L'éditorial

     Pourquoi mettre un « s » à « féminismes » ainsi que nous le faisons dans le titre de ce dossier. « Parce que le féminisme d’aujourd’hui est bel et bien pluriel », constatent Lydie Porée et Patricia Godard dans l’Abécédaire qu’elles ont rédigé pour ce numéro.
    D’une part le combat des femmes revêt des expressions multiples, d’autre part ses mots d’ordre jadis bien identifiés (contraception, avortement) ont fait place à un ensemble de motions plus diffuses. Le paysage des luttes s’est « sécularisé », le radicalisme même le plus spectaculaire peine à s’imposer devant les approches « soft » d’une cause des femmes devenue largement consensuelle, du moins en apparence.
    La pluralité du féminisme actuel se traduit même par une dérangeante discorde autour de certains thèmes. On le sait, la question de la prostitution ou celle du port du voile par exemple, divise les féministes. Certaines se positionnent en faveur du voile tandis que d’autres prônent son interdiction, dans les deux cas au nom du féminisme, c’est-à-dire au nom d’une même aspiration à disposer librement de son corps. La table-ronde que nous avons organisée avec six femmes dont une musulmane féministe portant le foulard témoigne de ces désaccords ou du moins de ces discussions sans issue visible.
    Mais attention, le constat de la pluralité du féminisme étant fait, il ne faudrait pas qu’il masque le dénominateur commun qui fait la force d’un combat toujours actuel. Si l’on chasse les détails, le mouvement se rassemble toujours autour d’un mot d’ordre limpide et partagé : «l’égalité entre les femmes et les hommes ». Point à la ligne, a-t-on envie de dire. Au passage, on relève qu’en quarante ans, la sensibilité a migré. Nous sommes passés de la liberté à l’égalité (même si les deux sont liés). Le slogan de « libération des femmes » est moins présent aujourd’hui que celui d’égalité.
    Cette égalité est évaluable, elle appartient au monde du concret et de l’action. C’est pourquoi nous nous attardons dans ce dossier sur la politique mise en oeuvre à Rennes en faveur de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes. Qualifiée d’exemplaire, saluée par de nombreux trophées, cette démarche institutionnelle est directement issue du militantisme associatif des années 70 (voir l’article de Catherine Guy sur les combats de ces années-là). Très vite, la municipalité Hervé a voulu convertir en acte au sein du personnel de la Ville le besoin de justice exprimé par les femmes. Annie Junter, universitaire et figure de premier plan de cette aventure, rappelle ici de quelle conjonction procède cette action: accord entre une chercheuse, une élue (Anne Cogné) et une cadre de la ville. Elle n’hésite pas à dire que la démarche rennaise fut et est « un laboratoire vivant du savoir féministe qui se construit pas à pas, entre essai et erreur, à partir du mélange entre science, conscience et action ». L’action se joue aussi hors-institution au sein de multiples mouvements féminins très agissant dans la ville. Ce que redoutent les féministes, c’est l’illusion que l’affaire est close, que ce qui devrait être conquis est désormais accompli. « La croyance selon laquelle l’égalité existe et qu’il n’y a plus de raisons de se battre freine notre combat », nous dit Marianne Marty-Stephan, de l’association Mix- Cité. Pour toutes, le féminisme n’est pas mort.