Les inégalités face à la santé sont toujours là. Elles auraient même tendance à s’accroître. Longtemps on ne parlait que des inégalités sociales. Selon que vous serez puissant ou misérable… Bonne et mauvaise santé sont évidemment liées aux moyens financiers dont on dispose pour se soigner, aux conditions de travail, au niveau d’éducation. Mais il ne faudrait pas oublier un autre type de discrimination qui est géographique. Selon que vous habiterez ici ou là… Comme le rappellent en ouvrant notre dossier, Emmanuel Vigneron et Sandrine Haas, la République française a longtemps gommé ses différences territoriales, tellement elle se voulait une et indivisible.
Géographe, Emmanuel Vigneron produit des cartes précises qui démontrent la réalité du phénomène. Selon lui, « les inégalités territoriales de santé ont cessé de reculer en France depuis la fin des années 1990. » Ce constat alarmant, il le présentera une nouvelle fois les 22 et 23 novembre prochain à Rennes à l’occasion du colloque Santé et Territoire qu’y organisent la Maison des sciences de l’homme en Bretagne et la Maison des sciences de l’homme Ange-Guépin à Nantes en partenariat avec les revues Place Publique de Nantes et de Rennes1.
Parmi les facteurs d’inégalité, les dépassements d’honoraires, très variables d’une région à l’autre, jouent aussi leur rôle. Comment se fait-il que le taux de dépassement des gynécologues varie du simple au triple entre la Bretagne et l’Alsace, s’interroge ici le conseiller d’État Denis Piveteau. Bien que notre système d’assurance maladie soit « réellement un des plus généreux d’Europe », il en arrive à produire des iniquités, est-il obligé de constater.
Le coût d’accès aux soins est-il aggravé par les cliniques privées, dont le poids via les fonds d’investissement va croissant notamment dans l’Ouest? Nathalie Destais, de l’Inspection générale de la santé, auteur d’un rapport récent sur cette question, a une réponse nuancée : pour des raisons stratégiques, les cliniques ont un profil que se rapproche de plus en plus de l’hôpital public.
En parlant d’inégalité, impossible de faire l’impasse sur les disparités de nature environnementale, à la présence ici et là d’éléments toxiques et morbides. En Bretagne, la question de l’eau reste majeure. La pollution par les nitrates d’origine agricole mobilise toute une série d’acteurs. Mais ils ne parviennent pas pour l’instant à juguler le phénomène des algues vertes, ces dernières étant passées récemment du statut de simple nuisance à celui de vrai danger pour la santé, à la suite de la mort d’animaux (cheval et sangliers). Sur les interrogations, les perceptions, l’évolution des normes, quatre universitaires : Emmanuelle Hellier, Nathalie Hervé-Fournereau, Nadia Dupont et Elisabeth Michel- Guillou donnent ici leur analyse.
Ces dernières années, le débat sur les inégalités de santé a eu tendance à se focaliser sur la question des « déserts médicaux ». Médecins de campagne non remplacés quand ils partent en retraite, difficulté à susciter des vocations, le dossier est lourd. On a incité financièrement les jeunes à s’installer, mais sans succès. Alors, la solution des Maisons de santé « pluri-professionnelles » est devenue la panacée. Une petite révolution, selon Daniel Coutant, chargé de mission à Harmonie Santé, à condition de ne pas oublier l’usager.
Le « désert » n’est pas que rural. La menace pèse aussi sur les villes. Dans le quartier populaire de Villejean à Rennes, les médecins militants de l’après 68 s’apprêtent à raccrocher sans successeurs, eux aussi. Sauf qu’une dynamique collective est en train de naître au sein d’une association réunissant plusieurs acteurs de la santé. Pour les médecins pionniers, c’est tout le rêve communautaire des années 70 durant lesquelles un projet de Maison de santé avait échoué qui refait surface. À l’autre bout de la ville, dans le quartier du Gast, soumis aux mêmes difficultés, une Maison de santé et un Pôle santé viennent déjà de se mettre en place.
Est-ce vraiment la solution ? Christian Saout, président du Collectif inter-associatif sur la santé, estime dans l’interview qu’il nous donne que ces expériences sont encore « trop timides » et qu’elle peuvent en campagne éloigner le patient du médecin, géographiquement parlant.
Autre type d’expérience dont Place Publique rend compte dans ce dossier : une rechercheaction dans le port de Nantes-Saint-Nazaire. Depuis vingt ans, un docker sur trois y est victime d’une maladie grave, indique la sociologue Véronique Daubas-Letourneux. Un programme s’est mis en place pour traquer et réduire les sources, souvent chimiques, des cancers constatés.
La santé n’est pas que l’affaire des acteurs de terrain. Elle concerne au plus point le politique. Quatre personnalités de l’Ouest ayant eu ou ayant toujours des responsabilités dans les politiques de santé ont répondu à nos questions sur les inégalités de santé : Edmond Hervé, Claude Évin, Élisabeth Hubert et Jean-Luc Harousseau se rejoignent sur le diagnostic sinon sur les remèdes.
Enfin, la ministre de la Santé, Marisol Touraine dans l’interview qu’elle nous a accordé sur le même thème déclare : « Réduire les inégalités sociales et territoriales de santé est la priorité de la politique que je conduis ». Des leviers existent, affirme-t-elle. Mais les restrictions budgétaires permettront-elles de les actionner?