Avignon, la Cour d’honneur du Palais des papes. Voilà un lieu de spectacle bien peu ordinaire: à la fois sanctuaire où se sont déroulées de mémorables céré- monies célébrées par de prestigieux acteurs et fosse aux lions où, tous les ans, au début du mois de juillet, un public fidèle et pratiquant vient exprimer avec passion son enthousiasme ou son aversion pour les spectacles qui lui sont présentés. On est dans le temple sans doute le plus illustre du spectacle vivant. On est aussi dans l’une des caisses de résonance les plus efficaces: l’écho des sifflets et des bravos qui fusent dans cette Cour s’entend dans l’Europe entière.
Et c’est donc là, en ce soir du 7 juillet 2011, que s’ouvre le festival d’Avignon avec la première d’Enfant, un spectacle chorégraphique conçu et mis en scène par Boris Charmatz, l’artiste associé à cette 65e édition du festival. S’il se passe loin de chez nous, l’événement concerne pourtant très directement Rennes et la Bretagne. D’abord, parce que depuis deux ans et demi, Boris Charmatz a pris la succession de Catherine Diverrès à la tête du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne (CCNRB) qu’il s’est empressé de rebaptiser « Musée de la danse ». L’appellation qui avait paru étrange et un peu paradoxale au début est devenue aujourd’hui familière à ceux qui le fréquentent.
Depuis son installation à Rennes, le directeur du « Musée de la danse » a su donner corps à son projet, l’a inscrit solidement dans le contexte culturel local et a conquis avec lui un rayonnement international. Le statut éminent d’ « artiste associé » au festival d’Avignon constitue évidemment une reconnaissance de la qualité et de l’originalité de ce travail.
Mais ce n’est pas seulement un artiste rennais qui se produit dans la Cour d’honneur, ce sont également 26 enfants de Rennes qui font le spectacle. Oui, des enfants, pas des prodiges ni des singes savants mais 26 enfants, de 6 à 12 ans, dont la moitié fréquentaient les ateliers « kinder » du Musée de la danse. Dans le projet initial, une dizaine aurait suffi, mais Boris Charmatz ne s’est pas résolu à opérer une sélection. Il a donc embarqué tout le monde. Et ils sont, bien sûr, heureux de cette aventure inespérée. Pendant plusieurs mois, ils ont répété en compagnie de neuf danseurs professionnels qui constituent, avec eux, la troupe du spectacle. Arrivés à Avignon avec une semaine d’avance, ils ont répété dans les conditions de la représentation, c’est-à-dire de 22 heures à minuit !
Ce soir du 7 juillet, l’expédition touche au port. On va connaître le verdict que réserve le public à cet Enfant qui paraît enfin. Les chorégraphies de Boris Charmatz ont parfois pris ce public à rebrousse-poil. On sait aussi que la direction du Festival d’Avignon n’a pas coutume de programmer des oeuvres qui suscitent une adhésion unanime. Bref, la partie n’est pas gagnée. Et, peu ou prou, les images de Rennes et de la Bretagne, que les médias et les programmes ont systématiquement associées à ce spectacle, sont aussi concernées.
La suite est connue: la pièce a conquis très largement le public d’Avignon, séduit par cet étrange ballet où se succèdent tour à tour le règne des machines sur des corps inertes, une tendre et surprenante manutention des enfants par les adultes, une exubérante sarabande animée par un joueur de cornemuse et, enfin, la prise de possession par les enfants du plateau, des adultes et des machines… Pour composer cette histoire flamboyante où chaque spectateur est invité à projeter ses peurs et ses envies, Boris Charmatz crée des images fortes, inventives et fascinantes. Le public a apprécié. Debout, il a fait une véritable ovation aux interprètes.
Mais la présence de Boris Charmatz à Avignon ne s’est pas limitée aux cinq représentations du spectacle Enfant. Il a proposé également aux festivaliers sa pièce pour 24 danseurs, « Levée des conflits », créée au TNB, à l’automne dernier, à l’occasion de « Mettre en scène » et qui avait reçu un accueil très favorable de la critique. Cette fois, ce n’est pas la Cour d’honneur qu’il a investi mais un terrain de football! Par ailleurs, il a participé très directement à la conception du projet Une école d’art, une innovation de ce festival 2011, qui présente installations, visites, expositions, performances, débats… C’est dans ce cadre qu’avec son compère, le cornettiste Médéric Collignon, il a improvisé une « bataille » artistique très mouvementée.
En réalité, si Boris Charmatz a inauguré le Festival, c’est une autre artiste rennaise qui en a fait l’ouverture, la veille. En effet, Anne-Karine Lescop a recréé avec des enfants d’Avignon le « Petit Projet de la matière » qu’elle avait créé à Rennes, en mars 2009, avec quelques élèves de l’école Sonia Delaunay. Le spectacle, produit par le Musée de la danse, a connu un joli succès public et médiatique. Un autre artiste rennais, Rachid Ouramdane, a su conquérir le public d’Avignon avec son « Exposition Universelle », un spectacle co-produit par le Musée de la danse. Quant à Latifa Laâbissi, elle a participé aux performances de la « Session Poster », un moment fort du Festival.
Le Musée de la danse a également ouvert les portes de la Maison Jean Vilar à deux chorégraphes bretons, Mickaël Phelippeau et Gaël Sesboüé, qui ont présenté chacun leur création: « bi-portrait Yves C. » et « body west end ».
De son côté, le Théâtre National de Bretagne figurait plusieurs fois sur le programme du festival, à côté du nom de François Verret, artiste associé au TNB, qui a mis en scène « Courts-circuits », produit par le TNB, et à côté de ceux d’Élise Vigier, de Marcial di Fonzo Bo et du Théâtre des Lucioles dont les carrières ont débuté avec l’École du TNB. Justement, le responsable pédagogique de l’École du TNB, Stanislas Nordey, un habitué du Festival, était là, lui aussi, dans Clôture de l’amour, un spectacle qui a bouleversé le public.
Et, parmi les artistes qui ont commencé leur carrière à Rennes, on ne peut passer sous silence la performance d’Étienne Daho qui, avec la complicité de Jeanne Moreau, a su enflammer le public avec le lyrisme brûlant du Condamné à Mort de Jean Genet.
Mais Avignon, c’est aussi le « off ». Et là encore, Rennes était présent. On notera, en particulier, la présence de Nadine Brûlat et de sa compagnie « Hors Mots » composée d’une douzaine d’ados qui ont commencé leur expérience chorégraphique au collège des… Ormeaux. On y a croisé également l’ « Ensemble Abrupt », la « Compagnie de l’entre-deux », la « Compagnie KF », « Ici même » et la « Compagnie Onyrie » de St Jacques… Et on en oublie certainement.
Bref, ce festival 2011 d’Avignon doit beaucoup à la présence des artistes rennais. C’est le signe incontestable d’une vitalité culturelle qui sait enfin se faire reconnaître. ??