostentation » : un lieu mis en scène et organisé comme un théâtre où le bourgeois vient se faire admirer. Ce vieux Thabor apparaît bien loin, et c’est tout son charme, des conceptions plus « sauvages » qui ont cours aujourd’hui. Mais son côté hyper-domestiqué ne l’empêche pas d’être réservoir botanique essaimant dans les espaces naturels de la ville. Ainsi ses graines d’ancolie sont-elles dispersées à la lisière des bois urbains (voir p. 42).
Les parcs aussi libres soient-il circonscrivent la nature dans un enclos réservé. Pourtant, ils n’ont pas le monopole de la nature. Dans la ville qui se conçoit aujourd’hui, la nature est partout, elle s’immisce dans les lotissements et les quartiers, on la trouve à chaque pas. C’est le fruit d’une politique volontariste, d’un urbanisme qui, assez tôt, s’est préoccupé d’espaces naturels. La Zac des Longs-Champs à la fin des années quatre-vingt ou encore l’aménagement des rives de la Vilaine à la Mabilais, témoignent de cette imbrication de la nature dans l’habitat. Dans les nouveaux quartiers construits (Courrouze, Beauregard…) une attention particulière est portée à l’eau, au réseau hydraulique, à la gestion des eaux pluviales, tout cela produisant des espaces d’agrément avec noues et roselières. La « trame verte et bleue » est devenue l’obsession des décideurs rennais (voir p. 7).
Pour comprendre, il faut sortir de la ville. Rennes, est inséparable de l’aire métropolitaine. La fameuse notion de ville-archipel, à savoir refus de la banlieurisation et respect d’une ceinture verte autour des petites cités périphériques, est une marque rennaise maintenue avec entêtement. Elle incarne depuis vingt ou trente ans ce désir de faire dialoguer la nature avec la ville. Le paysagiste Ronan Désormeaux actif depuis le début sur la métropole montre (voir p. 15) à quel point notre « ville-territoire multipolaire » est devenue une culture collective. Règle désormais admise et incontournable: « on installe l’urbanisation sur un site en utilisant les tracés anciens, les parcellaires, les haies et les fossés; on dialogue avec les formes du relief et on minimise les terrassements. » Entre la ville et la nature, la « porosité » voulue par tous est désormais acquise.
Cette porosité est à l’oeuvre dans tous les projets actuels. À part les Prairies Saint-Martin qui seront restituées à leur destin aquatique (voir p. 25), nous avons retenu ici deux programmes urbains remarquables par leur ampleur et leur originalité.
D’abord l’opération urbaine de renouveau du Blosne qui consiste, tout en ajoutant de nouveaux logements au quartier, à magnifier ses espaces publics actuels en les reliant entre eux, constituant ainsi au coeur même de la ville un « parc en réseau » de plusieurs kilomètres de long. Au fond, ce ne sera plus un quartier d’immeubles entourés de vastes espaces un peu morts comme aujourd’hui, ce sera un grand parc à l’intérieur duquel se nicheront les habitations. Cette petite révolution copernicienne s’appuie aussi sur une démarche participative impliquant les habitants (voir p. 19).
Autre grand projet : ViaSilva, cette ville de 40000 habitants sur une vaste zone vierge aux confins est de Rennes, au bout de la future ligne B du métro. « Vierge » n’est pas le mot approprié: c’est aujourd’hui un territoire rural, avec ses fermes, ses habitants, ses routes et ses haies. Bref, la campagne. L’écocité que l’agence Devillers est en train d’esquisser se veut exemplaire (voir p.29). On ne parle pas de « porosité », on parle ici de « symbiose » entre ville et nature. Le projet urbain se propose de révéler la nature existante en s’appuyant sur son armature : les fermes et chemins creux seront conservés. Les espaces boisés deviendront parc. Le circuit de l’eau sera particulièrement travaillé, les parties basses deviendront des étangs. Les parties hautes des belvédères. L’idée de couloir ou de coulée verte s’inscrit au coeur du projet. La forêt de Rennes à quelques kilomètres de là sera mise en continuité avec le quartier et avec la Vilaine qui coule en contrebas de ViaSilva.
C’est une évidence, mettre de la nature dans la ville, ce n’est pas seulement pour faire joli ou offrir aux habitants un décor flatteur, cela répond aussi à l’objectif de maintenir la biodiversité. Rennes fut, il y a dix ans, pionnière dans la recherche sur la biodiversité urbaine. L’écologue Philippe Clergeau explique (voir p. 25) à quel point cette dernière est devenue un enjeu pour les villes. Chercher la diversité des végétaux locaux est un gage de stabilité et de résistance aux maladies.
Ce ne sont pas les jardiniers amateurs qui diront le contraire. À l’heure où la fermeture des jardins de Baud-Chardonnet et des Prairies Saint-Martin fait débat, nous avons rencontré quelques jardiniers qui disent le bonheur qu’ils éprouvent à cultiver leur carré et à produire leurs légumes (voir p. 55). La nature, c’est aussi du lien social. Pas étonnant que des Rennais développent aujourd’hui l’expérience des « jardins partagés » ou des « jardins échangés » (voir p. 53)
Retenons au bout du compte, davantage que son intérêt esthétique, biologique ou écologique, la fonction humanisante de la nature. Elle est cette musique dont la ville a besoin pour adoucir ses moeurs. Elle met tout le monde d’accord. Sa croissance semble aujourd’hui irréversible.