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Histoire & Patrimoine
#18
8 novembre 1956, la mise à sac du journal communiste
RÉSUMÉ > La vie des Rennais à travers une photo d’archive. Tel est l’objet de cette rubrique lancée dans notre précédent numéro avec une image des explosions du 4 août 1944 dans le centre-ville. Nous voici, le 8 novembre 1956, un autre moment de turbulence celui des manifestations anticommunistes contre la répression par l’Armée Rouge de la révolte de Budapest. Le local du PCF et celui du quotidien Ouest-Matin furent mis à sac.

     Le jeudi 8 novembre 1956, la ville de Rennes connaît une manifestation particulièrement agitée dans le contexte de la répression sanglante, alors en cours, de la révolte hongroise par les forces de l’Armée Rouge. À l’unisson d’une protestation qui traverse alors tout le pays, cette manifestation a été appelée, peu de temps auparavant, par un large éventail de forces politiques et syndicales, à l’exception évidemment du PCF et de la CGT, pour rendre hommage à tous les Hongrois morts pour la liberté.

C’est après le dépôt de couronnes de fleurs au Panthéon rennais, place de l’Hôtel de ville, et des discours de solidarité et de compassion en faveur du peuple hongrois que des troubles vont se produire. Une petite partie des 15 000 manifestants, des jeunes pour la plupart, essentiellement des étudiants, se dirigent, en effet, aux cris de « Au PC » vers les locaux du Parti, rue des Dames, et vers ceux du quotidien Ouest-Matin, journal communiste à diffusion régionale, malgré les appels au calme des organisateurs. À cette date, l’anticommunisme est à son comble. Outre la profonde indignation provoquée par la violence de la répression, outre le rejet de l’attitude du PCF qui se solidarise avec la politique soviétique en dénonçant l’insurrection « fasciste et réactionnaire », un certain nombre de militants de droite et d’extrême droite rêvent d’en découdre avec le Parti communiste.
Déjà, à Paris, la veille, des manifestants avaient tenté d’incendier le siège du PC et l’immeuble de L’Humanité. De violents heurts avaient eu lieu entre manifestants et contre-manifestants puis avec les forces de police faisant un mort et de nombreux blessés.

C’est la mise à sac des locaux d’Ouest-Matin, situés à l’angle de la place Rallier-du-Baty et de la place Saint- Michel, que donne à voir cette photo, prise par un photographe resté anonyme. Si le quotidien a cessé de paraître le 14 juin de la même année, les locaux sont toujours occupés par l’Imprimerie commerciale, propriété du PCF, et tout le matériel et les archives du journal y sont encore entreposés. Par ailleurs, l’une des façades, située sur la place Saint-Michel, et non visible ici, porte l’enseigne du journal, bien connu des Rennais puisque sa création date de 1945. Autant d’éléments qui en font une cible de choix pour ces manifestants.
La photographie montre donc une foule dense de plusieurs centaines de manifestants, pour l’essentiel de jeunes hommes, contemplant les résultats du saccage accompli. Au sol, du mobilier brisé, des livres et des papiers en grand nombre soulignent son ampleur. Il a fallu aux manifestants défoncer les rideaux de fer mais également escalader la façade de l’immeuble pour pouvoir investir les locaux du journal. L’échelle posée, à gauche, indique les moyens utilisés et laisse penser à une certaine préparation de l’événement.

Les regards tournés vers les locaux du journal et les bras levés d’un manifestant à gauche, près de l’échelle, indiquent peut-être que la mise à sac n’est pas terminée. Sur la façade de l’immeuble qui se trouve en face, on note des spectateurs attentifs des événements. Le magasin d’alimentation au bas de ce même immeuble a son rideau tiré, par crainte d’exaction des manifestants sans doute mais plus sûrement à l’appel de l’Union du commerce rennais qui a demandé à ses adhérents de fermer leurs magasins afin de permettre à leur personnel de participer à la manifestation.
La présence de drapeaux tricolores dans la foule, dans ce contexte, semble attester la présence de militants nationalistes. Certaines organisations d’extrême droite étudiantes comme le Centre d’action universitaire pour l’Algérie française ou les Jeunes étudiants nationalistes du Cercle Cadoudal, émanation de l’Action française, avaient d’ailleurs appelé à la manifestation et leur intention d’en découdre était notoire. Aucune mesure préventive n’a pourtant été prise pour protéger les locaux et on n’observe nulle part la présence de forces de l’ordre alors que les violences se déroulent déjà depuis de longues minutes. Aucun manifestant ne sera d’ailleurs arrêté sur le moment et ce n’est que dix ans plus tard que l’État et la ville, à la suite d’une longue procédure, seront condamnés à verser une indemnisation à la société propriétaire des locaux pour défaut de maintien de l’ordre.